Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

vendredi, juillet 29, 2016

AURORE D'UN GRAND FESTIVAL


CLASSICABANDOL

FESTIVAL DE BANDOL 
6-14 août 

        Des peintres, de grands écrivains, Marcel Proust, Aldous Huxley, DH Lawrence, Thomas Mann, Prix Nobel, en ont goûté et vanté le charme : Bandol, jolie petite ville, coquette station balnéaire pomponnée par ses palmiers, Bandol, embrassée d'un regard amoureux du balcon rocheux de l'Éden Roc, Bandol, ses plages de sable fin, de galets, ses criques, son port de plaisance où dansent et se balancent doucement, abrités du féroce mistral, de sages troupeaux de bateaux blancs, Bandol, célèbre aussi par son cru, son vin, a désormais aussi un festival permanent de musique. Un festival, sinon nouveau, il est né il y a un an, mais tout jeune : le Festival de Bandol qui ambitionne de devenir le grand, le plus grand festival du Var, sous le nom de Classica Bandol. À quarante-cinq kilomètres à l'est de Marseille par l'autoroute, à quelques minutes à l'ouest de Toulon, le ciel de Provence accueille un nouveau grand festival.
     Il commencera le 6 août, au cœur de l'été, en plein cœur de l'émotion musicale, et nous accompagnera jusqu'au 14 août, en somme jusqu'à « la Nuit des étoiles », nous offrant une constellation de concerts, une pléiade stellaire de soixante et dix compositeurs autour desquels graviteront soixante solistes, des stars dans leur domaine, piano, clavecin, orgue, chant, orchestre ou formation de chambre. Ce serait encore compter les étoiles qu'énumérer tous les grands compositeurs qui éclaireront ces soirées et nuitées estivales et festivales. Mais Bach pourra y voisiner avec Trénet, Brel, Gainsbourg, Michel Fugain, le roi Henry VIII, l'épouseur à toutes mains, le Barbe-Bleue anglais qui composait entre deux épouses décapitées fera la paire avec Christiné, le baroque jouera avec le jazz, la musique yiddish fera écho à la brésilienne, le clavecin à l'accordéon, au bandonéon, etc, etc. Et, magnifique surprise, à l'éloquence muette des images, le célèbre film muet de Rupert Julien de 1925, Le Fantôme de l'Opéra, répondra en musique Jean-Philippe le Trévou avec, sous ses doigts, le plus grand orgue de cinéma de France, pour une représentation sur écran géant en plein air, le samedi 6 août à 21 heures, Place de la Liberté.
    Mais, à fantôme, fantômes et demi, cette grandiose séance de cinéma sera précédée à 19 heures, dans la salle Marcel Pagnol, par le concert inaugural du quatuor Anches hantées (attention pas de mauvaise et salace interprétation : les (z) anches, ne sont pas des hanches avec h, aux voluptueuses ondulations, mais une classe d'instruments avec une anche, languette mobile qui ouvre et ferme alternativement le passage de l'air dans un tuyau, où on la fait vibrer, comme les hautbois, les bassons et les clarinettes. Qui nous fera voyager de Brahms à Puccini en passant par Trénet et sa fameuse Mer des golgfes clairs comme Bandon, avec un récitant et metteur en scène Jean Manifacier.
    Belle soirée et nuitée d'ouverture que ce 6 août. Mais, sans détailler l'éventail si riche de la programmation qu'on trouve aisément, sur le site remarquable CLASSICABANDOL.COM, je signale juste pour montrer l'harmonie et la symétrie de ce festival, sa cohérence, la soirée de clôture, le dimanche 14 août, à 21 h15 au théâtre Jules Verne, le concert, avec pour soliste un autre clarinettiste Patrick Messina sous la direction de David Reiland à la tête de l'Orchestre symphonique de l'Opéra de Saint-Étienne, pour un autre programme qui nous promènera de Mozart, avec l'ouverture de son opéra seria Idoménée, roi de Crète et son sublime Concerto pour clarinette K522, en passant par Astor Piazzola qui ne fut pas que le rénovateur du tango mais un grand compositeur classique, avec sa Suite N°2 : la Danza criolla, 'Danse créole', le célèbre Oblivion et Tres movimientos tanguísticos porteños , 'Trois mouvements de tango de Buenos Aires'.
     Toute la programmation serait à citer, mais signalons tout de même, dans ce même théâtre Jules Verne, mais à 19 heures le 9 août le concert des Voix animées, ensemble a cappella remarquable, musicalement et chaleureusement animées par le baryton Luc Coadou, qui passe de la musique ancienne polyphonique à des chansons contemporaines souvent festives, de Brel, des Beatles, Gainsbourg ,etc traitées polyphoniquement avec un irrésistible humour.
    On ne le répétera jamais assez : il n'y a pas de grande et de petite musique mais de la  bonne et de la mauvaise et le Festival de Bandol nous en offrira encore une preuve.
     Oui, de la joie à Bandol et nous en avons bien besoin. Et, autre joie, dans le même lieu mais à 21h15, ce même 9 août nous retrouverons, dans un programme de piano, Mozart, Milhaud, Tchaïkovski mais aussi Norbert Glanzberg, un grand musicien juif polonais, ami des plus grands compositeurs comme Bartok et Berg, dont la vie est un terrible roman d'aventures : pourchassé par les nazis qui classent sa musique dans ce qu'ils appellent entartäte Künste, 'Art dégénéré ', réfugié en France mais toujours poursuivi, dénoncé, emprisonné, évadé de prison grâce à Marie Bell, la grande actrice, protégé par des amis artistes, accompagnateur de Tino Rossi, d'Édith Piaf pour laquelle il compose le fameux Padam, Padam, et les Grands Boulevards pour Yves Montand. Il incombera de nous faire découvrir sa Suite Yiddish à deux belles pianistes, Laure Favre-Khan et Caroline Sageman.
     Mais, sans entrer dans ce programme si varié et si riche qu'on peut découvrir sur internet, il est juste de dire que, si ce Classica Bandol a pour écrin Bandol et, dans la ville, divers lieux en seront le cœur battant, l'âme de ce Festival en est Frédéric Wolf, Directeur  et producteur, artiste lui-même, éclectique dans ses goûts et passionné dans leur partage. Voilà déjà plus d'un tiers de siècle, trente-trois ans pour être précis, qu'il est dans ce métier, qu'il baigne dans la musique. Violoniste amateur de haut vol, il vole haut comme solo d'orchestre de chambre amateur et semi-professionnel pendant vingt ans : de quoi nourrir et être nourri par un vaste répertoire. Mais, dès vingt ans, il est producteur. Il crée des ensembles, des festivals, leur trouve des financements, les administre et en assure la direction artistique, la publicité. Une profonde expérience qui lui vaut la confiance et l'amitié de grands artistes qui répondent à ses rendez-vous tels ces autres célèbres intervenants, le comédien Francis Huster pour Une nuit chez Musset, concert théâtral lors duquel il lira des textes de Musset en écho au récital Chopin d'Hélène Tysman, ou encore Patrick Poivre d'Arvor qui jouera les récitants le 11 août pour un concert-lecture avec harpe et clarinette.
     À saluer encore, personnellement, le programme de l'Ensemble vocal Calypso, de bien charmantes dames, le 15 août à 19 heures, Salle Marcel Pagnol.
Mais le plus sage, face à cette trop brève présentation, est de se reporter au site, très bien fait, comportant programmes, lieux, horaires et prix :

CLASSIQUES AMÉRICAINS DU XXe SIÈCLE


Enregistrement 19/7/2016, passage, semaine du 1/8/2016

RADIO DIALOGUE RCF

(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 234

Lundi, 12h15, 18h15, samedi à 11h45



Classiques américains
     Cette époque de vacances nous invite au voyage et voici un disque qui nous amène, sur les ondes de la musique, sur les rives de l'Atlantique et même du Pacifique, sur les rivages des États-Unis. C'est toujours un plaisir et souvent une découverte que de présenter un nouveau CD du label Indésens attaché à défendre ou à faire découvrir des œuvres rares ou mal connues. En effet, que connaissons-nous, en général, de la musique américaine dite « classique » ? Il est vrai que, laissant le sens d'art classique opposé au baroque ou romantique, ce qualificatif de « classique » est discutable  puisqu'il signifie, en premier lieu, une œuvre qui s'étudie en classe, qui est considéré comme modèle à connaître, expliquer, reproduire. Donc, ce terme de « classique » est d'autant plus inapproprié pour ce qui relève de l'art aux États-Unis que cette nation, jeune encore en regard de nos vieilles cultures, n'a pas hérité comme les nôtres, de l'écrasant héritage culturel qui installe les créateurs européens dans des traditions souvent contraignantes, parfois paralysantes, avec un foisonnement de références, de moules à partir desquels se forme et définit une œuvre d'art. Même s'il reprend, naturellement, les canons de l'art européen, l'artiste américain est donc souvent plus libre en regard de son public et de ses critiques, et son inspiration spontanée n'est donc pas étouffée par la somme de comparaisons obligatoires avec des prédécesseurs prestigieux, jugés indépassables, ou avec lesquels il faut forcément se mesurer, se comparer comme le créateur européen soumis à des modes, des écoles. Il a une liberté plus grande.


    Et c'est d'abord la première qualité de ce disque, American classics, qui nous présente une superbe collection de grands compositeurs américains du XXe siècle, célèbres bien sûr, qu'on peut sans abus de langage appeler « classiques » au sens banal qu'on donne à cette musique, mais pour situer leur musique qui n'est ni de la variété ni de la musique de film à laquelle on assimile en général la musique américaine. Encore que, fort heureusement, il n'y a pas de « grande » ou de « petite musique » mais simplement de la bonne et de la mauvaise. D'ailleurs, comme un clin d'œil, ce panorama des classiques américains commence… justement par une musique de film et, qui plus est, d'un français, Georges Delerue (1925-1992), né en France mais mort américain à Los Angeles, par la musique qu'il composa en 1973 pour le film de François Truffaut appelé, justement aussi, La Nuit américaine.

    Ce disque, c'est donc une compilation de certains des plus grands compositeurs américains, que je donne par ordre alphabétique, Samuel Barber, Leonard Bernstein, Aaron Copland, Charles Ives, plus Georges Delerue naturellement. il manque les représentants de la génération plus jeune de la "musique répétitive",  Terry Riley (né en 1935), La Monte Young (né en 1935), Steve Reich (né en 1936) et Philip Glass (né en 1937). Sans doute parce que, pour harmoniser la présentation des musiciens sélectionnés, on a choisi des pièces pour cordes et vents, ici brillamment interprétées par de grands musiciens français : Eric Aubier à la trompette, Philippe Berrod et Philippe Cuper à la clarinette, Christelle Chaizy au cor anglais, Nicolas Prost au saxophone et Angéline Pondepeyre et Laurent Wagschal au piano, avec l'Orchestre à cordes de la Garde Républicaine dirigé par Sébastien Billard et aussi l'Orchestre symphonique de Bretagne dirigé par Claude Schnitzler.    
    Enregistrés à des dates différentes, les morceaux sont cependant d'une même égale qualité musicale et la prise de son est remarquable. On en apprécie d'autant plus la fraîcheur et la puissance de ces œuvres. Entre autres bonheurs d'écoute, on savourera le très jazzy er dansant Concerto pour clarinette et cordes, harpe et piano, 1948 d'Aaron Copland, Philippe Cuper à la clarinette  avec l'Orchestre symphonique de Bretagne dirigé par Claude Schnitzler.  On en peut écouter des extraits fournis du disque grâce a la générosité du label Indesens sur son site : 
       american classics indesens;
       On trouve donc Aaron Copland, qui vécut de 1900 à 1990 et il intégra nombre de mélodies du folklore américain dans sa musique et, dans la pièce ci-dessus, des couleurs latino-américaines. 
    Leonard Berstein (1918-1990), mort la même année que Copland, est certainement le compositeur le mieux connu de ce panel grâce à son célèbre West side story (1957) immortalisé par le cinéma. Mais il fut aussi un grand pianiste et un chef d'orchestre international remarquable qui a dirigé les plus grands orchestres du monde. Son œuvre est importante, des symphonies, des opéras, dont le fameux Candide, des ballets, de la musique de scène, des films. Doué d'un grand humour et d'un sens pédagogique admirables, dans des séries d'émissions en direct à la télévision, il a familiarisé par le jeu les enfants à la « grande » musique en leur expliquant souvent notre à note à note, les morceaux qu'il interprétait au piano pour en donner des exemples.
         Charles Ives est le doyen des compositeurs de ce disque puisque né en 1874 et mort en 1954. Après des études musicales à l'université de Yale, il abandonne cependant la musique pour se lancer dans les assurances et fonder une compagnie prospère. Il continuait pourtant à composer de la musique sans la faire publier ni jouer. En 1920, pour des raisons de santé, il abandonne toute activité, artistique et professionnelle. Et pourtant, l'avant-garde musicale de New York le découvre et commence à faire jouer sa musique si particulière, originale, mêlant éléments populaires et d'une extrême recherche avant-gardiste. Malheureusement, nombre de ses œuvres les plus importantes, comme sa quatrième symphonie ne seront jouées qu'après sa mort. On apprécie le charme mystérieux de sa Question sans réponse, celle de l'existence, au départ intitulée Central Parl in the dark, en 1908, et remaniée, parée d'un autre titre, en 1930.
S         Ce morceau semble préfigurer le célèbre adagio de  Samuel Barber (1910-1981). Commençant à composer dès l'âge de sept ans à Philadelphie, Barber part se perfectionner plus tard à l'Académie américaine de Rome en 1935. L'année suivante, il écrit un quatuor à cordes en si mineur, dont il arrangera plus tard le second mouvement — à la suggestion d'Arturo Toscanini, qui en sera le créateur. La pièce, d'une rêveuse nostalgie post-romantique, nimbée de mysticisme, deviendra célèbre sous le nom d'Adagio for strings, 'Adagio pour cordes'. Barber l'adaptera encore pour chœur sous le nom d'Agnus Dei, soulignant sa dimension religieuse.Musique si émouvante qu'elle a éclipsé pratiquement toute son œuvre, utilisée dans divers films, de guerre.



           AMÉRICAN CLASSICS, UN CD INDÉSENS. Georges Delerue (1925-1992) : La Nuit américaine. Aaron Copland (1900-1990) : Quiet City pour trompette, clarinette, saxophone, piano ; Quiet City pour trompette, cor anglais et cordes ; Concerto pour clarinette et cordes, avec harpe et piano. Samuel Barber (1910-1981) : Adagio pour cordes. Leonard Bernstein (1918-1990) : Sonate pour clarinette ; Rondo for Lifey ; Prelude, Fugue and Riffs pour saxophone soprano et ensemble de jazz. Charles Ives (1874-1954) : Unanswered Question pour trompette et cordes, avec hautbois et flûtes. Eric Aubier, trompette ; Philippe Berrod, clarinette ; Nicolas Prost, saxophone ; Laurent Wagschal, piano ; Philippe Cuper, clarinette, Orchestre symphonique de Bretagne, direction : Claude Schnitzler ; Orchestre à cordes de la Garde républicaine, direction : Sébastien Billard ; Angéline Pondepeyre, piano ; Paris Light Band, direction : Fabrice Colas. 1 CD Indesens. Enregistrements réalisés entre 1992 et 2015. Durée : 74’2







dimanche, juillet 24, 2016

NAGASAKI POST-HIROSHIMA



Madame Butterfly
(1904)
Musique de Giacomo Puccini,
livret de Giacosa et Illica
d'après la nouvelle de John Luther Long et la pièce (1900) de David Blasco

Chorégies d'Orange
12 juillet 2016

    Ayant rendu compte de l'excellente reprise marseillaise de mars 2016 de Madama Butterfly sous le titre de Papillon épinglé, j'en reprends ici l'introduction, les circonstances et origine de l'œuvre : à reprise d’œuvres du répertoire, reprise forcément de présentations répertoriées sur les mêmes.
L’œuvre
    Avant ce chef-d’œuvre, il y eut d’autres œuvres sur le thème : Madame Chrysanthème (1882), roman autobiographique de Pierre Loti. Se mettant en scène crûment, il raconte comment, à Nagasaki, le temps d’une escale de son navire, par contrat légal renouvelable d’un mois, il épouse en juillet une jeune Japonaise qu’il quitte en août, la femme pouvant se marier ensuite sans problème, du moins nous dit-on. Porté par la mode orientaliste et l’exotisme colonial manifeste dans Lakmé de Delibes (1883) qui oppose deux mondes, l’Orient er L’Occident impérialiste, le roman à succès fut mis en musique par Messager (1893). Le galant et ambigu Loti récidivait : il avait déjà écrit Le Mariage de Loti (Rarahu) (1882), évoquant un séjour et un mariage à Tahiti, sans oublier une aventure galante à Istanbul, avec, selon lui, une femme du harem. Beaux succès féminin pour un homme qu’on nous dit amoureux de ses homologues. Sa Madame Chrysanthème, mise en musique par Messager (1893), proche de la future Butterfly par le thème du mariage entre une Japonaise et un marin étranger, n’est pas exactement une victime, c’est une femme intéressée, faisant une bonne affaire, et non amoureuse de l’homme blanc abandonneur comme la future Madame Butterfly de la nouvelle américaine de John Luther Long, devenue une pièce anglaise  mélodramatique (1900) de David Blasco de même titre. Le thème cruel de la geisha épousée, engrossée, abandonnée et suicidée, est ainsi présent dans une actualité sinon une conscience occidentale sûre de son bon droit colonialiste quand Puccini, en 1904, lui donne la finition et la définition qui en font un opéra définitif, qui a éclipsé ces œuvres, qui ne lui ont pas survécu.
      Encore une fois, comme pour Norma, Tosca, tirées de pièces de théâtre, La traviata, d’abord roman puis pièce, Lucia de Lammermoor, La Bohème, adaptées de romans, c’est la musique qui fixe dans l’imaginaire collectif un sujet errant avant son archétypale mise en forme lyrique. Dans un langage harmonique qui n’ignore ni Wagner et ses leitmotive voyageurs ni Debussy et ses raffinements délicats de timbres mais puissamment personnel, Puccini dote son œuvre d’un orchestre riche et fin à la fois qui en fait un opéra symphonique où les trois « airs » sont pris dans la trame serrée d’une musique continue, d’un pittoresque oriental sensible mais qui ne nuit en rien à l’expressive sensibilité universaliste, science musicale savante au service d’une émotion humaine immédiate.
Réalisation et interprétation
    Les contraintes de ce lieu monumental et d'un public à des distances variables mais jamais très proche de la scène même des premiers rangs, dictent la nécessité d'un spectacle visible et perceptible par tous, d'où le spectaculaire de l'ensemble, vaste déploiement de chœurs étagés sur un dispositif scénique qui meuble sans encombrer l'immense plateau : la sobre scénographie d'Emmanuelle Favre, habituée du lieu, en épouse la surface, la mettant en léger relief d'inégales plates-formes de bois reliées par des passerelles semblant flotter sur un plan d'eau de jardin japonais agrémenté de lanternes. La maison traditionnelle locale, sinon de papier, de carton, dont il est question dans le texte, perdant toute hauteur, comme une maison de poupée étalée, semble s'être déployée et ouverte horizontalement en surfaces planes encastrées sinon coulissantes, superposées, la verticalité étant représentée par deux portiques à cour et à jardin et un autre, frontal ; sur un plan plus élevé, figure en coupe l'appartement, le matelas de la chambre ; en retrait, un paravent japonais pour l'ultime intimité du sacrifice ; devant, quelques meubles américains en acajou puis un fauteuil club en cuir marron où trônent la croix de la nouvelle religion de Cio-Cio-San et, tel un dieu absent, Pinkerton en photo.

    À jardin, une statue dorée d'un Bouddha accroupi, aux molles courbes féminines, semble faire un contraste méditatif à la virile et raide statue de marbre d'Auguste surplombant l'empire du théâtre. Plus que deux cultures, deux philosophies opposées mais des pratiques impériales semblables, l'empire du Soleil Levant ayant à été à l'Orient ce que celui de Rome fut en Occident. Et même pouvoir absolu des empereurs respectifs, imposant le suicide à leurs vassaux, comme ici au père de Butterfly.

    Cependant, au défi de l'espace qui dilue les personnages, s'ajoute celui intimiste de la captation télévisée qui singularise les personnes, souvent en gros plan, et exige un intense travail, une direction d'acteurs forcément théâtrale, quasiment cinématographique, intensifiant l'action et le jeu humain, d'autant que, pour la première fois, latéralement, un système de surtitrage permettait aux spectateurs ignorant l'italien de suivre au plus près les péripéties émouvantes du drame. Et il faut dire que, filmée pour France 5 et Culturebox, qui honorent le service public, par Art4 Productions d'Alexandra et Jacques Clément, en association avec France Télévisions et le soutien du Centre national du Cinéma et de l'Image, réalisée magistralement par Andy Sommer, cette captivante captation est remarquable dès le beau générique, ensuite planant de plans généraux survolant le plateau pour les scènes collectives et plongeant en gros plans poignants sur l'héroïne et les individus, bouleversants de proche vérité : la pudique tragédie intime devient inévitablement publique avec la nécessité du sang pour laver la honte personnelle et sociale.

    C'est dire le mérite aujourd'hui des metteurs en scène devant jouer sur les deux tableaux, du théâtre et ses agrandissements nécessaires, d'autant plus à l'échelle d'Orange, et du cinéma et la nécessité de la confidence infime, d'autant plus pour un drame supposé vériste où tout grossissement serait grossier. À juger par ces deux contraintes, on peut arguer de la réussite de la mise en scène de Nadine Duffaut à laquelle on reprochera, peut-être, que si le faste du faux mariage du début se justifie par la poudre aux yeux de l'impérialiste conquérant Pinkerton qui aveugle et brûle l'innocent papillon d'épouse et sa famille, on comprend moins que, la misère avérée de la fin, selon le compte de Butterfly et de Suzuki, leur permette encore les moyens d'avoir, en plus de cette fidèle servante, une autre qui vaque aux travaux ménagers.

    Les costumes japonais, kimonos soyeux chatoyants ou pastel, ombrelles et éventails des dames trottinant à pas menus, forment une fresque colorée sur la tonalité de miel des pierres et les surfaces biscuit des plateformes, dans les lumières dorées d'estompe et d'estampe de Philippe Grosperrin avec de superbes nocturnes lunaires. L'action est ici ramenée, de l'époque de l'impérialiste « politique de la canonnière » occidentale de la fin du XIXe et du début du XX e siècle, se taillant des empires coloniaux, à la période suivant la Seconde Guerre mondiale et, donc, après les bombes atomiques américaines sur Hiroshima et sur Nagasaki où se situe le drame : en un moment où l'impérialisme américain vainqueur s'impose au Japon défait. En effet, belle idée, Pinkerton a apparemment invité à son mariage pour quatre-vingt-dix-neuf ans révocable par mois, le ban et l'arrière-ban de ses collègues officiers escortés de leurs femmes qui viennent assister rapidement à ce mariage comme à un folklorique spectacle, robes corolles technicolor des années 50 (Rosalie Varda), Américaines WASP (White anglo-saxon protestant), de celles que compte épouser pour de vrai le cynique lieutenant comme il l'avoue sans pudeur à Sharpless au moment même de ses noces japonaises. Fatale fête fallacieuse de fausse intégration américaine pour l'innocente Butterfly nippone se croyant devenue la yankee Madame Pinkerton, pardon, B. F. Pinkerton comme elle se plaît à l'appeler, car le fringant officier de la flambante frégate fièrement nommée «Abraham Lincoln » —qui paya de sa vie sa lutte pour la liberté et l'égalité raciale des noirs esclaves— porte, avec un nom au ton de rose, Pinkerton, les prénoms de Benjamin Franklin, autre généreuse figure de « l'América for ever » chantée avec exaltation, Président de la première ligue abolitionniste de l'esclavage, la Pennsylvania Abolition Society en 1785, avant la française Déclaration universelle des Droits de l'homme. Ironie onomastique qu’on ne relève guère… Ici, plus de cent ans après et la victorieuse bombe du 9 août 1945 sur Nagasaki après Hiroshima, c'est la bombance du capitalisme et libéralisme américains, conquérant même les cœurs et asservissant les corps et les esprits.

    À la tête de l'étincelant Orchestre Philharmonique de Radio France, Mikko Franck tout en construisant les grandes lignes des ensembles, polit les bijoux singuliers des timbres de cette partition symphonique et chambriste ; d'entrée, il affûte les arêtes de sabre de la fugue qui tient lieu de tranchante ouverture, celle même, cruelle, que développera le thème de l'officier fugueur. Venus pourtant de divers horizons, Avignon (Aurore Marchand), Nice (Giulio Magnanini) et Toulon (Christophe Bernollin), les chœurs, dirait-on, battent d'un même cœur, d'une unanime pulsation dans les commentaires ironiques et acerbes du mariage, la réprobation horrifiée de la transfuge religieuse dévoilée et reniée, puis, à bouche fermée, ils seront d'une rêveuse poésie qui épouse le langage fleuri de métaphores de Cio-Cio San et Suzuki, parfait contraste avec la brutalité prosaïque de l'officier sans raffinement ni vergogne : il est dans l'opérette et Butterfly est déjà dans l'opéra, la tragédie.

    De l'adorable petit garçon, qui salue avec grâce s'attirant une salve émue d'applaudissements, dont on ne nous communique pas le nom, aux nombreux protagonistes, la distribution est soignée comme toujours par l'oreille de Raymond Duffaut. Pourtant,  le ténor Bryan Hymel, lauréat de prix prestigieux, sollicité par les plus grandes scènes, beau timbre, impeccable ligne de chant, semble quelque peu déplacé en Pinkerton, le rôle puccinien requérant un lirico spinto à la tessiture égale sur tous les registres, au médium corsé assurant l'éclat d'un aigu passant le barrage orchestral nourri que le chef ne lui facilite guère. Il ne mérite en aucun cas les sifflets d'une partie ignorante d'un public qui joue les connaisseurs en insultant les artistes. Pierre Doyen campe un digne Commissaire impérial. Christophe Gay, comme toujours exact, est un digne Prince Yamadori indignement rebuté par une butée Butterfly épinglée, engluée dans un amour qu'elle est seule à ne pas voir bafoué. La basse Wojtek Smilek est le sombre et puissant bonze imprécateur, tandis que le ténor Carlo Bosi est Goro l'entremetteur entre deux mondes, habillé à l'occidentale ou revêtu d'un ample kimono, insidieux, obséquieux, avec le puissant dont il tire profit, insolent, violent même avec les faibles dont il fait commerce, tentant de violer une servante et violentant l'enfant bâtard de l'Américain qui empêche la juteuse revente de la délaissée Cio-Cio San, rivée à son rêve, au richissime Yamadori. Conscience lucide et blessée mais impuissante de cette farce cruelle de son compatriote, dont il pressent l'issue tragique, le Consul Sharpless semble incarné en voix et âme par Marc Barrard, grand baryton aux ombres vocales pleines de délicatesses et de chaleur, touché par cette toute jeune femme, tendrement penché sur l'enfant.
    Brève apparition, silhouette élégante exhalant une jolie voix en quelques brèves phrases, Valentine Lemercier a le rôle ingrat de l'épouse américaine Kate Pinkerton, « cause innocente » du malheur de Butterfly : enceinte des œuvres de l'indigne époux, ce parallélisme maternel rend encore plus digne et touchant le bref échange entre les deus femmes, la victime imminente et celle qui le sera probablement, le marin ayant proclamé dès le début le plaisir d'avoir une femme dans chaque port. Ample voix d'ambre et de miel, doucement chaude comme une consolation, Marie-Nicole Lemieux est une Suzuki tendre et maternelle, sans illusion sur ce mariage et ce mari, fervente pour consulter et invoquer les ottoke, les mânes des ancêtres dont rit Pinkerton, et il faut voir comme elle interroge et scrute la photo du Lieutenant , le dieu de Butterfly, pour en sonder le mystère, pour l'exécrer ou le maudire.

     Ermonela Jaho est Butterfly : silhouette fragile, juvénile, cette petite femme menue ne marche pas, se posant à peine sans peser, elle semble papillonner de ses pas légers, jeu et gestes, corps et visage, physique et physionomie en accord avec la musique jouant le Japon, produit sans doute d'une fine étude et d'une longue et mûre préparation et assimilation du rôle. Sans pesanteur dans le médium, sa voix s'enfle dans une impeccable messa di voce et diminue dans des pianissimi aériens qui passent aisément la rampe orchestrale et l'on regrette seulement que le chef, abusant soudain du fracas des timbales, lui vole un peu le forte de son « attendo », credo final de son grand air mais, capté par cette voix, cette émotion, chose rare à Orange, le public attend pratiquement les derniers accords de l'orchestre pour éclater en salves délirantes d'applaudissements émus de cette interprétation bouleversante de vérité. Il faut la voir sans sa légère et virevoltante robe américaine de tulle rose telles les ailes d'un papillon dont elle porte le juste nom, minuscule insecte difficile à matérialiser avec cette distance scénique, mais représenté sûrement par cet oiseau en cage, de la même couleur, évoquant sans doute aussi le rouge-gorge dont la printanière nidification devait marquer le retour de l'infidèle époux. Repoussée par ce qu'elle croyait sa culture d'accueil, elle passe le fatal kimono du retour tragique aux origines par le suicide. Grandiose fragilité d'Ermonela Jaho.

Chorégies d'Orange
Madama Butterfly
9 et 12 juillet

Orchestre Philharmonique de Radio France
Chœurs des Opéras d’Avignon, Nice et Toulon
sous la direction de Mikko Franck
Mise en scène : Nadine Duffaut.
Scénographie : Emmanuelle Favre
Costumes : Rosalie Varda
Eclairages : Philippe Grosperrin

Distribution 
Cio-Cio San : Ermonela Jaho ; Suzuki : Marie-Nicole Lemieux ; Kate Pinkerton : Valentine Lemercier.
Pinkerton : Bryan Hymel ; Sharpless : Marc Barrard ; Goro : Carlo Bosi ; le bonze : Wojtek Smilek ; le Prince Yamadori : Christophe Gay ; le Commissaire impérial : Pierre Doyen.

Un opéra présenté par Claire Chazal et diffusé le mercredi 13 juillet en première partie de soirée sur France 5 et Culturebox.

Photos : © Philippe Gromelle
1. Deux mondes;
2. Sous Bouddha, l'Américain et la Japonaise ( Hymel, Jaho);
3. L'espoir (Lemieux, Jaho);
4. Sharpless (Barrard), Yamadori (Gay), Goro (Bosi);
5. Dignité de deux épouses (Lemercier, Jaho);
6. Mort de Butterfly.
 

jeudi, juillet 14, 2016

À PROPOS DE "COSÍ FAN TUTTE "AU FESTIVAL D'AIX




COSÍ FAN TUTTI



    Ainsi font-ils tous, sinon tutte, toutes… J'entends les metteurs en scène. C'est la vision du Cosí fan tutte que, l'on croyait de da Ponte et Mozart au Festival d'Aix de cette année, qui me fait exhumer ce texte que j'avais publié… en 1993 dans le CAES Magazine (revue culturelle du CNRS, N°65). Je l'ai à peine actualisé de quelques spectacles plus récents depuis, car il me semble, hélas, toujours d'actualité.



AINSI FONT-ILS TOUS…

     Suprême élégance : être à l’aise partout, en smoking ou costume d’Adam. Si le débraillé règne aujourd’hui en maître parmi les spectateurs d’un théâtre qui a perdu sa valeur sacrale de célébration rituelle d’une société, qui n’a plus le sens du sacré mais celui du consacré, on éprouve cependant un certain malaise à le voir installé sur scène. Si l’ennui naquit un jour de l’uniformité, que peut naître de l’uniforme qui règne depuis des décennies sur la scène en matière de costume? Voilà plus de quarante ans que, sous prétexte de nous les rapprocher, de les moderniser, on nous joue les œuvres d’hier en vêtement d’aujourd’hui.



Petite panoplie vestimentaire

      La surprise anti-conformiste de l’anti-culture des années 68 put faire en son temps son nécessaire choc au théâtre. Mais l’effet se défait, et ce qui est révolutionnaire au départ, installé, répété comme un pieux devoir de musée, devient une routine d’un illusoire épate-bourgeois : un académisme. Et le singulier d’une forme, généralisé, n’est plus qu’un uniforme général. Avec dix ans de retard, la tendance s’emparait de l’opéra.

En 76, Patrice Chéreau se faisait huer à Bayreuth pour une Tétralogie  habillée en années 30 avant de devenir un must  acclamé pendant vingt-cinq ans dans le même lieu. Les metteurs en scène germaniques, suisses ou belges, suivis aujourd'hui par le troupeau des moutons de Panurge, comme s’ils avaient mis trente ans à digérer Chéreau, nous resservent depuis le plat rance et réchauffé d’opéras habillés en tout sauf à l’époque du sujet, ce qui est d’une bien étrange pédagogie quand on veut initier des jeunes à la scène lyrique qui risquent d’égarer leurs faibles repères chronologiques en découvrant le mythique Orphée de Monteverdi en smoking 1900, Agamemnon en débardeur et chapeau melon, avec un transistor pour égayer la tragédie, Phèdre en  jeans et tee-shirt, Hercules de Hændel en tee-shirt de marine et chemisettes multicolores ; ils peuvent en perdre leur latin en voyant les Romains de Poppée  habillés de pyjamas orientaux, Jules César, en explorateur africain entouré d’officiers de la Wehrmacht, les chevaliers médiévaux de Rinaldo , en terroristes palestiniens. On a vu Tristan en complet veston ; pour Mozart, on a eu le frivole et fringant Cosí  dans un Mac Do, aujourd'hui dans l'Abyssinie mussolinienne (mais jamais dans son vrai contexte historique, la Révolution française et la proche exécution de Marie-Antoinette chère à Wolfgang, sœur de l'empereur d'Autriche commanditaire), La Clémence de Titus en habits Louis XIII et années trente (très tendance) ; un frigorifique Don Giovanni  aixois « Ikea » et « Findus ». Don Juan a été noir à Harlem, golden boy dans les tours de la Défense, avec un Commandeur  manager en fauteuil à roulettes et, encore à Paris, les Noces de Figaro  furent situées dans un hall d’hôtel lugubre de Berlin-est et habillés mode « Tati », tandis que Suzanne accompagnait le poétique duo sur la brise avec la Comtesse à la machine à écrire et que les récitatifs étaient soutenus au synthé ou en tapotant sur des verres par un personnage, « le récitativiste », qui commentait l’action. Despina se voit amputée de son revendicatif récitatif d'entrée dans la dernière production d'Aix, s'adonne au triolisme sexuel tout comme Dorabella en short mini…

On a eu le « tout à l’époque de la création de l’œuvre » à la mode Ponnelle (réussie) des années 70. Mais, pour quelques réussites des déjà lointains initiateurs du mouvement, rares, comme l'Alcina aixoise de 2015 fondée sur le désir intemporel de refuser le vieillissement, on se perdrait à énumérer la longue série de spectacles aux procédés imités, copiés, plagiés jusqu’à la nausée, affligés de ces tics devenus du toc. Ce qui pouvait passer pour novateur à l’époque est devenu, près de cinquante ans après, presque un demi-siècle plus tard, un conformisme, un académisme affligeant. C’est devenu la solderie permanente, l’interminable fin de série des vieux modèles sempiternellement repris sous prétexte de neuf depuis 68. Ce n’est plus de la mode, c’est du copié collé dont on rougit pour les auteurs, disons les imitateurs.


Imagination au pouvoir

     Il ne s’agit pas de dénigrer la recherche en art qui, s‘il n’avance pas, recule. Les travaux de laboratoire, en ce domaine sont nécessaires, du moins quand le public n’est pas le cobaye d’expériences nombriliques de metteurs en scène à la mode, plus soucieux de se mettre en valeur que de valoriser l'œuvre.

    Transposer une œuvre d’hier à une prétendue modernité d’aujourd’hui suppose beaucoup de méfiance quant à son pouvoir : une œuvre ancienne peut m’être aussi contemporaine qu’une contemporaine peut m’être lointaine et étrangère. Mettre en relief excessif sur scène la modernité d’une pièce implique qu’elle ne parle pas d’elle-même ; si sa modernité va de soi, la souligner, est un pléonasme. C’est un frein à l’imagination qui n’a même pas à aller chercher l’universel, l’intemporel, le contemporain dans la Rome antique puisque, appuyés, surlignés, tout mâchés, prédigérés, on les lui offre sur un plateau débordant d’intentions, si totales qu’elles en deviennent totalitaires : Britannicus dans un décor de New York (la Rome antique étant la grande cité) ; Le Couronnement de Poppée à Dallas, Le Barbier de Séville en Orient…

    Le physique nous est imposé par la nature ; le costume relève d’un choix, d’un goût, dit autre chose : ce que je ne suis mais voudrais être, non ce que je parais mais ce que je pense être intérieurement, le masque révélant une vérité intime. Il signe une singularité. Mais l’Un, l'unité se dissolvent dans l’uniforme du pluriel qui règne sur scène. C’est donc l’imagination qu’il faut raviver : un Bakst, un Picasso, un Dufy, une Sonia Delaunay, Léonor Fini, Bernard Buffet pour Carmen, etc, inventèrent des décors et des costumes : d’authentiques créations, des œuvres d’art en soi. Ils ne se contentèrent pas de se fournir au fripier du coin. Ce n'est que par ignorance que l'on prétend que le théâtre ancien se jouait en costumes contemporains : il n'est que de regarder des reproductions pour constater qu'il s'agit toujours d'adaptations actualisées de costumes grecs, romains de la tête aux pieds, avec panaches, cothurnes, cuirasse et, toujours, un signe distinctif, un attribut pour signaler au public leur fonction terrestre ou divine, diadème, couronne pour les souverains, foudre, lune, etc, pour les dieux.

   Étrange paradoxe : une époque qui se gargarise de cultiver la différence, qui apparemment respecte l’Autre, n’a de cesse, sur scène, de l’assimiler au Même en ramenant platement l’hier singulier à l’aujourd’hui le plus quotidien.



« Si au costume de l'époque, qui s'impose nécessairement, vous en substituez un autre, vous faites un contresens qui ne peut avoir d'excuse que dans le cas d'une mascarade voulue par la mode. » 
De qui sont ces lignes ? De Baudelaire.


Renouveler les œuvres ?

On peut arguer que les œuvres s'usent de trop d'usage, qu'il faut les « renouveler ». Même en rappelant que si un opéra, 'œuvre' en italien, est un chef-d'œuvre intemporel et universel qui nous parle aujourd'hui comme il parlait hier, ou que nous le recevons à notre époque comme chaque époque put le ressentir avec sa sensibilité et son imaginaire propres, ce n'est qu'intrinsèquement, de l'intérieur, qu'en peut venir le renouvellement. Et, justement, on concédera que la modernité de l'approche actuelle vient avec bonheur du travail scénique, théâtral, avec une génération d'artistes qui sont aussi bien chanteurs que comédiens et dont des metteurs en scène, frottés aussi au cinéma, tirent le meilleur pour une expression dramatique efficace, sans que pour autant le jeu surligne la musique, ce qui est alors un pléonasme, ou la contredise, qui est un contresens (qui, malgré tout, peut faire sens dans certains cas). Mais prétendre « renouveler » une œuvre (quelle prétention de l'éphémère interprète qu'est le metteur en scène face aux auteurs éternels!) parce qu'on l'affuble,  parasite et brouille, extrinsèquement, d'un environnement historique et social arbitraire, ne relève que d'un placage extérieur artificiel, c'est  traiter moins le fond du sujet que sa périphérie, c'est avouer, enfin, qu'on abandonne le cœur de l'œuvre pour le périphérique :  le décoratif.



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