Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, juin 19, 2017

MUSIQUE ANCIENNE DANS UNE VIEILLE ABBAYE TOUJOURS NEUVE

                 Les Rencontres Internationales du Thoronet
                 Académie & concerts de musique ancienne
                 20 au 28 juillet 2017 - Abbaye du Thoronet 

                                                       Var
                                                 27e édition


Lieu magique à l’acoustique exceptionnelle, la prestigieuse nef de l’abbaye cistercienne du Thoronet est l’écrin de l’un des plus grands festivals européens de musique ancienne : les Rencontres Internationales du Thoronet, dans le Var. Pour cette 27ème édition des concerts seront également donnés sur l'ensemble du territoire à Saint-Raphaël, Brignoles et Cotignac. Le festival a reçu les ensembles prestigieux dans le domaine de la musique du Moyen-Age.
Si la musique du Moyen-âge reste la période centrale, les musiques traditionnelles - portes ouvertes sur le monde - sont toujours mises en regard de celle-ci, apportant d'intéressantes perspectives d'interprétation des répertoires anciens. Dorénavant, le festival s'ouvre également à des concerts portant sur la Renaissance et le début du17è siècle. Les Rencontres offrent ainsi au public une immersion dans le courant musical qui a pris sa source dans le chant grégorien, au 9è siècle, et qui a connu au cours de l'Histoire diverses évolutions stylistiques.
Dominique Vellard, directeur artistique du festival, réalise chaque année la programmation.

SOLISTES & CHOEURS DE L'ACADEMIE DE MUSIQUE ANCIENNE
« Les Vêpres de la Vierge » de Claudio Monteverdi
Jeudi 20 Juillet 21h - Saint-Raphaël
Vendredi 21 Juillet 21h - Abbaye du Thoronet
Samedi 22 Juillet - Brignole
Académie du 12 au 22 juillet 2017

ENSEMBLE RUMORUM
« Fair weder» - Musiques anglaises, 12è-14è siècles
Dimanche 23 Juillet 21h - Cotignac

MUSICA NOVA
« Descendi in ortum meum » - France & Angleterre, 15è s.
Lundi 24 Juillet 21h - Abbaye du Thoronet

LE MIROIR DE MUSIQUE
« Sulla lira » - la voix d'Orphée
Mercredi 26 Juillet 21h - Abbaye du Thoronet

Waed BOUHASSOUN, Kudsi ERGUNER
Pierre RIGOPOULOS
Répertoires traditionnels de Syrie et de Turquie
Jeudi 27 Juillet 21h - Abbaye du Thoronet

ENSEMBLE GILLES BINCHOIS
« Fons luminis » - Manuscrit du monastère Santa Maria la Real de Las Huelgas, 14è siècle
Vendredi 28 Juillet 21h - Abbaye du Thoronet




http://musique-medievale.fr/

    
Arielle Berthoud |Attachée de presse
Tél. : 00 33 (0)6 09 70 72 18
arielle.berthoud@noos.fr

LA GRANDE DAME AUX DOIGTS DE FÉE , À S'EN LÉCHER LES DOIGTS DE GOURMANDISE


CORDES SENSIBLES


ORPHÉE FESTIF À MARSEILLE


Les Festes d’Orphée

Ensemble baroque
«
Musiques patrimoniales de la Provence baroque » Direction : Guy Laurent
XXX
e Anniversaire
Vendredi 23 juin, 20h30 Temple, 15, rue Grignan 13006 Marseille
« Concert : Motets festifs à grand-chœur »
par le Grand-chœur & l’Ensemble instrumental des Festes d’Orphée
RENSEIGNEMENTS :
Les Festes d’Orphée
2, montée du château 13880 Velaux
04 42 99 37 11

www.orphee.org orphee@orphee.org
VENTE DES BILLETS :
45 minutes avant le début des concerts
Tous nos concerts (sauf les Mardis Musicaux) sont en vente sur le réseau FNAC, Carrefour, France Billet
08 93 68 36 22 / www.fnac.com

samedi, juin 17, 2017

MERCI RAYMOND, MERCI DUFFAUT : FAU(S)T


            Il a régné pendant trente-cinq sur les romaines Chorégies d’Orange dont il a fait un empire indiscuté du chant, et en a démissionné dignement pour des raisons politiques, disons, éthiques, avant terme, en mars 2016. En popularisant en ce lieu l’opéra, en le popularisant par les médias, Duffaut a su incarner, pour des millions de spectateurs, cet élitisme pour tous dont rêvait Malraux. Un élitisme républicain d'une qualité à l'échelle du lieu, à tous niveaux : mises en scène, lumières, et, surtout artistes, voix que son oreille infaillible a su dénicher et porter aux nôtres pour leur permettre d'ici un envol primordial. Et d’abord, par le banc d’essai de la scène d’Avignon. Car pendant quarante-trois ans, il a présidé aux destinées artistiques de l’Opéra d’Avignon, devenu justement Grand Avignon, qu’il a élevé en royaume lyrique tout aussi indiscutable, le dotant d’un orchestre, d’un chœur et d’un ballet permanents, rare privilège aujourd’hui. Un bilan extraordinaire : quatre-mille cinq-cents spectacles et quelque quatre millions de spectateurs, heureux, reconnaissants. Qui le lui ont prouvé par des ovations interminables lors de deux mémorables soirées.
            D’abord, la dernière de Faust qui, il n’y a pas de hasard, selon son simple et touchant aveu, avait ouvert ses yeux et ses oreilles d’enfant, en 1949, au monde lyrique et qui clôt, ce jour, sa longue carrière militante en ce lieu. Puis, « Avant de quitter ces lieux », le concert exceptionnel, cadeau surprise du 16 juin d’un nombre, innommable par la quantité, une cinquantaine d’artistes, chefs, chanteurs lyriques, sans oublier les danseurs, qu’il a lancés ou contribué à leur carrière internationale, qui ont tenu à venir lui témoigner leur, disons-le, affection et fidélité. Un concert, organisé par Nadine et Sophie Duffaut, présenté par Alain Duault, commencé à 18h30, terminé à près de une heure du matin, et poursuivi ensuite avec un cocktail amical, familial.
Raymond Duffaut reste Président du Centre français de promotion lyrique : au service toujours des jeunes talents.
Ce Faust marque aussi la fermeture de l'Opéra Grand Avignon pour deux ans, pour travaux.



Sous l’égide de l’association des « Amis du Théâtre Lyrique »

FAUST

(1859)


Opéra en cinq actes
Livret de Jules Barbier et Michel Carré
d’après Faust, eine Tragödie (1808)
de Johann Wolfgang von Goethe
Musique de Charles Gounod


I. L’œuvre
Diables d’hommes
Sur l’homme vendant son âme au diable contre l’amour d’une jeune femme, l’Espagne connaissait déjà quelques pièces de théâtre, El esclavo del demonio (1612), ‘L’esclave du démon’, de Mira de Amescua et, entre autres plus tardives, El mágico prodigioso, ‘La magicien prodigieux’ (1637)[1] de Pedro Calderón de la Barca, inspirée de la légende des saints Cyprien et Justine, martyrs  d’Antioche, IIIe siècle : pour l’amour de la jeune chrétienne, le jeune savant païen, qui s’interrogeait sur le pouvoir absolu d’un Dieu unique contre la pluralité dissolue du panthéon des dieux antiques, signe un pacte avec le Diable. C’est aux écrivains allemands du Sturm und Drang, dont Herder, Schiller et Goethe, férus de culture espagnole antidote au classicisme français, que l’on doit le renouveau de l’intérêt pour la poésie du Siècle d’Or espagnol (Goethe en adaptera des poèmes) et son théâtre, dont s’abreuvera aussi Hugo.
Il est probable que Goethe y ait puisé, pour sa fameuse tragédie, l’enjeu de la femme dans le pacte avec le diable, absente dans le livre source, Historia von Dr. Johann Fausten dem weitbeschreyten Zauberer und Schwarzkünstler…, couramment appelé Faustbuch, ‘le Livre de Faust’, paru à Francfort en 1587. Ce recueil populaire s’inspirait des légendes ténébreuses entourant le réel Docteur Johann Georg Faust (1480-1540), alchimiste allemand, astrologue, astrologue, nécroman, c’est-à-dire magicien. Un musée lui est consacré à Knittlingen, sa ville natale.
 La science rationnelle moderne, n’était pas encore sortie de la gangue des sciences occultes dans lesquelles, astrologue et astronome confondus, dans les secrets encore incompréhensibles, on voit souvent, par crainte et superstition, la main, la griffe du diable. Ainsi, la mort du savant Docteur Faust en 1540, dans une explosion due sans doute à ses recherches chimiques ou alchimiques, passera pour le résultat de ses expériences diaboliques, du pacte qu’il aurait passé avec le Diable, signé de son sang, pour retrouver la jeunesse sinon l’amour.[2]
Ce livre, qui sera aussi traduit avec succès en français en 1598,  sera adapté, d’après la traduction anglaise, par Christopher Marlowe dans sa pièce La Tragique Histoire du docteur Faust (1604) et, donc, deux siècle après, par Johann Wolfgang von Goethe dans son premier Faust (1808), qui fixera dans l’imagerie romantique, la touchante figure de Marguerite au rouet : séduite, enceinte, abandonnée, matricide, infanticide enfin : condamnée à mort, et refusant d’être sauvée avec la complicité de Méphistophélès, pour le salut de son âme. Son contemporain  Gotthold Ephraim Lessing, avait aussi commencé, sans l’achever, une pièce sur Faust en 1759.
Berlioz avait représenté à Paris, sans guère de succès, en 1846, La Damnation de Faust [3]d’après la célèbre pièce de Goethe traduite en 1828 par Gérard de Nerval : « Pour la ‘Chanson du rat’, il n’y avait pas un chat dans la salle », constatera cruellement Rossini. Ruiné, Berlioz s’exile. Gounod sera plus heureux. Hanté par le thème, gratifié du bon livret que lui écrivit Jules Barbier, la contribution de Michel Carré, auteur d'un drame intitulé Faust et Marguerite, se limitant à l'air du Roi de Thulé et à la ronde du veau d'or. Après des remaniements, l’opéra triompha en 1859, et rivalise en popularité dans le monde avec la Carmen de Bizet.

II. Réalisation
Faust sans faste

Vaste demeure dévastée de l’hiver d’une vie à vau-l’eau : vanité des vœux, des rêves du savoir, des souvenirs évanouis à l’heure des bilans, des faillites. Vautré, avachi sur un immense prie-Dieu, un lit, dont la traverse est une croix, le vieux Docteur Faust se lamente avant d’être relayé par le jeune, vivifié par le pacte de sang ou transfusion sanguine salvateur élixir de jouvence. Efficace scénographie unique d’Emmanuelle Favre dans des clair-obscur, au sens précis du terme, mélange de lumière et d’ombre à la Rembrandt, virant parfois aux contrastes rasants caravagesques (lumières de Philippe Grosperrin), qui arrachent à la pénombre les têtes d’une foule de spectres goyesques, cauchemar plein de choses inconnues, funèbre carnaval émergeant, surgissant des trappes, sinon des enfers, des arrière-fonds, des bas-fonds de l’âme sans doute, comme un retour du refoulé. Surplombant la scène, théâtre dans le théâtre, une autre scène ou tableau : un Christ de profil et, apparaissant dans le cadre, divers personnages, le vieux Faust omniprésent témoin de cet épisode de sa vie, Méphistophélès, Marguerite en portrait.

Tout est terreux, ruineux, grisâtre, brunâtre, les costumes (Gérard Audier), et le seul éclat sera celui de Marguerite, toute blondeur et robe vichy bleu à la Brigitte Bardot, apparemment seule vivante dans ce monde fantomatique, escortée de Dame Marthe, rieuse en austère tailleur noir. Une marionnette géante descendant des cintres de la manipulation diabolique symbolise la jeune fille. Le Faust jeune, aura l’éclat d’une chemise blanche sur ses jeans et Méphisto, en blouson de cuir, arbore des souliers rouges comme signe de son origine, comme le coffre et non coffret des bijoux, dont on s’étonne que Gretchen ne l’ait pas vu du premier coup d’œil tant il accapare l’espace et la vue. Jolie trouvaille, le bracelet dont se pare la jeune fille est vraiment « une main qui sur [son] bras se pose », surgie magiquement de la marionnette. C’est la poupée mécanique, menaçante, de l’univers fantastique des Contes romantiques d’Hoffmann par la manipulation du Diable.
Des projections —pas forcément heureuses— de fleurs sur les murs lépreux figurent le jardin et le bouquet d’un jeune Siebel masculin éclopé, expliquant sans doute sa réforme, il ne part pas à l’armée ;  plus dramatiquement parlantes, celles d’actualités cinématographiques de nébuleux soldats du retour des troupes qui (dé)chanteront une gloire discutable des aïeux dont la mise en scène de Nadine Duffaut, loin de donner dans le cliché de la guerre jolie, montre la vérité, les blessés, les estropiés, les gueules cassées, les morts : sous le regard du Christ semblant regarder de biais et non de front le monde, sous l’écrasante croix, on se pose inévitablement la question de ce « Dieu bon » que priera Marguerite à la fin qui permet cet enfer sur terre,  autorise finalement ce Démon tout puissant, encore que terrassé parfois comme un vampire par l’ombre ou la lumière de la croix qui le crucifie.
En somme, refusant le faste facile, néfaste souvent au drame, la mise en scène propose une lecture nouvelle de cette tragédie, parlant plus à l’esprit que séduisant les yeux.


II. Interprétation
L’Orchestre régional Avignon-Provence, transcendé par l’exceptionnelle soirée qui clôt un cycle historique Duffaut et clôture pour deux ans de l’Opéra d’Avignon, sonne exceptionnellement, et sans doute l’accueillons-nous à l’unissons émotif d’une écoute vibrante. Il est vrai que, d’entrée, la battue dynamique d’Alain Guingal bat en brèche, dynamite toutes les sucreries romanticoïdes qui peuvent affecter une œuvre enrubannée par une tradition bourgeoise au bon ton et teinte consensuels ; sa vivacité juvénile donne une fraîcheur printanière à ces visions automnales de la scène, lui répondent a contrario : pas un temps mort, pas de complaisance mais un flot continu de vie sonore courant, course à l’abîme, vers sa fin tragique et lumineuse, sans presque rien céder de temps pour les applaudissements après les airs, qui retardent l’action. À peine éprouve-t-on, effet d’une suffocante chaleur, comme un peu long le ballet du Walpurgis de l’acte IV, concession d’époque aux messieurs du sélect Jockey Club, venus après dîner, pour admirer leur « danseuse » lever la jambe. Il est donné en son entier, juste hommage aussi d’un des rares corps de ballet persistant encore dans une maison d’Opéra grâce à Duffaut, dans une belle chorégraphie d’Éric Bélaud qui offre la palette de son talent et de ces danseurs, danse par ailleurs, en contrepoint physique maillée, émaillée d’acrobates du plus bel effet graphique, perchés sur la croix du prie-Dieu devenu lit de débauche multi-libertine pour un heureux Faust repu plus qu’en repos, Méphisto badinant multi-sexe apparemment.

Les chœurs, préparés par Aurore Marchand, semblent également transcendés pour cette soirée dont chacun semble ressentir  le moment historique.
L’un des problèmes du théâtre, c’est sans doute la présentation d’un personnage à deux âges de sa vie, doublé ici par la difficulté que la métamorphose de fait à vue. Loin de grimer et de dégrimer ostensiblement le vieil héros prêt à se faire une injection mortelle de drogue et piqué sans doute à l’élixir de vie par Méphisto (la scène nous échappe un peu d’une loge de fond), de ce même sang qui est la signature du pacte infernal, Nadine Duffaut a opté pour deux Faust, le vieux, Antoine Normand, voix expressivement fatiguée, émouvant dans ses regrets et adieu à la vie, Faust encore sans faute, qui restera sur scène en témoin accablé de sa fautive vie sous le regard d’un Christ douloureux, sous l’ombre portée de la croix, poids de son péché, éternel stigmate de sa damnation, ou rédemption par ce regard qui semble le hanter dans ce théâtre des ombres du monde. Et soudain, sans solution de continuité, c’est le crédible jeune Faust qui surgit, bondit, insolent et insultant de jeunesse physique et vocale, un Florian Laconi au mieux de sa forme, métal ardent de la voix égale dans tous ses registres, solaire, triomphante dans l’aigu dès l’effet méphistophélique non méphitique mais bénéfique de Méphisto. Et voilà notre vieillard savant, oublieux des grands mystères du monde qui faisaient sa sublime ambition, qui chante, tout guilleret, un couplet digne d’un épicurien bourgeois d’Offenbach, Brésilien ou Baron, qui borne, ou au contraire chante une insatiable ambition très Second Empire, « s’en fourrer jusque-là », avide de plaisirs terrestres et non plus spirituels ou intellectuels :
         À moi, les plaisirs,
         Les jeunes maîtresses,
         À moi leurs caresses […]
         Et la folle orgie
         Du cœur et des sens.
Laconi, dont on sait aussi le talent et l’humour très opérette, donne cette dimension charnelle à son personnage, qu’il saura attendrir de demi-teintes émouvantes face à Marguerite. Elle, c’est Nathalie Manfrino, en pleine possession contrôlée de ses moyens, voix onctueuse, moelleuse, d’une touchante douceur, dans le vague poétique de la chanson du roi de Thulé, l’émerveillement perlé des terribles vocalises de l’air des bijoux, la pudique douceur de la rencontre ou la passion de la vierge devenant femme du jardin à la chambre, ou fille et mère meurtrie et meurtrière dans sa prison : la redoutable ascension vers les aigus d’« Anges purs, anges radieux… » est une montée du calvaire humain et vocal rédimé par la grâce qui émane toute d’elle et que nous lui accordons tant elle nous émeut.
 On ne s’étonnera pas que le Diable n’ait pas de célestes aigus : Méphistophélè, c’est la basse Jérôme Varnier, entendu quelques jours plus tôt, lors de la cérémonie de remise à Marie-Ange Todorovitch de la médaille de Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres par Raymond Duffaut, tonnant diablement en voix. Le timbre est âpre, rêche ou rocailleux dans le grave, ce qui convient à cet anti-héros des abysses infernaux, très expressif, comme dans son jeu, servi par sa longue et souple silhouette inquiétante. Cependant, fatigue, chaleur, trop de répétitions, méchant rhume ou allergie, son aigu ne s’épanouit pas dans « la ronde du Veau d’or », il est vrai d’une tessiture tendue sur la corde haute, ils sont démoniaques même pour un diable, qui se tire bien des ricanements en fa effleurés de la sérénade satanique et sardonique, et on lui accorde volontiers l’absolution.

Marie-Ange Todorovitch est une accorte Dame Marthe, savoureuse, voluptueuse, veuve vite joyeuse, aguichante, élément de comédie, d’opéra-bouffe, la sensualité éclatant sous l’uniforme trop étroit de la duègne austère, vite maquerelle, faisant couple, sinon accouplée au fuyant Méphisto qui ne succombe pas à la tentation, tenté sans doute par d’autres types d’amours comme semble le suggérer le pluri-sexe Walpurgis. Le baryton belge Lionel Lhote remporte tous les suffrages en Valentin : beauté égale d’une voix héroïque et pleine,  son grand air « Avant de quitter ces lieux » montre bien au contraire qu’il habite parfaitement cet ambitus large et généreux, émouvant dans sa malédiction finale et désespérée à sa sœur. Autre baryton, Philippe Ermelier est un Wagner de taverne digne compagnon sinon d’embauche guerrière de débauche de bière ou vin. Enfin autre originalité, le pénible aujourd’hui rôle travesti de Siébel, dévolu à un mezzo léger, est rendu à sa vérité théâtrale de jeune homme amoureux et il faut dire que Samy Camps, jeune, tendre et touchant, bien qu’affublé d’une prothèse d’éclopé —sans doute blessure de quelque aventure militaire qui montre que la guerre est bien contre toute éthique et esthétique, contre la morale, la bonté, la beauté. Sa voix de ténor a une fraîcheur correspondant à son physique et à son âge et il incarne dans une vérité immédiate, l’amour désintéressé, la compréhension, la compassion humaine et chrétienne envers la Marguerite rejetée par la communauté.
Un Faust peut-être non sans défaut, mais qui fermait en très grande qualité quarante-trois ans de mandat artistique d’un Raymond Duffaut ovationné, rideau tiré, par tout le personnel, artistes et techniciens, ces obscurs sinon sans grade participant d’ailleurs aux saluts, dans la légitimité d’un travail sans lequel n’existerait pas la magie éphémère de la scène mais qui nous hantera longtemps.


Opéra Grand Avignon
9 et 11 juin
Faust, de Charles Gounod

Direction musicale  : Alain GUINGAL
Direction des chœurs : Aurore MARCHAND
Études musicales : Hélène BLANIC

Mise en scène : Nadine DUFFAUT
Assistant à la mise en scène : Franck LICARI
ChorégraphiE :  Eric BELAUD
Décors : Emmanuelle FAVRE
CostumES : Gérard AUDIER  
Lumières : Philippe GROSPERRIN
                                           
DISTRIBUTION

Marguerite : Nathalie MANFRINO
                   Dame Marthe Marie-Ange TODOROVITCH
Faust : Florian LACONI
Méphistophélès : Jérôme VARNIER           
                   Valentin : Lionel LHOTE
Siebe : Samy CAMPS
Wagner : Philippe ERMELIER
Le vieux Faust : Antoine NORMAND


ORCHESTRE RÉGIONAL AVIGNON-PROVENCE
CHŒUR ET CHŒUR SUPPLÉMENTAIRE DE L’OPÉRA GRAND AVIGNON
Direction : Aurore MARCHAND

BALLET DE L’OPÉRA GRAND AVIGNON
Direction : Éric BELAUD

Photos  © ACM-Studio Delestrade :

1. Méphisto (Varnier) :
2. Méphisto à la taverne ;
3. Marguerite et le coffre à bijoux (Manfrino, Todorovitch, Laconi) ; 
4.  Le lit prie-Dieu ;
5. Marguerite, en prison refuse Faust (Manfrino, Laconi).






[1] J’ai adapté cette pièce sous le titre de Faust vainqueur ou le procès de Dieu à la demande du metteur en scène Adán Sandoval.
[2] Sur les divers Faust, je renvoie à mon livre Figurations de l’infini. L’âge baroque européen, Prix de la prose et de l’essai 2000, le Seuil, 1999, « De Dieu le Père au Père-Dieu », « La fin des thaumaturges », p.389-399.
[3] Berlioz ne devait pas ignorer la pièce de Calderón, si admiré par Wagner qui dit, dans une lettre à Liszt, qu’il le lit pour maintenir l’inspiration de son Tristan.  En tous les cas, l’invocation à la nature de son Faust est très proche de la tirade lyrique de Cyprien découvrant sa puissance diabolique dans Le Magicien prodigieux. Cf mon livre, Figurations de l’infini, op. cit. , p. 398.

vendredi, juin 09, 2017

LE VRAI DON CARLOS : ENFANT GÂTÉ, PRINCE GÂTEUX




Enregistrement 29/5/2017, passage, semaine du 12-17/6/17

RADIO DIALOGUE RCF

(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

«LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 275

lundi : 12h15 et 18h15 ; samedi : 17h30

Semaine 24

DON CARLO
`        L’Opéra de Marseille termine sa saison avec Don Carlo de Giuseppe Verdi donné le jeudi 8, le mercredi 14 et le samedi 17 à 20 h, le dimanche 11 en matinée à 14h30. La mise en scène est du Marseillais Charles Roubaud et la distribution est prestigieuse.
         Don Carlos, dans son nom espagnol, était une commande, en français , de l’Opéra de Paris, montée en 1867, révisée en 1884 puis traduit en italien.
          Le livret fut écrit par  Joseph Méry et Camille du Locle, d'après la tragédie  Don Karlos, Infant von Spanien, ‘Don Carlos, Infant d’Espagne’, de Friedrich von Schiller, de 1787. Sur certains détails historiques vrais, c’est une affabulation romantique qui narre la supposée rivalité entre le prince héritier Don Carlos et son père le roi Philippe II d’Espagne qui a épousé, il est vrai, pour des raisons politiques, la fiancée qu’il lui avait d’abord destinée, Élisabeth de Valois, fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, pour sceller la paix entre l’Espagne et la France. L’action se déroule sur fond de révolte des Flandres contre l’Espagne, historiquement vraie, mais conflit postérieur à la mort de l’infant.
Don Carlos
Mais la pièce et l’opéra donc, inventent une idylle préalable entre l’Infant espagnol et la jeune princesse française qui se seraient rencontrés à Fontainebleau, érigeant Don Carlo en héros romantique amoureux trahi par son propre père, et par ailleurs désireux d’arracher les Pays-Bas à la souveraineté espagnole. Il est vrai aussi, pour alimenter la légende, qu’Élisabeth de Valois et Don Carlos naissent et meurent la même année (1544-1568), à 23 ans, à quelques mois d’intervalle. Mais ils n’avaient que 14 ans lors du fameux mariage royal de 1559, par procuration, qui ne sera par ailleurs consommé que deux ans plus tard eu égard à la jeunesse de la princesse française.
    Autre vérité historique : l’habitude des mariages inégaux en âge étant presque une norme, le mari toujours plus âgé que l’épouse, lorsqu’Élisabeth arriva en Espagne pour rejoindre enfin son époux, à la jeune princesse, sans doute agréablement surprise en le voyant, Philippe II dit en souriant : « Vous regardez si j'ai des cheveux blancs ? » Il n’avait que 32 ans.
         La pièce, s’emparant de ce trait d’humour, le renverse et en fait le constat dramatique d’un homme âgé, malheureux de cette différence d’âge avec la jeune femme qu’il aime et qui ne l’aime pas.  C’est le moment sans doute le plus poignant de l’opéra de Verdi. Seul dans son cabinet, ayant travaillé des dossiers toute la nuit, voyant poindre l’aurore, Philippe II revoit l’arrivée d’Élisabeth en Espagne, découvrant tristement ses cheveux blancs, et il médite sur cet amour déçu et sur la solitude du pouvoir. L’air est introduit par un long prélude de violoncelle qui chante déjà la mélancolie du roi. Nous écoutons cette introduction par l’Orchestra dell‘ Accademia di Santa Cecilia dirigé par Tullio Serafin :

1) DISQUE I, PLAGE 5 (1)


Élisabeth de Valois

         Nous y reviendrons, centrant cette émission sur lui. Non, Philippe II n’était pas un vieillard lorsqu’il épousa Élisabeth de Valois qu’il aurait arrachée, contre son gré, à son immature adolescent de fils. Mais la légende, tragique, est si belle que l’on a du mal à lui opposer la vérité historique, dramatique certes, mais moins romanesque. Qui fut ce don Carlos magnifié par le théâtre et l’opéra ?
LE VRAI DON CARLOS, FUT UN ENFANT GÂTÉ, ET UN PRINCE GÂTEUX. ET ODIEUX.
Il en est des familles comme des peuples et des cultures : le mélange des sangs les régénère, les rajeunit et la fermeture des frontières raciales et culturelles les anémie, les appauvrit, faute d’oxygène et du bénéfique renouvellement génétique des mélanges, des métissages. Ce fut le drame des longues dynasties royales, usées par des mariages endogamiques, consanguins, entre membres proches d’une même famille. Ce fut, à terme, la tragédie pas si lointaine des Romanov, des Habsbourg d’Autriche et, d’abord, des Habsbourg d’Espagne.
Carlos naît du premier mariage de Philippe II avec sa double cousine germaine, maternelle et paternelle, Marie de Portugal, qui meurt quelques jours après la naissance. La famille est si mêlée qu’il a seulement quatre arrière-grands-parents au lieu des huit pour une famille normale. Philippe, n’a pas encore hérité l’empire de son père Charles Quint qui abdiquera en 1555 ; il voyage, d’Italie en Flandres en passant par la Bourgogne et la Franche-Comté, dans ses futurs états européens puis s’installe en Angleterre où il a épousé en 1554 sa grand tante Marie Tudor, régnant avec elle jusqu’à sa mort en 1558, une femme plus âgée que lui à l’inverse de son futur mariage, l’année suivante, avec Élisabeth. Mais la fiction de Verdi, le fait beaucoup plus âgé que la réalité et il se lamente.
Nous écoutons la suite du morceau, la méditation de Philippe II, chantée par Cesare Siepi :

2) PLAGE 5  (2)

 L’infant Don Carlos, seul en Espagne, a été élevé par ses tantes, qui lui passent tout : enfant gâté, il est maladif, difforme, débile mental, d’une effroyable cruauté qui épouvante autour de lui. Il joue à brûler vif des animaux, crève les yeux des chevaux, oblige un bottier à manger sa botte, hurle, tempête, prompt à jouer de sa dague, manquant tuer son oncle, le superbe et héroïque Don Juan d’Autriche (1547-1578), fils bâtard de Charles Quint, souche saine d’une union non consanguine, futur vainqueur de la bataille de Lépante contre les Turcs (1571), que son frère Philippe nommera gouverneur des Pays-Bas.
Philippe II par Titien
Philippe II (1527-1598), déplorait lucidement, à la fin de sa vie : « Dieu, qui m’a donné tant de royaumes, m’a refusé un fils capable de les gouverner. » Ce fut le drame de ce grand et puissant monarque régnant sur tous les continents, le soleil ne se couchait jamais sur son empire. Il prévoyait fatalement, à la fin de ses jours, que son successeur, Philippe III, issu également d'un dernier mariage consanguin avec sa nièce autrichienne, abandonnerait le pouvoir aux mains de favoris, mais il demeurait blessé du douloureux souvenir de son premier fils du premier lit, maladif, à demi fou, incapable de monter sur le trône : en 1568, il fut contraint d’enfermer Don Carlos qui avait peut-être même attenté à ses propres jours, en tous les cas, voulu s’emparer des Pays-Bas. Ce sont les protestants hollandais insurgés contre l'Espagne catholique qui, pour des raisons politiques et religieuses, cherchant leur indépendance, créeront la légende noire de Philippe II, relayée par les Anglais et les Français en guerre contre le puissant Empire espagnol invaincu pendant un siècle.
Le mariage du roi avec Élisabeth fut heureux mais elle mourut en couches et Philippe en fut très affecté. De ce mariage, enfin avec un sang renouvelé, non consanguin, naquit une saine princesse, une fille très aimée, Isabel Clara Eugenia, à laquelle Philippe II offrit le gouvernement des Pays-Bas où elle régna à la satisfaction de son peuple. On voit d’ailleurs à Bruxelles, sa capitale, des témoignages de l’estime qu’on portait à Isabelle Claire-Eugénie (1566-1633). Du monarque le plus puissant de son temps, contraint de masquer toute manifestation de sensibilité, on dit qu’il grimpa au sommet d’une tour pour voir jusqu’au bout le carrosse de sa fille bien-aimée qu’il ne devait plus jamais revoir, et qu’il éclata en sanglots.
Isabel Clara Eugenia

Nous nous quittons aux accents douloureux que Verdi prête à Philippe II :

3) PLAGE 5 de à fin

Opéra de Marseille Don Carlo de Giuseppe Verdi qui sera donné le jeudi 8, le mercredi 14 et le samedi 17 à 20 h, le dimanche 11 en matinée à 14h30.
Par téléphone04 91 55 11 10 – 04 91 55 20 43
opera.marseille.fr

DON CARLO, de Giuseppe Verdi

Opéra en 4 actes, version de Milan
Livret de Joseph MÉRY et Camille du LOCLE d'après Friedrich SCHILLER, révisé par Charles NUITTER et traduit en italien par Angelo ZANARDINI.

Création à Milan, Teatro alla Scala, le 10 janvier 1884.
Dernière représentation à l'Opéra de Marseille, le 5 octobre 1997

COPRODUCTION OPÉRA NATIONAL DE BORDEAUX / OPÉRA DE MARSEILLE

Direction musicale Lawrence FOSTER
Mise en scène Charles ROUBAUD
Scénographie Emmanuelle FAVRE
Costumes Katia DUFLOT
Lumières Marc DELAMÉZIÈRE
Vidéos Virgile KOERING

Elisabetta Yolanda AUYANET
Eboli Sonia GANASSI
Tebaldo Carine SECHAYE
Une Voix céleste Anaïs CONSTANS

Don Carlo Teodor ILINCAI
Philippe II Nicolas COURJAL
Rodrigo Jean-François LAPOINTE
Le Grand Inquisiteur Wojtek SMILEK
Un Moine Patrick BOLLEIRE
Comte de Lerma Éric VIGNAU
Députés Flamands Guy BONFIGLIO, Lionel DELBRUYERE, Jean-Marie DELPAS, Alain HERRIAU, Anas SEGUIN, Michel VAISSIÈRE
Un héraut Camille TRESMONTANT

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille








VAGUES DE LA HARPE ET ONDES DE L'ORGUE


SÉRAIL OUVERT POUR LA CARAVANE MUSICALE



                                                        www.festival-caravanserail.com

DANS LA CAPITALE DU PIANO, LA FÊTE


mardi, juin 06, 2017

BOUQUET FINAL À L’ODÉON





VIOLETTES IMPÉRIALES

(1948)



Opérette de Vincent Scotto

Livret de Paul Achard, René Jeanne et Henri Varna

21 mai 2017


Comme dans les feux d’artifices, ce spectacle, joli bouquet final, aura couronné brillamment la belle gerbe d’opérettes et de récitals lyriques dans ce temple du chant et du jeu qu’est devenu l’Odéon, dignifiant d’opéra l’opérette.  Déjà La Veuve joyeuse de Franz Lehár nous avait laissés la joie à cœur et à jardin ensuite fleuri par ces violettes embaumées : déjà une équipe de chanteurs acteurs remarquables des premiers aux derniers rôles, tous solidairement soudés par une mise en scène réglée au cordeau d’Olivier Lepelletier, tous dignes d’éloges et trop nombreux pour être cités.

Même pari réussi par cette dernière floraison, sous la baguette badine de Bruno Conti pour la fosse et la férule fleurie de Jack Gervais pour le plateau. On sourira, en touriste, de cette Espagne de carton-pâte, plate carte-postale, si l’on peut rire, en espagnol, de ces « Madonna ! » italiens et en rien hispaniques et cette impensable et impossible église romane à Séville. En guise d’autres décors, d’accord, de simples toiles peintes, pimpantes (Loran Martinel), quelques souvenirs de Goya dans de vagues tableaux. Bon, rire, sourire, mais pas de ricanement : les temps sont durs pour les décors en… D’autant que la fastueuse débauche de costumes, si l’on passe sur les chemisiers des hommes de l’acte I, plus propres du Carnaval de Rio que de l’austère Andalousie, est souvent d’une grande beauté et d’une grande justesse et raffinement à la fois hispanique et historique, jusque dans la teinte parme, violette, de ceux situés au cœur du Paris du Second Empire et ses robes à crinolines et tournures bien tournées qui font des femmes des fleurs corolles retournées à tourner les têtes dans les valses. La Maison Grout qui les fournit mérite des applaudissements pour son bon goût.

Le thème de la vendeuse de violettes, qui vivra un conte de fée, était à la mode depuis la chanson espagnole La violetera de José Padilla (1914), popularisée par la chanteuse et actrice Raquel Meller, mélodie si célèbre mondialement que Chaplin l’inclut dans ses Lumières de la ville (1931). L’intrigue, de l’opérette corse la banale historiette d’amour en la recoupant avec la grande Histoire, la prédiction, semble-t-il authentique, faite à Eugénie de Montijo (à Grenade et non Séville) qu’elle serait un jour « plus que reine » : Impératrice donc. Ici, la gitane du légendaire présage est en fait une modeste vendeuse de violettes sévillane séduite par un aristocrate local, la bergère et le Prince. Leurs amours, traversées par l’intransigeante mère de l’amant (une Simone Burle méconnaissable en altière douairière inflexible) seront enfin couronnées grâce à une Eugénie à couronne impériale reconnaissante envers sa prophétesse. 

Dépits amoureux, un comte, des comptes à régler, prises, surprises et méprises, travestissements et autres facéties : comme dans un bon vaudeville, tout le monde, amants mécontents, manants, aristos, filous et filature, se retrouvera à Paris, chez la généreuse Eugénie (la délicieuse Perrine Cabassud) ayant épousé Napoléon III (Cyril Cosson, rôle muet). C’est simple mais sympathique et drôle et drôlement joué par une troupe menée tambour battant par le chef et le metteur en scène, sans un temps mort, remarquable prouesse eu égard aux nombreux changements de costumes, au rythme soutenu, sans un temps mort même avec les nombreux passages dansés, chorégraphiés avec grâce et culture par Estelle Lelièvre-Danvers, qui sait même passer avec élégance de la danse du peuple andalou à cette danse andalouse popularisée enfin dans les nobles salons : séguedilles, fandangos et boléros, même danse classique pour l’épisode parisien, servi par une admirable troupe de danseurs, dont elle-même à pied, à point, à pointe d’œuvre.

         Cette opérette est une espagnolade sans malice, une musique savamment peuple de Vincent Scotto, enchaînant des airs entraînants, une marche pour la marchande (« Qui veut mon bouquet de violettes ? »), un chœur de l’anisette, du Guadalquivir, les couplets de l’amoureux (« C’est pour toi que je chante ») et un tourbillon de valses au milieu des espagnoles, même un chahut-cancan parisien (danse en fait dérivée de la cachucha d’Espagne interprétée par la danseuse Fanny Elssler qui fit sensation à Paris en 1836) dont les danseurs se tirent encore, jonglant avec ces styles, avec une tonique virtuosité et rivalité qui n’a sans doute rien à envier aux célèbres Goulue ou Valentin le désossé immortalisés par Toulouse-Lautrec.

         Violeta est campée, cambrée avec grâce par Cécile Arbel, souple soprano, qui s’offre le luxe de chanter, distribuant au public ses violettes, en parcourant la salle, sans perte de timbre dans l’acoustique pourtant ingrate d’une vaste salle feutrée de moquette et fauteuils veloutés. Don Juan, est le solide et chaleureux baryton Lionel Delabruyère : couple crédible et bien audible de jeunes premiers. Mais, en jeunes seconds de comédie, le couple Rosette et Loquito, Julie Morgane, délicieuse en robe de petite fille modèle d’abord, et son amoureux, Grégory Juppin, sont dignes de la comédie musicale américaine, jouant, chantant, et joliment, mais, en plus dansant mieux que bien, acrobatiques.
         Tous les comparses sont à citer :  Sabrina Kilouli, Pepa, la morgue des mères nobles (Simone Burles et Silvi Abovici, en Madame de Montijo pincée ­—qui fut maîtresse de Mérimée…), Michel Delfaud. De Serafina, Jeanne-Marie Lévy fait un solide rôle de grande comédie, drue et drôle, faisant Comte et mécompte et finalement fière paire, beau numéro, avec le Picadouros toujours irrésistible de Dominique Desmons. Quant à Claude Deschamps, Estampillo multiforme, aux multiples travestis mais toujours égal à lui-même, son visage, sa voix, ses gestes, en à peine quelques répliques, une expression, une inflexion, un mouvement, sans même se poser ni chercher à s’imposer, il est comédie, théâtre.

         De grands artistes qui prouvent qu’il n’y a pas de grande et petite œuvre, opéra ou opérette, mais des spectacles dignifiés par le travail et le talent.


Violettes impériales

de Francis Lopez,

Marseille, théâtre Odéon,

20 et 21 mai



Direction musicale :  Bruno CONTI 
Chef de chant : Caroline OLIVEROS
Mise en scène :  Jack GERVAIS
Assistant mise en scène :  Sébastien OLIVEROS
Chorégraphie :  Estelle LELIEVRE-DANVERS



Distribution

Violeta : Cécilia ARBEL
Eugénie : Perrine CABASSUD
Sérafina : Jeanne-Marie LÉVY
Rosette : Julie MORGANE
Madame d'Ascaniz : Simone BURLES

Don Juan :Lionel DELBRUYERE
Picadouros :  Dominique DESMONS
Estampillo : Claude DESCHAMPS
Loquito : Grégory JUPPIN
Macard : Michel DELFAUD
Napoleon III : Cyril COSSON​

Chœur Phocéen, chef de chœur : Rémy LITTOLFF
Orchestre du Théâtre de l'Odéon/



Photos : Christian Dresse
1. Danses sur la place ;
2. Danses de salon ;
3. Les travestis (Desmons, Lévy, )  ; 
4. Chanteurs, danseurs (Morgane, Juppin) ;
5. Couple impérial et couple d'amoureux (Cosson, Cabassud et Arbel, Delbruyère) ;
6. Saluts.


              


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