Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

vendredi, mars 31, 2017

L’OMBRE DE COPI ?



L'OMBRE DE VENCESLAO

OPÉRA EN DEUX ACTES DE MARTÍN MATALÓN

D’APRÈS LA PIÈCE DE COPI (1977)

Opéra Grand Avignon

12 MARS 2017


On ne se réjouira jamais trop de l’action du CFPL, Centre français de promotion lyrique, qui produit des opéras avec le concours de diverses maisons qui les accueillent en vue de favoriser la professionnalisation de jeunes chanteurs lyriques grâce à des tournées assez longues pour leur permettre de se rôder sur diverses scènes. Il y eut d’abord Le Voyage à Reims de Rossini (2008-2010) puis Les Caprices de Marianne de Sauguet (2014-2016). Cette fois-ci, il faut saluer de plus que cette fructueuse coopération prenne le risque nécessaire de la création d’un opéra contemporain, L’Ombre de Venceslao de Martín Matalón d’après la pièce de Copi (1977), réalisation scénique remarquable de Jorge Lavelli. Après sa création à Rennes en octobre 2015, la tournée, bénéficiant de vingt et une dates, se poursuivra et achèvera en janvier 2018 (à Montpellier) et aura bénéficié en tout de huit lieux d’accueil coproducteurs (Rennes, Toulon, Reims, Avignon, Clermont, Toulouse, Bordeaux et Montpellier).


L’ŒUVRE
Raúl Damonte Botana, dit Copi (1939-1987) est un romancier, dramaturge argentin qui eut son heure de gloire en France dans les tumultueuses années 70 comme dessinateur satiriste dans divers magazines, dont le Nouvel Observateur, avec sa fameuse dame assise, rogue et roide sur sa chaise, pif énorme sous cheveux raides, qui dialogue ou plutôt monologue avec un volatile informe. Il se lance dans le théâtre et Jérôme Savary, autre Argentin, est le premier à monter ses pièces burlesques et aussi provocantes que le personnage ostensiblement scandaleux qu’il campe volontiers à la ville, suivi du compatriote Jorge Lavelli.
C’est avec ce dernier que Martín Matalón, compositeur argentin vivant aussi en France, se lance dans l’écriture musicale de L’Ombre de Venceslao, pièce de 1977 de Copi, montée d’abord en 1978 par Jérôme Savary au Festival de La Rochelle, puis en 1999 au Théâtre de la Tempête, par Lavelli dans une traduction française avec Dominique Poulange, dont le metteur en scène tire le livret de l’opéra. 
Le texte
Ne connaissant pas le texte espagnol de la pièce originale, je n’en puis guère juger mais, à jauger par la traduction et l’adaptation de Lavelli, on en conclut aisément qu’il n’est pas d’une grande tenue littéraire, même dans un désir de style sans style, de prosaïsme dont on peut pourtant faire de la belle prose : ce texte semble aussi plat sinon que « Waterloo, morne plaine », sans doute que la pampa infinie, sans relief, sans saillie (autre que le coït visuellement réussi non sur mais derrière le drap), sans couleur,  et ce ne sont pas les termes orduriers gras et crus (« bite, couilles, chatte, baiser, chier, chiasse, merde », etc) qui en feront une tonique langue verte, comme ces  « putain », juron aujourd’hui si lexicalisé, si banalisé et édulcoré que, même chez les écolières du Couvent des Oiseaux, ce n’est plus qu’une simple et courante ponctuation banale des phrases : ce qui, dans les années 70 post le choc heureux de 68, pouvait être transgression et agression contre la société bourgeoise est de nos jours éculé (même dans la sonorité ambiguë du terme) : daté.


Situation et personnages : narration et non action
On découvre, au lever de rideau, Venceslao, patriarche despotique à l’ancienne, tyran domestique dont la femme vient de mourir, régnant sur sa maîtresse Mechita escortée de son soupirant, le vieux Largui, son fils Rogelio du premier lit qui désire épouser China sa demi-sœur. Animée d’aspirations diverses, scindée en deux groupes, la famille va se perdre aussitôt dans des voyages opposés, les parents et l’amant vers les chutes d’Iguazú, les enfants incestueux à  Buenos Aires.
« L’Ombre de Venceslao est une histoire d’errance et de famille », dit l’argument, « Dispersion et voyage », insiste Lavelli et c’est là où le bât blesse dramatiquement parlant : nous resterons dans l’histoire, la narration plus que dans l’action nécessaire au théâtre. Nous avons bien, dans le premier tableau, théâtralement parlant, une exposition riche en potentialité de conflits entre les personnages (un amoureux rival du héros ; un couple incestueux face au père autoritaire) mais justement la « dispersion » immédiate du groupe ne laisse pas le temps pour créer un nœud de l’action appelant péripéties et conduisant au dénouement ou catastrophe et cet inceste, pouvant relever d’un œdipe tragique, évoqué d’entrée, n’est plus convoqué du tout ensuite. Tout se résout donc en scènes sans véritable enjeu théâtral dramatique car, même dans celle, dansante, où le compadrito danseur de tango souffle la femme de Rogelio, tout se dissout dans la grotesque diarrhée dont est pris le mari jaloux. Dès lors, non annoncé ni préparé (si on peut dire) le coup d’état et la fusillade qui les exterminent tous trois viennent comme un cheveu sur la soupe, et, comme les affiches du mur, apparaissent comme un placage artificiel.
Par ailleurs, à l’inverse d’un théâtre de Tchékov donnant du temps au Temps de ses anti-héros, les trente-quatre scènes rapides, semées de répliques sèches qui hachent l’histoire, trop courtes, rarement liées, ne laissent pas aux personnages le temps de s’incarner en personnes auxquelles on pourrait s’identifier ou s’opposer, s’attacher ; le seul ayant quelque densité, Venceslao, sitôt planté, disparaît et ne revient, à la fin, que comme un fantôme, cette ombre du titre, qui semble bien celle de Copi planant plus amicalement que théâtralement sur cet hommage sentimental et amical argentin.
Si l’on est sensible à la sensibilité manifestée aux animaux, perroquet, cheval, singe, les seuls moments d’émotion sont encore extérieurs au texte et à la musique de l’opéra : les voix gouailleuses et dramatiques de Tita Merello, Libertad Lamarque et Carlos Gardel, comme une concession obligée à la couleur locale porteña. De même, sans nécessité dramatique, les quatre joueurs de bandonéon montés sur scène en interlude, cependant un moment de grâce musicale, ces éventails d’instruments s’ouvrant et se fermant avec une finesse chromatique d’auréole lumineuse diaprée par le soleil au-dessus d’une cascade.


RÉALISATION, MUSIQUE, INTERPRÉTATION
         Éclairée de lumière diverses dramatiques (Jean Lapeyre ) la scénographie de l’Espagnol Ricardo Sanchez-Cuerda est remarquable d’intelligence et donne une grande unité à l’ensemble, permettant de rapides changement de lieux sans solution de continuité. Lavelli l’utilise au mieux, faisant habilement se succéder les scènes avec une grande fluidité et l’on voit descendre des cintres cet immense lampadaire, à défaut de farolito, réverbère urbain qui éclaire les tangos, qui est comme sa signature.
Mais peut-être un décor moins abstrait eût-il permis de mettre en lumière, à mon sens, une problématique qui hante la littérature et la culture latino-américaines : la dialectique barbarie/civilisation, l’antithèse nature/culture, dans un continent où l’homme ne s’est pas encore fait totalement « maître et possesseur de la nature » selon le vœu de Descartes. Cette problématique se résout, littérairement, en opposition entre la nature, sauvage, inculte, et la ville, cultivée : on aurait alors pu voir (du moins je le vois) que, loin d’être barbare, la nature des chutes d’Iguazú nous révèlent le brutal Venceslao attendri humainement par un singe, un cheval, sans oublier le perroquet ami, alors que la ville est le lieu de la sauvagerie du coup d’état sous couvert d’urbanité mondaine de la danse.
Alors que les autres sont habillés à la mode 50 (Francesco Zito), chapeau de feutre et poncho sur l’épaule, Venceslao est une lointaine réplique du Martín Fierro du roman en vers fondateur de José Hernández (1872) et, quand il part avec sa carriole de Père Courage finalement avec son attirail et sa poule, on l’entendrait presque dire :

Cada gaucho con su china / y te agarras Catalina
(‘Tout gaucho avec sa belle / Et t'emballes l'Isabelle’)
        

Il serait sans doute hardi et hasardeux de formuler un jugement péremptoire et définitif sur une musique entendue une seule fois avec, de plus, une attention dispersée entre scène, jeu, orchestre et prise de notes. Il reste que, avec une seule scène complètement musicale sur trente-quatre, tant de passages parlés, la musique semble pâtir de cette même dispersion du temps sans réussir à imposer son propre tempo, d’autant que Matalón joue aux collages hétérogènes, même hétéroclites, plus au moins fondus dans sa trame et l’on perçoit de vagues rythmes de milongas, voire de zambas, en dehors des inclusions de vrais tangos mythiques. Avec des moyens divers, même une participation acousmatique, elle colle certes bien aux scènes (tempête), sert les paroles mais s’asservit au texte qu’elle semble redoubler souvent, non sans pléonasme, n’arrivant pas à s’ériger en discours de la fosse autonome par rapport à la scène qu’elle se contente d’illustrer plus que de commenter ou même contredire, contrechamp et contrechant peut-être nécessaires à sa propre voix. Le compositeur a heureusement le talent d’exploiter le son du bandonéon sans céder au pittoresque facile de la couleur locale : il donne des lettres de noblesse à l’instrument intégré à l’orchestre.
         Vocalement, ce n’est pas facile pour les interprètes, qui s’en tirent en remarquables musiciens et chanteurs, China ayant la part ardue d’aigus terribles sans préparation, réussis avec grâce par la soprano Estelle Poscio. En opposition de timbre et de voix, l’accorte Mechita est campée avec un charme voluptueux par la mezzo Sarah Laulan qu’on aurait aimé plus entendre. Côté hommes, on ne démérite pas, le Largui de Mathieu Gardon, le Rogelio lumineux de Ziad Nehme, opposés au superbe baryton de Thibaut Desplantes, un Venceslao puissant. Le remarquable danseur de tango, Jorge Rodríguez a la souplesse et pose avantageuse prêtées au compadrito, mais son élégant smoking relève plus du dancing mondain que de la milonga populaire, sans doute parure du geai avec les plumes du paon faisant la roue devant la femme naïve. Tous sont remarquablement dirigés par Lavelli et se tirent avec honneur d’une œuvre ambitieuse dans sa difficulté. Ils sont dirigés de main de maître par Ernest Martínez-Izquierdo en cette délicate affaire, où il fallait coudre le patchwork musical délibéré du compositeur sans qu’on en vît trop les coutures sinon les ficelles. L’Orchestre régional Avignon-Provence relève avec panache ce défi et tient solidement la route de ce déroutant parcours musical.
 à la tête d’un. 

Opéra Grand Avignon 
10 et 12 mars 
L’Ombre de Venceslao,
Opéra de Martín Matalón,
livret de Jorge Lavelli.

L’Orchestre régional Avignon-Provence
Direction musicale :
Ernest Martinez-Izquierdo
Mise en scène et adaptation du livret :

Jorge Lavelli
Collaboration artistique :
Dominique Poulange
Décors : Ricardo Sanchez-Cuerda
Costumes : Francesco Zito
Lumières : Jean Lapeyre
 
China : Estelle Poscio
Mechita : Sarah Laulan
Venceslao : Thibaut Desplantes
Rogelio : Ziad Nehme 
Largui : Mathieu Gardon
Coco Pellegrini : Jorge Rodríguez
Le Perroquet : David Maisse
Le Singe : Ismaël Ruggiero
Gueule de Rat : Germain Nayl

Bandonéonistes : Anthony MilletMax Bonnay
Guillaume HodeauVictor Villena

Photos studio Cédric Delestrade :
1. Venceslao (Desplantes) ;
2. Le départ des vieux (Gardon, Desplantes, Nayl, Laulan) ;
3. Fuite des jeunes (Poscio, Nehme ) ;
4. Le bonheur dans l'inceste (Poscio, Nehme ) ;
5. Le coucou coco danseur de tango (Jorge Rodríguez).
 


mercredi, mars 29, 2017

CORDES SENSIBLES…


FESTIVAL JEAN-CLAUDE PETIT
Marseille, divers lieux
25, 26, 27 et 28 février

Un festival de quatre jours a été consacré au compositeur Jean-Claude Petit, connu pour ses célèbres musiques de films, mais qui ne se limite pas à cela, je ne suis pas trop mal placé pour en parler, puisqu’il mit en musique un livret d’opéra que j’avais écrit, Colomba, créé sur notre scène lyrique en mars 2014, programmation de Marseille 2013 Capitale européenne de la culture, et retransmis par la télévision régionale et nationale, un succès selon la critique.
         Jean-Claude Petit nous revenait pour quatre manifestations les 25, 26, 27 et 28 février dont l’épicentre était une création originale, un Concerto pour mandoline et cordes, une première mondiale, interprété par le fameux mandoliniste Vincent Beer Demander, à qui est il dédié, dirigée par Petit lui-même mardi 28 février au théâtre de la Criée en clôture de ce festival.

         La première soirée, intimiste, commençait chez le luthier André Sakellaridès, pour la musique douillet cocon,  conques de luths, coques de violons sagement rangés et lustrés dans des vitrines comme des vaisseaux au port avant de prendre le vent et l’envol vers la musique. Tel un hôte gai et gouailleur, qui sait faire fable affable de la moindre anecdote, de la moindre croche, sans anicroche, Vincent Beer Demander, de sa mandoline virtuose, de son verbe et de sa verve, présentait, préludait et préparait joyeusement, sur des musiques de films de Petit, l’arrivée discrète du compositeur pour patronner gentiment ce programme, Jean-Claude Petit and friends, puisqu’un hommage était aussi rendu à d’autres musiciens s’étant illustrés dans le cinéma et la mandoline. Une sorte de condensé festif, amical, de la future soirée, avec la complicité talentueuse de Frédéric Isoletta au piano et de la soprano Lucile Pessey aux yeux rieurs ou tristes selon les airs extraits de films qu’elle interprétait avec beaucoup de conviction.
         Vincent Beer Demander
Interprète mais compositeur lui-même, organisateur de ce festival, il manifestait un étourdissant talent d’animateur et présentateur. Né en 1982 à Paris, mandoliniste, il tourne dans le monde entier avec son instrument qu’il a remis à l’honneur. Après avoir animé nombre de classes d’écoles de mandoline, il enseigne actuellement au Conservatoire National à Rayonnement Régional de Marseille et à l’Académie de mandoline dont il est Directeur artistique et se trouve à la tête d’un orchestre de cordes à plectre,  cet onglet dont use la mandoline. On lui doit plusieurs disques, parmi lesquels Massalia Concerto et Mandolinomania. Dans ce dernier, par un Tombeau à Raffaele Calace (1863-1934), il rend un hommage au plus grand des mandolinistes romantiques à cheval sur deux siècles, compositeur et luthier napolitain, qui éleva cet instrument, qu’on croyait dévolu aux pittoresques sérénades et chansons napolitaines, à la dignité de la musique classique. Vincent Beer-Demander semble avoir repris le flambeau de Calace mais, sans nostalgie musicale passéiste, il assume la musique de son temps et la sienne vibre parfois d’accents de hard rock.


Jean-Claude Petit
On ne sait s’il faut encore présenter Jean-Claude Petit : apparemment pas tant furent nombreuses les manifestations de sympathie, de reconnaissance à son égard lors de ces quatre manifestations. Mais l’arrangeur de chansons célèbres, de « tubes », est si connu, l’auteur de musiques de films est tellement entré dans les oreilles, qu’on en oublie qu’il est pianiste, chef d’orchestre, et compositeur dans un grand éventail de genres musicaux ; sans les marques d’estime publiques d’autrui, j’aurais scrupule à en parler personnellement puisqu’il mit en musique le livret d'opéra que j’avais écrit, Colomba,  mars 2014, retransmis en direct à la télé et repris le 2 décembre 2014 sur France 3 à minuit, réunissant quelque 900 000 spectateurs, chiffre officiel. Je pense que cela m’autorise à parler de Petit sans soupçon de complaisance amicale, puisqu’il y l’impartialité du succès sanctionné de l’extérieur, dont je ne fais que témoigner.
Né en 1943 à Paris,  études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il obtient, tout jeune, de nombreux premiers prix. Pianiste de formation classique, donc, Petit s'oriente néanmoins vers le jazz et accompagne notamment Dexter Gordon, Kenny Clarke, Johnny Griffin. Il se tourne ensuite vers la chanson de variété, devenant arrangeur, orchestrateur et compositeur très sollicité pour Juliette Gréco, Marie Laforêt, Julien Clerc, Gilbert Bécaud, Serge Lama, Claude François, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, John Baez, Michel Sardou, Alain Souchon, etc... On se l’arrache. Il en parle avec humour et modestie. Il collabore également à des comédies musicales (La Révolution française ; 36 Front populaire). Parallèlement, n’ayant jamais abdiqué sa fibre première, il dirige de grands orchestres classiques un peu partout dans le monde, et rien moins que le London Symphony Orchestra, le Munich Symphony Orchestra, et les non moins prestigieux Orchestre de Paris, Orchestre de l’Opéra de Paris, l’Orchestre National de France.
À partir des années 1980, c’est la grande aventure des musiques de film et, en dix ans, il remporte un César, deux Victoires de la Musique, un British Award, est nommé aux European Awards et plusieurs fois aux Oscars. À Jean de Florette, 1985, de Claude Berri succède, du même réalisateur, Manon des sources, 1986, et une longue liste de succès, une trentaine de films, un Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappenau, 1990, primé, désormais un classique ; le dernier film, Dalida, de Lisa Azuelos, est de 2017.
Dans le domaine des variétés, s’il compose parallèlement des génériques pour des émissions télévisées célèbres, il écrit aussi des pages symphoniques et met en musique deux opéras, Sans famille, 2007 à Nice et notre Colomba, 2014, à Marseille. Il n’a donc jamais abandonné la composition « classique » que Michel Legrand, autre compositeur célèbre de musiques de films, commence joyeusement aujourd’hui, à quatre-vingt-trois ans…
Le lendemain, dimanche 26 février, on le retrouvait dans l’église Sainte-Marguerite, pleine malgré le soleil et la concurrence de l’OM dans le voisin Vélodrome, pour un large programme, petit échantillon de la diversité de ses cordes, entièrement consacré exclusivement à sa musique qu’il dirigera lui-même, musiques de films ou pièces instrumentales. Le concert était préludé avec des thèmes célèbres de ses musiques de films, dont le fameux Cyrano en entrée par André Rossi, titulaire de l’orgue, compositeur et professeur d’orgue et d’improvisation au Conservatoire de Marseille : sur la vague ombreuse de l’orgue, envol de clarinette mélancolique avant une houle perlée d’écume d’argent. On retrouvait avec plaisir, avec la mandole aguichante et guillerette de Beer Demander, la désinvolte et piquante musique de Beaumarchais l’insolent (1996) d’Edouard Molinaro.
Le compositeur nous offrait ensuite sa récente orchestration des Six épigraphes antiques de Debussy pour piano : une amorce voluptueuse du violon vaporisé rêveusement par les vents avant le chant de la clarinette ; appel albugineux du solo d’argent et réponse crépusculaire des cordes graves, auréole dorée de cor et frisson d’exotique xylophone…Tout le spectre instrumental de la formation de chambre jouant et déjouant le sentiment tonal, entre majeur, mineur, modal, oriental parfois par la couleur. Il faudrait réentendre, pour la savourer cette œuvre nouvelle qui, amoureusement, donne chair et couleurs à la percussion pianistique de l’œuvre initiale de Debussy, respectueusement habitée et habillée par Petit. On comprend, dans cette souveraine liberté debussyste d’essence si moderne, échappant fièrement aux carcans des écoles, des chapelles et des systèmes musicaux impérieux qui vont s’imposer à cette époque, la fascination de Petit pour Debussy, la libre germination d’une musique non inféodée aux modes dogmatiques du temps :  ses deux quatuors, d’une rigoureuse construction sur une brève cellule initiale, tant pour son Quatuor à cordes que pour son Quatuor pour saxophones, une brève cellule initiale développée et déclinée sur l’éventail des possibilités des instruments  respectifs, démontraient, même en une première et sommaire écoute, cette liberté de Jean-Claude Petit, même dans la contrainte formelle de cette forme, quintessence de la composition classique, et sa connaissance et fine maîtrise de ces pupitres divers de l’orchestre.
Ces pièces classiques du compositeur, séduisante découverte, alternaient avec des extraits de ses musiques de films, ainsi, ouvert à l’espace, l’air largement ventilé du Château des oliviers, fameuse série télé de 1993 qui bâtit des records d’audience, un hommage à cette terre de Provence qu’il avait aussi célébrée avec bonheur dans Jean de Florette et Manon des sources.  Le générique de Mayrig du Marseillais Henri Verneuil (1991), avec Claudia Cardinale et Omar Sharif, qui se situe à Marseille lors de l’arrivée des Arméniens rescapés du génocide turc (et des rues de cette ville en perpétuent le cruel souvenir) fut un moment d’émotion, hier et aujourd’hui confondus en migrants, douleur aiguisée par la douceur poignante du doudouk, sorte de hautbois, rare instrument immémorial arménien classé par l’UNESCO, joué, comme dans le film, par Yvon Minassian lui-même qui venait amicalement apporter son concours au compositeur qui en fit l’instrument emblématique d’un peuple martyr.
Jean-Claude Petit, qui présentait avec humour et simplicité les œuvres, dirigeait ensuite l’Orchestre à plectres de Vincent Beer Demander, celui-ci en soliste, gros de quarante musiciens, en général des jeunes, sérieux, mines impressionnées de se voir dirigés par ce monsieur guère impressionnant par son sourire et sa simplicité. 
Petit, Beer Demander, Pessey, l'Orchestre à plectre
Cinéma Mondolino
On retrouvait le lendemain, 27 février, Beer Demander et Petit à l’auditorium de l’Alcazar où le compositeur était soumis aux pertinentes questions de Frédéric Isoletta, pianiste entre autres talents, sur son parcours et sa dernière création, le Concerto pour mandoline, création au cœur du programme du 28 février à la Criée, la grande soirée Cinéma Mondolino, sous l’égide de Marseille-Concerts.
Riche et joyeuse soirée à la gloire de la mandoline organisée et présentée par Vincent Beer Demander, programme consacré à quelques uns des plus grands compositeurs de musique de films du XXe siècle qui ont écrit pour la mandoline, tels Michel Legrand, Ennio Morricone, Nino Rota, Mikis Theodorakis. Nombre de chansons de films furent également interprétées avec sensibilité et humour par la délicieuse soprano Lucile Pessey oubliant le lyrique pour nous séduire en chanteuse de charme ; quelques « tubes » cinématographiques furent élargis à l’Orchestre à plectre conduit par Beer Demander, décidément au four et même aux moulins de mon cœur. Mais toute la première partie était, en somme, une sorte d’hommage qui lui était rendu, à sa mandoline, puisque, de Claude Bolling, Francis Lai, Vladimir Cosma (deux pièces), créations de 2015, à celle de Jean-Claude Petit qui allait se créer, tous les morceaux lui étaient dédiés, réponses aimables de ces compositeurs illustres aux sollicitations inlassables de Beer Demander pour faire vivre son instrument en complicité avec un ensemble de cordes.
On ne boudera pas son plaisir à ces musiques d’agrément, très agréables assurément, touchante et personnelle Romance de mon enfance de Lai, Concertino encore assez jazzy de Bolling, Fantaisie de Cosma et son Concerto mediterraneo, où, avec humour, il recycle habilement, des musiques de ses films. La création du Concerto pour mandoline avec orchestre et cordes dirigé par Jean-Claude Petit lui-même, en soliste Beer Demander, le dédicataire, affichait, dans une durée de dix minutes, une autre ambition. Forme française classique dans son équilibre contenant tous les développements d’une cellule mélodico-rythmique d'entrée, écriture horizontale ponctuée des efflorescences verticales d’un contrepoint harmonique virtuose, où passent, sans s’attarder, des accords de jazz ; tonalité tenue, contenue dans des limites cependant très élargies. Les   cordes pincées de la mandoline polyphonique sont nappées, nimbées des cordes frottées monodiques ou piquées de délicats pizzicati, dans un harmonieux dialogue entre l’instrument soliste et le concertino. Beer Demander, consulté, se réjouira du « traitement habile de la polyphonie à la mandoline, soit [par développement des] résonances d'un accord de 3 sons soit en utilisant la force rythmique de la mandoline par des accords de 4 sons organisés comme une grille, un riff », bref motif ou ostinato. En présentant son œuvre, Jean-Claude Petit disait avec un sourire au public avoir semé « de pièges » la partie dévolue à la mandoline, poussé par les possibilités de l’instrument qu’il venait d’explorer et piqué d’émulation par la virtuosité du soliste mis à l’épreuve. Celui-ci ne me dissimule pas le défi exaltant d’avoir affronté, sinon des pièges, les difficultés qui « découlent de son écriture très dense et notamment des gammes et arpèges complexes, des enharmonies et de l'agencement de la partie de mandoline dans ce contexte "frotté" qui demande une grande précision rythmique. La fin est redoutable. » Mais exaltante pour l’interprète qui reçoit le cadeau, auquel il répond admirablement, d’une très longue cadence virtuose, comme un sacre de la mandoline reine au milieu des cordes frottées consacrées, un moment silencieuses comme un signe, sinon de vassalité, de respect admiratif.
         Comme le nôtre.


 Prodig'Art est partenaire du Festival 





jeudi, mars 23, 2017

TEMPS ET TEMPO DE PÂQUES

               Gaëlle Vitureau, Lisa Magrini : sopranos ;  Romane Kriger : viole de gambe ;  
                                        Benoît Dumon : orgue, clavecin et direction.  
                                              Concert : 
       Ex Tenebris Lux, œuvres pour la Passion et Pâques
                               samedi 1 avril à 17:30


Tout un pan de l'histoire de la musique religieuse  (Stabat Mater, passions, motets...) 

mercredi, mars 22, 2017

DES AS (AU FÉMININ PLURIEL?) ATOUT DAMES = À TOUT CŒUR

Arts et Musiques & Les Voix de l'Alcazar
ont le plaisir de vous présenter

LES BRIGANDES DU CHÂTEAU D'IF
Chansons Marseillaises


DIMANCHE 26 MARS 2017 - 15H
LA CROISÉE DES ARTS
Place Malherbe, 83470 Saint-Maximin-la-Sainte-Baume

Une comédie musicale sous le signe du soleil


 RENSEIGNEMENTS ET RESERVATIONS

La Croisée des Arts Pôle Culturel Provence Verte
Place Malherbe, 83470 Saint-Maximin-la-Sainte-Baume
04 94 72 58 85 - Tarif adultes : 18€
Tarif enfants – de 12 ans et étudiants et groupes + de 10 pers : 13€

Proposé par l'Office municipal de la culture de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume

Une création unique à découvrir sans plus attendre !

Brigitte Peyré (soprano) et Murielle Tomao (mezzo soprano) adaptent leurs voix au registre du musical de Broadway et vous font redécouvrir ce patrimoine culturel drôle, poétique, mâtiné de tango, d'habanera, de swing et de jazz. Ces chansons marseillaises - arrangées par Ludovic Selmi, plus proche de l'univers de Pink Martini que celui de Luis Mariano - résonnent à nouveau sur scène portées par le rire, l'émotion et la joie de vivre des Brigandes du Château d'If. Cette même joie de vivre des "Voix de l'Alcazar" qui faisait danser et chanter le Paris et le Marseille des années folles.
Les Voix de l'Alcazar présente la Vidéo Teaser du spectacle des Brigandes du Château d'If au Théâtre Silvain de Marseille le 5 Juin 2015. Organisation et production : Arts et Musiques.
                                     
                                        www.artsetmusiques.com
                                                 Dossier de presse et "teaser" du spectacle 

                                                             Opérettes et Chansons marseillaises.
Création 2015 avec :
Brigitte PEYRÉ, Soprano
Murielle TOMAO, Mezzo Soprano
Accompagnées par :
Rémy CHAILLAN, Batterie
Eric CHALAN, Contrebasse
Gérard OCCELLO, Trompette
Jean-Christophe SELMI, violon
Ludovic SELMI, Piano et arrangements
Mise en scène, Olivier PAULS

TOURNÉE 2017
  > 11 février - Les Pennes Mirabeau / Espace Tino Rossi | 17h
  > 26 mars - St Maximin / A la Croisée des Arts | 15h
  > 19 mai - Digne les Bains / Centre Culturel René Char | 21h
  > 25 juin - Marseille / Dimanches de la Canebière | 16h
  > 12 juillet - Puy Ste Réparade / Place Louis Philibert | 21h

VOIR MA CRITIQUE  SUR CE BLOG :

lundi, décembre 12, 2016

BRIGANDAGE HEUREUX




samedi, mars 18, 2017

L'UNIVERSEL DANS LE LOCAL



"Vaste fresque musicale, l’œuvre d’Arthur Dente, « Mundo Entero »​,​ ​présente sept pièces interprétées pa​r un​ ensemble composés de​ 10​ ​chanteurs ​et ​musiciens professionnels. Dans cette œuvre, une relation privilégiée s’établit entre la voix​,​ la guitare​, la flûte et quelques percussions​ venant ponctuer l'ensemble . A la fois accompagnatrice​s​ et soliste​s​, ​les parties instrumentales génère​nt​ un univers musical profond et sensible​. Les textes chantés abordent à la fois le thème de l’adolescence, du cheminement, du dilemme ou de la figure paternelle dans différentes langues, en français, portugais et espagnol, marquant l’appartenance du compositeur à ces différentes cultures. Puisant dans les musiques du monde, fado et flamenco entre autres, le compositeur élabore un langage musical savamment écrit,  d’une grande originalité et toujours irrigué par le jeu virtuose de la guitare"​.


                                             Arthur Dente & l’Octuor Vocal de Provence
                                                                    présentent   

                                                              MUNDO ENTERO
                                      « Une fresque musicale pour Choeur, Flûte et Guitare »
                                                            DIMANCHE 26 MARS  2017 - 17H
                                                            Salle Sévigné - Place des Etats Généraux
                                                                     13410 LAMBESC
                                                            Entrée: 12€ (Gratuit enfants < 12 ans)
Website: arthurdente.com
Réservations:  06 20 91 47 27

mardi, mars 14, 2017

UNE GRANDE VOIX AU BÉNÉFICE DES PETITS

                                   « La diva des cités » 
délaisse la sienne pour venir dans la nôtre, face à la Cité radieuse du Corbusier, à la Magalone, pour chanter au bénéfice de l'enfance.

     Son projet, Une diva dans les quartiers,  a permis de rendre l’opéra accessible à tous et, en particulier, dans le milieu populaire. Elle est à la tête de l'association Voix en Développement qui forme chaque année les habitants des quartiers les plus populaires de France au chant lyrique. Sa troupe, composée d'instrumentistes et de solistes professionnels mais aussi des chœurs amateurs produit chaque année un opéra différent pour une quinzaine de dates en France et en Europe.

vendredi, mars 10, 2017

NAPLES LYRIQUE


LyricOpéra 
Chansons napolitaines et opéra

Marseille, Temple Grignan,

11 mars 2017



         Déjà voué, en plus du culte protestant, à la musique par une riche programmation, le Temple Grignan est aussi devenu un temple lyrique grâce à l’obstination, au goût et à l’oreille de Marthe Sebag : elle y programme depuis 2009 des soirées d’un grand niveau vocal mais, avec la particularité qu’il faut signaler, qu’elle donne carte blanche à de jeunes chanteurs prometteurs ou déjà bien affirmés, et certains qui s’y sont produits font désormais de belles carrières. Le mois dernier, l’admirable baryton-basse, Wenwei Zhang, soliste à l’Opéra de Zurich, qui avait inauguré les concerts à l’origine, programmé en Varlaam dans le remarquable Boris Godounov à l’Opéra de Marseille, y était venu donner un récital en remerciement à la confiance qui lui fut faite autrefois. Mais un Luca Lombardo, ténor marseillais qui court le monde en défendant le répertoire français, le Chouiski du même Boris, arrivant de Santiago du Chili où il venait d’interpréter le héros de La Damnation Faust de Berlioz, ne dédaigne pas d’honorer le temple comme chanteur et même spectateur.

         Ce soir-là, avec un programme de Chansons napolitaines et opéra qui nous laissait d’abord dubitatif tant on entend, tan-tan, le tintamarre napolitain à la sauce même pas napolitaine même par de grands chanteurs, dans une ignorance bien coupable de l’accent et de la couleur particulière de cette langue, qui mérite plus de respect, je ne serais pas venu sans l’instance de Gérard Monchablon, préposé aux lumières et aux belles projections qui éclairent les airs, fin connaisseur et amoureux  des voix, assidu des grands Opéras du monde grâce à sa profession de pilote de ligne pour longs courriers, connu des plus grands chanteurs qui l’autorisent à les filmer pour avoir une trace de leur jeu et chant. Je devais ainsi découvrir le ténor Rémy Poulakis, par ailleurs accordéoniste.

         Il partageait l’affiche avec Lucile Pessey, adorable soprano, et le pianiste Vladik Polionov qui les accompagnait attentivement, nous privant ce soir-là d’un solo piano que l’on attend toujours de ce grand artiste salué entre autre par Opéra Magazine, mais s’érigeant présentateur disert mais discret des morceaux interprétés par les chanteurs. Connaissance déjà ancienne mais toujours nouvelle, tant elle sait se renouveler dans un large éventail d’interprétations lyriques, Lucile Pessey, que nous avons la chance d’entendre dans nombre de concerts de qualité, voix soliste des soirées du festival consacré au compositeur Jean-Claude Petit dont nous parlerons, illuminait de son timbre limpide et raffiné, frais vibrato, cette soirée. D’une expressivité vocale sans outrance, la chanteuse nous faisait aussi lire délicatement la partition sur son visage dans deux mélodies de Paolo Tosti, charme troublant de Malia, amertume de l’abandon dans Non t’amo Più. Mêmes qualités de comédienne lyrique, mais dans l’air dramatique, puissant et orné à la fois de la Mathilde de Guillaume Tell de Rossini puis dans les extraits de Rigoletto et de Traviata de Verdi, en solo ou en duo avec Rémy Poulakis.

         Ce dernier, pour la première fois à Marseille, avenant et souriant, n’usurpait pas, ne dénaturait pas enfin, comme tant de chanteurs, le chant ni l’accent napolitains, heureux époux d’une femme du cru et l’on peut imaginer les conséquences d’un mariage à la Napolitaine si le mari avait trahi ce patrimoine si charnellement chéri à Naples ! S’ouvrant une ouverture à l’accordéon, telle une déchirure, alors que le piano de Vladik Polionov jouait des arpèges de guitare, il se lançait dans le redoutable et émotionnel Core ‘ngrato de Salvatore Cardillo, maîtrisant la passion, fatale à la voix chantée,
tout en nous passionnant et émouvant : voix large, médium solide, aigu aisé, ce qui ne l’est guère pour un chanteur assis, son instrument entre les bras. Du même Cardillo, le plus confidentiel Dicitencello vuie, sera interprété avec une tendre conviction mais, la trop fameuse Danza de Rossini, qu’on se lasse déjà d’entendre tellement, il la renouvelle par la virtuosité de son accordéon aux brillantes variations et la volubilité vocale que témoigne cette voix large et corsée. Il sera un élégant et désinvolte duc de Mantoue avec une belle cadence comme un panache, un bouillant Alfredo avec l’émouvante Violetta de Lucile dans « Addio del pasato… », beaux et touchants duos, et l’on pardonnera aux deux jeunes chanteurs leur bis du sempiternel « Libiam… » de Traviata, usé jusqu’à la corde par des chanteurs sans imaginations réduits à se copier et recopier depuis les Trois ténors, au titre que, oui, eux, ils exécutent réellement les traits délicats, les ornements de séguedille en doubles croches quand tant de chanteurs en font une vraie exécution capitale en les réduisant à la lourdeur de la croche.

LyricOpéra
Chansons napolitaines et opéra
Marseille, Temple Grignan,
11 mars 2017
 Lucille Pessey, soprano, Rémy Poulakis,
Vladij Polionov, piano
Airs de Tosti, Cardillo, Rossini, Verdi.
Disque avec Lucille Pessey


jeudi, mars 09, 2017

Un régal








MÉLODIES D'AÈDES

(Amours, délices et cordes)

Création originale autour de l’exposition Le Banquet 

au Musée d’archéologie de Marseille


Marseille, Vieille Charité, 5 mars 2017



         Sous l’égide de Marseille Concerts, qui fête ses trente ans, infatigablement animée par Robert Fouchet, sous la rubrique Muséique, ‘Musique au Musée’, sont proposés aux mélomanes marseillais, dans des lieux patrimoniaux, des concerts raffinés, échos sonores aux œuvres visuelles exposées. Marseille, avec plus de deux-milles-six-cents ans d’histoire, prise trop souvent de vandale ivresse, se penche désormais, en son troisième millénaire, sur ce passé et, à la faveur de travaux dans le noyau de la cité antique, d’émouvantes découvertes archéologiques, modestes restes de vaisselle, dans le joyau architectural de la Vieille Charité, ont motivé une petite mais passionnante exposition, Le Banquet, de Marseille à Rome. ‘Plaisirs et jeux du pouvoir’ (jusqu’au 30 juin 2017).

         C’était l’occasion de laisser à la soprano marseillaise courant la France Isabelle Bonnadier, avec la savoureuse complicité de Laurent Vercambre, le plaisir de dresser la table musicale, le menu d’un délicieux concert dans le creux hospitalier de la chapelle ovoïde de la Vieille Charité, pleine littéralement presque comme un œuf, banquet manquant de banquettes, le public n’ayant trouvé place assise nonchalamment mais inconfortablement appuyé debout contre les murs et colonnes et, les mieux lotis, assis sur des marches ou à même le sol.


La Vieille Charité, sur les plans du génial et malheureux Pierre Puget, architecte baroque local rejeté par Versailles, hôpital au XVIIe siècle pour les indigents, aujourd’hui centre culturel et muséographique, c’est un sévère quadrilatère, un portique festonné d’arcades sur sa base, élevant deux étages d’arcades symétriques, telles des paupières rêveuses aveugles, avides de regard sur la coupole en œuf coiffant la chapelle centrale de la cour, rigueur d’épure égayée cependant par cette rare pierre rose de l’Estaque épuisée, déjà prisée par les Romains, usée aussi pour la Tourette, le clocher Saint-Laurent, les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas, fermoirs du collier du Vieux Port : l’histoire pétrie dans la chair d’une pierre. Digne des intimistes églises romaines de Borromini par sa structure élaborée, mais dans l’élégante sobriété ornementale de la pierre nue, l’intérieur ellipsoïdal de la chapelle sous la voûte ovoïde soutenue de pilastres et colonnes cannelés adossés, est, sur les côtés, taillé d’encoches à hauteur d’homme ouvrant sur de petites galeries, telles des coulisses, et la balustrade de la tribune semble le balcon d’un faux théâtre du vrai Baroque.


Dans une encoignure jouxtant une table avec des nourritures terrestre et spirituelle (fruits, vin, livre) une mince estrade, deux pupitres, et, dans le fond des instruments de musique : un creux, un écrin pour les duettistes.

D’Isabelle Bonnadier, chanteuse, comédienne, auteur et musicienne, je crois avoir dit, il y a longtemps, qu’elle était par, nature, gracieuse sans gracieuseté, et on lui retrouve avec bonheur ce charme intact, indéfinissable. Sans chercher à enfermer cette libre artiste dans les limites fermées d’une définition définitive, on pourrait du moins, à travers le spectacle proposé, la cerner un peu dans sa palette si diverse par le même type de formule de qualités nuancées de rien de trop qui pèse ou pose : intelligent sans intellectualisme, simple sans simplisme, même enfantin sans enfantillage (comptines) en somme, cultivé sans vain étalage de culture. Qu’on en juge : on nous sert, sans solution de continuité, avec humour et sourire, du parlé au parlé-chanté, on passe à la chanson, du rap au lyrique ; pour les musiques on vogue de mélodies grecques antiques à Dowland et Purcell, du sarao de la chacona, picaresque danse du Siècle d’Or, chacone recueillie par Cervantès, à Marin Marais, de Brahms, à Verdi, en passant par Mozart, Offenbach et son inénarrable hymne au galop du « Jambon de Bayonne », des chansons de Charles Cros à Trénet, Brel, Brassens, Gainsbourg, Ricet Barrier, et Vercambre lui-même, etc, dans un pot-pourri rieur de textes d’Euripide, Ovide, Posidonius, Alcée, pour les anciens, d’Hugo à Rilke, de Neruda à Michel Butor, Marie Rouanet, en passant par des poèmes grecs et indiens… Quant à son compère Laurent Vercambre, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a plus d’une corde, même vocale, à son arc, frottées et pincées (même sans rire) : il passe avec aisance de la guitare espagnole à la lyra crétoise, du violon italien au bouzouki grec, au nyckelharpa suédois, sorte de vièle à clavier. Isabelle grattera aussi un peu la guitare, mais scandera certains morceaux des percussions du daf persan et du tambourin napolitain. Laurent Vercambre, véritable homme-orchestre par ses multiples dons d’instrumentiste doué et multi-primé, apporte, à la voix ductile d’Isabelle, une note, des notes, ses notes souvent, drolatiques, pimentées, contrepoint facétieux à la douceur d’Isabelle Bonnadier.


Textes et musiques, que j’ai rangés par la chronologie par commodité, étaient joyeusement dérangés, arrangés, assaisonnés, selon l’ordonnance d’un succulent menu concocté par un fil conducteur, Les Âges de la table, la TABLE ou plutôt l’autel culinaire auquel notre duo sacrifiait avec gourmandise, étant personnifiée, avec, en entrée, une « Création du monde » d’Euripide, la « Genèse », une « Cosmogonie » indienne et grecque, avec, en amuse-gueules, la « Création » récréation de l’Homme et de la Femme. « L’Enfance », on aurait voulu la retenir, bien sûr, avec sa plaisante Litanie des noms de pommes (où manquait je crois — ouf ! — la pomme d’Adam qui nous reste en travers), ses comptines et une chanson vraiment poétique de Trénet, Une noix.

On ne peut décliner par écrit, qui risquerait l’indigestion pour un petit appétit, la richesse plantureuse mais très digeste à l’audition de ce banquet, mais on retiendra la liste des fromages arrosée de l’air du vin de Don Giovanni (gaillardement au féminin) qui espère que la sienne s’allongera de l’ivresse de la danse, mais le remarquable éloge grinçant des Pissenlits (M. Boukay, M. Léguay), qu’on finit par bouffer par la racine et « À mon dernier repas » (Jacques Brel/Laurent Vercambre), apportaient une note grave, sinon funèbre, à ce terrestre et hédoniste repas, dont on se lèche les doigts.  

On en reprendrait volontiers et l’on rejoint cette savante femme qui réclame au plat poète (mais moi à ces deux artistes) :


« Servez-nous promptement votre aimable repas. »



Isabelle Bopnnadier et Laurent Vercambre

Mélodie d’aèdes

(Amours, délices et cordes)

Création originale autour de l’exposition Le Banquet 

au Musée d’archéologie de Marseille

Marseille, Vieille Charité, 5 mars 2017


Musiques : Brahms, Dowland, Marin Marais, Mozart, Offenbach, Purcell, Verdi, etc

Textes : Alcée, Butor, Euripide, Gautier, Hugo, Neruda, Posidonius, Rilke, Vercambre, etc…

Chansons : Barrier, Brassens, Brel, Cros, Ferrer, Gainsbourg,  Misraki, Trénet, etc.

Photos : 
1 et 2, B. P.  
3. : François Suquet.















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