Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

vendredi, avril 29, 2016

mardi, avril 26, 2016

ÉMISSION ET CONFÉRENCE

 

Avant d’être
le mardi 3 mai 2016, 10 heures, sur les ondes de France-Culture
 en direct aux Nouveaux chemins de la connaissance pour discuter avec Géraldine Mosna-Savoye d’Art et Figures du succès, l’art de la réussite en 300 aphorismes de  Baltasar Gracián,

DANS LE CADRE DES ACTIVITÉS CULTURELLES DE L’ASSOCIATION  MALC  PACA
 (MAISON DE L’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES PACA),
SOUS LA PRÉSIDENCE DE
 MADAME ROSELYNE BELLEPAUME-NOGUERA,
CONSUL HONORAIRE DE BOLIVIE,

Benito Pelegrín
donnera une conférence
avec lecture de ses textes par
Tamara Scott Blacud,
comédienne

JEUDI 28 AVRIL 2016, 18 HEURES
Espace Pythéas Prado, 247, avenue du Prado 
13008 Marseille 

LE SEXE D’UN ANGE
Sœur Juana Inés de la Cruz (1648 ou 1651-1695)
Belle, courtisée, adulée à la cour du Vice-roi du Mexique, savante, auteur de poèmes enflammés à la Vice-reine, quittant soudain en pleine jeunesse, en plein succès le monde pour le couvent, quel secret celle que l’on nommera dans l’Espagne coloniale « la Dixième Muse», devenue en religion Sœur Juana Inés de la Croix, y emporte-t-elle ? On l’interroge, elle répond :
         Je n’entends pas bien ces choses, /Mais au couvent me rangeai
         Afin que si je suis femme /Nul ne vienne vérifier.
         Me prendre pour une femme /Est donc inconsidéré
         Car suis femme qu’aucun homme /En femme ne peut traiter.

Pourtant, est-ce un aveu douloureux qui perce  dans ce petit poème ?
         Je me souviens que jadis
         (Que je voudrais l'oublier !)
         J'ai aimé à la folie,
         J'ai adoré à l'excès,
         Mais c'était amour bâtard
         Aux affects trop opposés,
         Aussi facile à venir
         Que facile à extirper. 

Souvenir, fantasme ? voici un exemple de sa poésie :

A une image de l’Amant apparu en songes et retenu par les nœuds d'un amour décent
         Ah, ne me quitte pas, ombre trop fugitive,
         Image de celui qui règne dans mon cœur,
         Belle illusion de qui, joyeuse, je me meurs,
         Douce fiction de qui je souffre et vis captive !
         Si vers l'aimant puissant de ta grâce attractive
         Comme un fidèle acier se tourne ma candeur,
         Pourquoi charmer mes yeux d'un songe si flatteur,
         Si c’est pour me blesser par cette fuite hâtive ?
         Mais tu ne pourras pas te vanter que tes feintes
         De mon cœur et mes sens auront pu triompher,
         Car si tu peux glisser d'entre les nœuds étroits
         Qu’à ton leurre tendait mon amoureuse étreinte,
         Tu as beau déjouer les chaînes de mes bras
         Ma rêverie a fait de toi mon prisonnier.

Mais voici ce qu'elle écrit à la Vice-Reine qu’elle idolâtre :

         Ô, ma divine Lysis,
         Aucun Dieu n’est à l’abri
         Du désir qu'on a de lui .

         Être femme et être loin
         À l’amour n'est point barrière
         Car tu sais que pour les âmes
         Il n’y a sexe ni frontière ;
         D'autant que l’amour naturel
         N’est loi que pour le vulgaire,
         Dont s’affranchit aisément
         Toute beauté singulière.

Réprimandée publiquement par l’évêque de Puebla en 1691 pour avoir osé se mêler de théologie, après une longue réponse où elle défend le droit de la femme au savoir et à la poésie, qui en fait la première féministe américaine de l’histoire, celle qu’on appelle aussi le « Phénix mexicain », condamnée au silence par son confesseur se soumet, fait son testament et meurt. 
C’est à la découverte de cette femme extraordinaire, immense poète qu’invite cette conférence au cours de laquelle seront lus des poèmes de sa plume que j’ai traduits afin de lui consacrer un livre.


Benito Pelegrín
Agrégé,Docteur d'Etat, Professeur émérite des Universités, écrivain, dramaturge traducteur, journaliste. Quelques œuvres : Figurations de l’infini. L'âge baroque européen Seuil, Grand Prix de la Prose et de l'essai. Écrire, décrire l’Amérique. Alejo Carpentier, Ellipses ; Traités politiques, esthétiques, éthiques de Baltasar, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, Prix Janin de l'Académie française ; D'un Temps d’incertitude, Sulliver ; Le Criticon, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil ; Marseille, quart nord, Sulliver ; Art et Figures du succès de B. Gracián, Poche Point. Pour Marseille-Provence 2013, la Ville lui a commandé le livret d’un opéra, Colomba, musique Jean-Claude Petit, dont la création mondiale a eu lieu en 2014, diffusé sur FR3. Il anime une émission musicale à Radio Dialogue RCF: “Le Blog-notes de Benito".


Tamara Scott Blacud
Comédienne depuis 1985, ayant travaillé, pour le théâtre, la télévision (émission hebdomadaire par et pour les adolescents…), le cinéma, la radio (journal hebdomadaire, contes pour enfants…) et la voix off (audioguides, pub, bruitage…). Elle joue dans diverses compagnies (Teatro Duende, Théâtre Provisoire de La Minoterie, Bami Village, Art Images, Rosa Roberta, Organik 2…) en Bolivie, Chili, Argentine, Venezuela, Italie et France où elle réside actuellement. Coach artistique et répétitrice, depuis 2009, elle accompagne les comédiens dans leur processus de création et dans leurs questionnements artistiques.

jeudi, avril 14, 2016

D’ART ET D' AMOUR, TOSCA


TOSCA

Opéra en trois actes,

livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica,

d’après la pièce de Victorien Sardou,

 musique de Giacomo Puccini 
Opéra de Toulon

3 avril
L’œuvre

    Les œuvres du répertoire se répètent sur les scènes, on ne peut qu’en répéter la présentation, le renouvellement n’étant que dans la représentation et la l’interprétation nouvelles, sinon toujours neuves.

Puccini ouvre le XXe siècle lyrique avec la création de sa Tosca à Rome, en 1900, évoquant les tragiques événements d’un jour de juin 1800 dans la même ville. Les monarchistes réactionnaires, ignorant encore la victoire de Bonaparte à Marengo, alors porteur des idéaux de la révolution française, célèbrent dans la Ville éternelle leur pouvoir retrouvé, comme on a fêté dans le sang, l’année précédente, la fin de la brévissime République parthénopéenne de Naples par la restauration royaliste sans pitié appuyée par l’Autriche.

    L’ancien Consul de l’éphémère République romaine, Angelotti, évadé du château Saint-Ange, trouve un premier refuge dans l’église de Sant’Andrea della Valle auprès de Mario Cavaradossi, peintre voltairien, libéral, amant de Floria Tosca, cantatrice célèbre et jalouse. Cette dernière est vainement désirée par le baron Scarpia, impitoyable chef de la police d’état, sorte de machiavélique Fouchet romain. Jouant sadiquement de la torture physique de l’amant et morale de l’amante, Scarpia réussira à anéantir les deux amis républicains et les amants vivant d’art et d’amour, même après son assassinat par la cantatrice.

     Le livret de Giacosa et Illica, d’une remarquable concision, est tiré d’un drame (1887) de Victorien Sardou, célèbre dramaturge en son temps, qui aura l’élégance de reconnaître l’opéra supérieur à pièce, pourtant triomphalement défendue par Sarah Bernhardt dans le monde entier. L’histoire lui donne raison : on joue partout l’opéra qui, seul, nous rappelle son drame, irreprésentable aujourd’hui.



D’art et d’amour

     À bien lire le texte, je l’ai déjà dit, j’y retrouve avec plaisir un culte voluptueux de la beauté : Tosca est belle selon son amant, « trop belle  et trop aimante» selon Scarpia. Mario, dans son premier air, médite sur la mystérieuse harmonie entre les beautés diverses fondues par l’art, celle de la femme blonde aux yeux d’azur qui prie, qu’il prend subrepticement pour modèle de sa Madeleine, et celle de la brune Floria aux yeux noirs, sa « ardente maîtresse », portrait déchaînant ensuite les foudres jalouses de sa théâtrale maîtresse, qui n’a pas eu, d’entrée, un seul regard pour le beau tableau que peignait son grand artiste d’amant. À l’heure de sa mort, le peintre n’a pas de pensée pour Dieu ni la Vierge, mais pour sa maîtresse dont il évoque voluptueusement «les belles formes » qu’il dépouillait de ses voiles. Mario est beau selon Tosca et même Scarpia. Il n’est pas jusqu’à la Madeleine peinte  qui ne soit « trop belle », selon la jalouse et sommaire diva, qui prodigue conseils avisés de scène à Mario pour ce qu’elle croit un beau simulacre artistique d’exécution. Tosca sait exalter le charme bucolique et sensuel de leur nid amoureux, et les deux amants artistes rêvent de répandre « les couleurs » et l’amour sur le monde : l’art et l’amour en somme dont la pieuse cantatrice a chanté le vécu en s’adressant à un Dieu incompréhensible qui la récompense mal à l’heure des douleurs. Des douceurs harmoniques auréolent, sinon de sainteté, de beauté musicale certaines certains passages musicaux du terrible Scarpia, sensible à la beauté de Tosca, et son sens de la beauté, même dans la cruauté, le rédiment un peu, même si son sens du Beau n’est pas forcément celui, platonicien, du Bon et du Vrai. Scarpia exprime, sinon une éthique, une esthétique sadienne du Mal : la conquête violente et non la séduction est son art, l’amant passé par les armes et l’amante en larmes dans son lit, est pour lui jouissance double, trouble. Bref d’un côté un art et un amour simples, simpliste même, comme les deux tourtereaux, et un amour de l’art du mal chez Scarpia, le seul complexe des personnages, brutal, certes, mais les autres bruts d’un seul bloc.



Réalisation et interprétation

     Pas un strapontin de libre : le succès populaire d’une œuvre se mesure à son accueil malgré l’écueil d’un manque de recul critique d’un public qui vient à l’Opéra moins pour découvrir que pour voir, revoir, entendre, réentendre sempiternellement les mêmes opéras, dont on l’entend même fredonner irrépressiblement ses airs de prédilection avec une émotion sincère. On aurait donc mauvaise grâce à ne pas lui en rendre car c’est la faveur et la ferveur du public qui font vivre les œuvres, les artistes qui les incarnent. Il faut donc dire que, venue de l’Opéra Royal de Wallonie, cette production est encore un riche choix, aux heures de pénurie, de Claude-Henri Bonnet, Directeur général et artistique de l’Opéra de Toulon, qui a soigneusement sélectionné les œuvres invitées, jusqu’ici sans aucune faille sinon réserves critiques mineures mais nécessaires. Cette Tosca est donc à mettre encore à son palmarès, et à celui de l’équipe artistique homogène qui en fait la qualité.

    Située en décors et beaux mais sobres costumes (Michel Fresnay) de l’époque de son action, désormais assez rare pour qu’on le souligne tant l’académisme déjà plus que cinquantenaire de la mode lassante et inlassablement répétée d’arracher les œuvres à leur chronologie narrative, tout converge donc harmonieusement. On salue donc la sagesse et l’intelligence générale de la mise en scène de Claire Servais.

     Amas de fleurs à cour, devant le rideau, signalant, à son lever, la statue de la Madone invisible près du prie-Dieu : un signe au long des deux premiers actes effeuillé, malheureusement, avec quelques épines interprétatives. Un grand rideau tombant à jardin, sans doute pour cacher et protéger le tableau que peint Mario sur les marches d’une estrade scénique, souligne sans doute la dimension théâtrale de l’œuvre et de l’héroïne qui semblera vivre et mourir comme au théâtre, réglant ses mises en scènes personnelles.

    Beaux décors de Carlo Centolavigna dans l’église « tardo-baroque », de baroque tardif, comme l’on dit en histoire de l’art, de Sant’Andrea della Valle, monumentale, fond ombreux des toujours belles lumières d’Olivier Wery, qui caressent les contours tourmentés des drapés de deux colossales statues dorées de papes sur des socles qu’on dirait tirées de leur première demeure de Saint Jean de Latran et de son enfilade statuaire où le marbre semble en mouvement menaçant au-dessus des têtes des visiteurs : le poids écrasant du pouvoir de l’Église sinon de la religion, la fragile chair contre le marbre. Ces ténèbres entrebâillées laissent percevoir la transparence lumineuse d’une immense horloge rousse, lune maléfique ou astre chronologique d’un temps limité du drame humain mesuré à l’éternité. Lors de l’irruption des enfants, des prêtres et du clergé, pour le grandiose et terrible Te Deum, ce fond s’entrouvre, et l’horloge, auréolée de gloire et de dorure devient un immense ostensoir dont la débauche d’or couvre même les effrayants dignitaires de l’Église statufiés, le modeste miracle de l’Hostie devenant une effroyable machine à écraser : fracas visuel pour la fracassante à frémir musique qui semble magnifier ou maudire l’hymne religieux triomphant sans pitié. C’est le rouleau compresseur de la Contre-Réforme baroque, déjà loin, mais réactivée par la victoire de la réaction contre la Révolution qui pensait, avec Voltaire, « écraser l’infâme ».

     Contraste brutal avec l’acte II. On est loin du faste des appartements de Scarpia au Palais Farnèse indiqué par les didascalies précises de l’œuvre. Dans des éclairages livides, une simple table couverte en partie d’une somptueuse nappe en lamé d’argent comme les deux chaises, un carafon et un verre pour le repas ; des murs nus austères ; pour seul ornement, on reconnaît des reproductions des gravures,en bas, des Désastres de la guerre, horribles images de Goya du soulèvement espagnol contre les troupes de Napoléon, plus haut, autant qu’on puisse distinguer, des scènes de torture de Callot ou de graveurs de la Guerre de Trente ans, le dernier grand conflit religieux d’Europe : c’est cohérent pour un représentant de l’ordre noir réactionnaire de l’Europe contre le rouge du libéralisme révolutionnaire. Cependant, cela semble davantage l’intérieur monacal d’un moine soldat que celui d’un tout-puissant prince et ministre de la police, amateur raffiné de bonne chère et de belle chair, savourant du vin d’Espagne, qui s’avoue vénal sans qu’on perçoive guère chez lui de luxueux effets de sa vénalité.

     Tosca, avec sa belle robe de scène à traîne rouge arrive, les bras encore chargés de fleurs de son triomphe après avoir chanté sa cantate devant la reine (que vient faire « la » reine dans cette galère papale ? Celle de Naples en visite ?) et l’on comprend, au souvenir de la piété mariale de la diva précédemment, le paradigme floral filé sur deux actes par la metteur en scène quand Scarpia les effeuille rageusement et jette au sol. Mais là, il y a l’épine : lorsque Tosca a tué Scarpia, on s’attend au fameux mimodrame inventé par Sarah Bernhardt et gardé scrupuleusement par les librettistes et Puccini. La pieuse chanteuse, qui a pardonné chrétiennement au bourreau, pose deux candélabres entre le corps et un crucifix sur la poitrine du cadavre. Pas de cierge ici et, pour crucifix un, gigantesque, qui semblera peser comme une menace. On comprend que Claire Servais a voulu mettre sa touche, mais sans nous toucher, et ne touche pas ici le but mais le contrarie : ces roses, chargées de sens et de sentiment avant même le lever de rideau, offertes à la Madone par la diva, la ‘déesse’ au sens précis du terme, reçues en hommage après son concert, déposées ensuite sur le cadavre du « monstre » sadique, « impie », sont plutôt un hommage qu’un acte pieux d’une dévote personne.

     Giuliano Carella, qui enflamme de sa passion un orchestre de l’Opéra de Toulon transcendé, avait disposé sur deux baignoires d’avant-scène face à face, donc quatre, certains instruments débordant de la sorte de la fosse : dans la géométrie à l’italienne de la salle en U, on est embrassé, embrasé par l’étreinte irrépressible de la musique, on y baigne à certains moments, dans un effet de stéréophonie qui arrache ces pupitres déplacés à la perception habituelle forcément spatialisée de la direction du son venu d’une plus lointaine place invisible. Ainsi, toute la délicatesse scintillante du xylophone d’étoiles de fin de nuit, préludant l’aubade des cloches de Rome, auréolant de douceur la charmante chanson modale du petit pâtre par l’adorable et naïve voix de Carla Fratini, parenthèse de fraîcheur après le paroxysme de l’acte précédent. Il soulève le flot torrentiel souvent de la musique, mais le contient pour n’y pas noyer les interprètes très sollicités mais traités avec sollicitude par un chef à la fois symphoniste et lyriquement italien, attentif aux chanteurs. La masse orchestrale n’estompe pas les joyaux intimistes des couleurs et le chef caresse les courbes voluptueuses de certaines lignes. Du grand art.

     Silhouette éphémère, l’Angelotti de Federico Benetti réussit à marquer sa présence par son beau timbre de basse. Plus présent, le sacristain bougon de Jean-Marc Salzmann évite intelligemment la caricature par un jeu sans outrance. Le duo de sbires, âmes damnées de Scarpia, le Spoletta de Joe Shovelton et le Sciarrone de Philippe-Nicolas Martin échappent aussi à la caricature habituelle et le geôlier de Jean Delobel est la dernière silhouette de ces comparses nécessaires. On connaît la puissance vocale torrentielle du baryton mexicain Carlos Almaguer. La metteur en scène en joue habilement à l’acte II dans lequel cet adepte avoué brutalement de la conquête violente tente de violer Tosca sur la table de son repas où il la voulait au menu, pour la dévorer sans doute plus que pour la déguster. C’est un rouleau compresseur terrifiant comme l’ordre qu’il représente. Cependant, ce paroxysme, on ne le dit pas, semble contradictoire dans ce personnage si anti-séducteur déclaré avec la stratégie d’araignée machiavélienne du premier acte qui requiert les nuances de la ruse. Mais le chanteur nous emporte dans le torrent de sa voix.

    Le ténor italien Giuliano Stefano La Colla déploie un timbre d’un beau métal, plein, sonore, mais d’une pièce au premier acte. Dans le second son la éclatant de « Vittoria ! Vittoria ! » est un superbe cri de triomphe insolent et solaire face à la nuit de l’oppression. Dans son lamento sensuel et nostalgique de la fin, il sait faire passer des nuances poétiques des plus touchantes et ne cède pas à la grandiloquence mélodramatique, contenant une émotion par là plus émouvante encore. Dans le rôle-titre, on retrouve avec bonheur la soprano roumaine Cellia Costea, dont on avait apprécié ici même l’Amelia délicate de Simone Boccanegra, voix large, égale et colorée. Elle semble un peu scéniquement perdue en cette première au premier acte. Cependant, cela ne diminue en rien la beauté expressive de la voix et son « Vissi d’arte » introspectif, parenthèse poétique et humaine dans l’horreur du moment, sur cette table du sacrifice où Scarpia veut la violenter est déchirant de sensibilité sans effet vériste, avec une dignité qui s’affirme dans sa plénitude morale et physique lorsqu’elle se remet fièrement sur pied.

     On salue le livret du programme toujours intéressant de l’Opéra de Toulon.



Tosca de Puccini

Opéra de Toulon,

3, 5 et 8 avril

Orchestre, chœurs et maîtrise de l'Opéra de Toulon (Chef de chœur : Christophe Bernollin).Direction musicale : Giuliano Carella. Mise en scène :  Claire Servais. Décors : Carlo Centolavigna. Costumes :  Michel Fresnay. Lumières Olivier Wery.
Distribution :

Floria Tosca : Cellia Costea ; Mario Cavaradossi : Stefano La Colla ; Baron Scarpia : Carlos Almaguer ; Cesare Angelotti : Federico Benetti ; Spoletta : Joe Shovelton ; Sciarrone : Philippe-Nicolas Martin ; Le sacristain :  Jean-Marc Salzmann ; Le geôlier :  Jean Delobel ; un pâtre : Carla Fratini.

Photos © Frédéric Stéphan :
1.  L'église : Mario et Tosca;
2. Te Deum triomphal ;
3. Les appartements de Scarpia ;
4. La table du viol ;
5. Château Saint-Ange ;
6. Mort de Mario.

lundi, avril 11, 2016

dimanche, avril 10, 2016

DE L'HISTOIRE À LA LÉGENDE, LA PÉRICHOLE

 
DE LA « PERRI CHOLI » PÉRUVIENNE

À

LA PÉRICHOLE

 d’Henri Mailhac et Ludovic Halévy,
d'après Le Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée,

musique de Jacques Offenbach

Théâtre de l’Odéon

Une turbulente et troublante artiste

       Il était une fois, dans le fastueux Pérou espagnol de la seconde moitié du XVIIIe siècle, une jolie et piquante comédienne, danseuse et chanteuse, comme l’exigeait le genre sûrement de la tonadilla hispanique, souvent centré sur une femme. À Lima, Micaela Villegas (1748-1819) est déjà célèbre lorsque débarque en 1761 le nouveau Vice-roi d’origine catalane, Don Manuel Amat y Junient. Il a cinquante-sept ans, elle, dix-huit. Il en tombe amoureux, en fait sa maîtresse, sa favorite, l’installe au palais, au grand dam de la noblesse espagnole et créole qui n’a pas, sur ce chapitre, la largeur de vues de l’aristocratie française habituée aux incartades officielles, pratiquement institutionnelles, de ses monarques.

      Mieux, ou pire que cela, il fait de sa belle métisse le centre mondain de Lima, la laisse inspirer des constructions nouvelles, et, scandale, va jusqu’à lui offrir un carrosse somptueux, prestigieux privilège exclusif de la noblesse, dans lequel elle se pavane dans la capitale, pour le grand bonheur du peuple de voir l’une des siennes ainsi intronisée, et le dépit et mépris des nobles qui honnissent l’intruse tout en étant forcés de la saluer bien bas, et de l’applaudir au théâtre qu’elle n’a pas abandonné. La gifle qu’administre, en pleine scène à l’un de ses partenaires l’impulsive vedette, lui vaudra une disgrâce de deux ans. Mais les amants socialement inégaux mais égalisés par l’amour et le désir qui renversent toujours les classes sociales, renouent une liaison finalement heureuse de près de quatorze ans, malgré des hauts et des bas de ménage passionné. Le fruit en sera un fils auquel le Vice-roi donne même son propre nom.

    « Perricholi », ‘cho’ comme chocolat et non « cocolat »

     Donc, Péri chole à prononcer comme « chochotte », comme devait bien dire Mérimée, savant hispanophile et ami intime de l’Impératrice espagnole Eugénie de Montijo, et non Péri cole, par une tradition linguistique erronée.

     Micaela avait un nom : elle va gagner un surnom : « la Perricholi ». Dans l’intimité, le Vice-roi l’appelait tendrement « petit xol » (prononcé « petichol »), ‘petit bijou’ en catalan, ou, familièrement « pirri xol », ‘ma petite métisse’ ; il n’est pas exclu aussi que le Vice-roi, âgé comme un père, les jours de colère contre les frasques de la tumultueuse enfant, dans les alternances après tout conjugales du cœur, l’ai appelée « perra chola » en castillan, ‘chienne de métisse’, sonnant « perri choli » avec son accent catalan et le sifflement probable de sa bouché édentée. Toujours est-il que l’opinion publique s’empara plaisamment du terme affectueux ou injurieux selon que l’on fût admirateur ou détracteur de la belle devenue pour tous, en des sens opposés, « la Perricholi » de la légende.

Histoire et légende

      Actrice et favorite, ce n’est pas la légende mais l’histoire qui conte aussi sa générosité. Un jour, narguant la noblesse dans son célèbre carrosse, elle aperçut un modeste curé portant à pied le Saint-Sacrement pour l’administrer à un mourant. Ému et honteuse, telle déjà une Tosca pieuse, elle descendit du luxueux véhicule, s’agenouilla, et en fit cadeau au prêtre pour qu’il pût exercer confortablement son pieux ministère.

     C’est de ce geste célèbre que Prosper Mérimée, à Grenade en 1830 chez les Montijo, tira sa comédie en un acte Le Carrosse du Saint-Sacrement, publiée pour la première fois dans la Revue de Paris en 1829, ajoutée en 1830 à la seconde édition du supposé Théâtre de Clara Gazul dont il est l’auteur caché, jouée sans succès en 1850. Mais, hors du Pérou et de l’Espagne, la Perricholi, avait déjà inspiré La Périchole, vaudeville de Théulon et Deforges (1835) avant l’opéra-bouffe d’Offenbach et ses compères (1868). Puis, en 1893, vint la pièce en vers de Maurice Vaucaire, adaptateur de Puccini en français (au théâtre de l’Odéon de Paris), ensuite Le Carrosse du Saint-Sacrement, opéra en un acte, livret et musique d’Henri Büsser (1948) et, enfin, le célèbre film de Jean Renoir, Le Carrosse d’or (1953) avec Anna Magnani. Belle postérité pour notre belle, que l’on retrouve, naturellement chez le grand écrivain péruvien Ricardo Palma (1833-1919) qui recueille traditions, anecdotes et histoires du Pérou dans ses inépuisables Tradiciones peruanas.

Réalisation et interprétation

      Du fameux carrosse, absent du livret, il n’en restera ici que son découpage en carton-pâte et le double clin d’œil des deux fenêtres dans lesquelles s’inscriront plaisamment, comme dans les photos de foire où l’on passe la tête, celle des deux héros partant à la fin pour être heureux et avoir beaucoup d’enfants qui grandiront car ils sont Espagnols, dans un univers de toiles peintes des décors de Laurent Martinel qui ravivent la nostalgie de notre esprit d’enfance, d’enfants du moins non encore blasés par les effets spéciaux contemporains. Les costumes (Maison Grout), hommes du peuple en blanc et chapeau de paille, femmes en jupes colorées à motifs indiens triangulaires et feutres, stylisent en souriant un Pérou d’opérette, piqué des notes de la commedia dell’Arte référant sans doute au film de Renoir dont les héros en sont des comédiens, Arlequin, Colombine, Pierrot. Au second acte, sous le tableau en pied à la Louis XIV du Vice-Roi, la Cour, très versaillaise en ses costumes élégants, bourgeonne de perruques poudrées et papillonne d’éventails. Tout ce monde, Chœur Phocéen (Rémy Littolff) et solistes, se meut en musique dans une vivacité sans heurt, une alacrité contagieuse, due à la battue tambour battant (sans être lourdement tambour-major) de Jean-Pierre Burtin et au dynamisme insufflé par Jean-Jacques Chazalet, qui signe une mise en scène très physique, attentionnée sans intentions métaphysiques hors de propos.

      La connivence entre tous les acteurs, des premiers au seconds rôles ou plans, est aussi sensible que leur plaisir de jouer qu’ils communiquent à la salle. Ainsi, Michel Delfaud, en Marquis de Santarem éternel prisonnier, avec un accent marseillais qui lui donne des airs d’Abbé Faria issu de son trou creusé pendant des années, citant Shakespeare en l’attribuant à Cervantes. Une seule apparition, et c’est tout un personnage : Antoine Bonelli, joues bouffies des bouffées de son importance, bougon ou bouffon Grand Chambellan chancelant. La voix mielleusement fielleuse de Jacques Lemaire et amèrement douceâtre ou acérée de son compère Dominique Desmons font une hilarante paire : les Dupont et Dupont de la cabale et de la cavale face au danger, les traîtres au sourire grinçant sarcastiquement des dents à la joie du complot. Un joli trio de vipères vocales se partagent six rôles, le beau mezzo de Valentine Lemercier, le soprano incisif de Violette Polchi et celui de Virginy Fenu, déjà appréciée en fraîche fille-fleur de Madame Chrysanthème. Agatha Mimmersheim, Anne-Gaëlle Peyro, complètent les atouts des dames et, aux basses œuvres des basses-fosses du palais, Patrice Bourgeois, Yves Fleuriot et Damien Rauch sont les nécessaires geôliers et bourreaux pour rire.


       Tout opéra-bouffe a ses vaincus et vainqueurs, évidemment rôles renversables, un couple d’amoureux et le baryton l’empêcheur d’aimer en rond, parce qu’il en a profusion, troisième larron qui fait du duo un trio, triomphant, tonitruant, truculent ici Alexandre Duhamel, grand gaillard gaillardement paillard, Vice-Roi plus joyeusement vicieux que méchamment vicelard et pernicieux, dont le vice (qui n’a pas ainsi « vicié » lui jette la première pierre), n’est que celui, bien commun, d’aimer « les petites femmes » tel un Napoléon III en goguette échappé des Tuileries ou de Compiègne où il relègue son Eugénie d’Impératrice. Jouant les terreurs, il ne terrorise jamais, beau et bon chanteur et vrai personnage de comédie avec sa Cour, assurant le côté bouffe d’un opéra qui, de l’autre, est une comédie de demi-caractère, guère drôle dans le fond, même fondu dans la forme globale.

      En effet, un couple de jeunes et beaux héros, malheureux en fortune et mourant de faim n’est pas du plus haut comique. En Piquillo, le juvénile ténor Rémy Mathieu, au timbre merveilleusement délicat, digne de Mozart, a une grâce touchante de victime malgré un sourire encore enfantin, enjôleur, opposant l’humour à la mauvaise humeur de la fortune. À ses côtés, voix de velours sombre à l’aigu aisé, sans aucun effet de grave vulgairement poitriné, la mezzo Emmanuelle Zoldan, morceau de roi et Vice-Roi mais fièrement et dignement préservée pour son amour, donne vie profonde, loin de la caricature, à une Périchole très humaine, qui joue le jeu sans être dupe, avec un regard lucide et désenchanté sur la société, protectrice de son inconscient compagnon. Sa lettre de rupture, spirituelle mais cruelle, elle la rend avec la gravité de la situation de femme déchirée entre la rudesse de son existence et la promesse d’un avenir meilleur, un sacrifice personnel de pauvre Traviata de l’injustice du monde, grande âme trahie par la vie. Même son air de la griserie ne tombe pas dans la grivoiserie et, si elle constate, ironique et triste, que « les hommes sont bêtes », c’est qu’ils le sont vraiment comparés à ces femmes qu’ils affrontent effrontément, moins lotis en intelligence pratique. Sa paradoxale déclaration d’amour, « Oui, je t’aime, brigand, j’ai tort de l’avouer… », en détaillant avec clarté les défauts de l’être aimé, dépassés mais non effacés par la puissance de l’amour, elle semble la faire avec la douceur fataliste d’une Carmen de comédie, mais en nous faisant sentir qu’on est près du drame. Dans la rassurante inhumanité comique du bouffe, c’est l’humanité vraie des sentiments qui passe. On peut alors, joyeusement et cyniquement, entonner encore l’hymne impertinent de l’œuvre, « Il grandira, il grandira car il est Espagnol… », visant malicieusement les préférences nationales de l’Espagnole Impératrice favorisant sans doute ses compatriotes, déjà instigatrice de la désastreuse projection d’un nouvel Empire au Mexique pour nouveaux conquistadors, à la veille de la lamentable guerre de 1870 contre la Prusse qui verra la fin du sien, pour la question, justement, de la Succession d’Espagne.


La Périchole
De Jacques Offenbach,
Odéon, Marseille, 2 et 3 avril

Orchestre du théâtre de l’Odéon, Chœur phocéen
 Direction musicale : Jean-Pierre BURTIN
Mise en scène : Jean-Jacques CHAZALET
La Périchole : Emmanuelle ZOLDAN. Première Cousine : Virginy FENU Deuxième Cousine : Violette POLCHI. troisème Cousine : Valentine LEMERCIER.  Frasquinella : Agatha MIMMERSHEIM. Marchande : Anne-Gaëlle PEYRO.
Piquillo : Rémy MATHIEU.  Don Andrès de Ribeira (Vice-Roi) :  Alexandre DUHAMEL. Don Miguel de Panatellas : Dominique DESMONS. Don Pedro de Hinojosa : Jacques LEMAIRE. Le Marquis de Tarapote :Antoine BONELLI. Le Marquis de Satarem : Michel DELFAUD. Geôliers et bourreaux : Patrice BOURGEOIS, Yves FLEURIOT et Damien RAUCH. 

Photos © Christian Dresse :
1. Le pardon demandé au Vice-Roi ;
2. La Périchole (Zoldan) et le Vice-Roi travesti en geôlier (Duhamel).

mercredi, avril 06, 2016

LA COULEUR DES RÊVES

  







    Living Art's 
 

50 cours Julien, 13006 Marseille



jeudi 7 avril à 20:00

     Au célèbre boléro humoristique d'Osvaldo Farrés Quizás, quizás, quizás ('Qui sait, qui sait, qui sait'), trois artistes de chez nous ont emprunté leur nom et prêté leur talent (On sait, on sait, on sait…) pour ce trioTrio quizás
 Voix, piano, violoncelle
Lucile Pessey, soprano - 
Anne Gambini ,Violoncelle 
et Nicolas Mazmanian : Piano et arrangement, et compositeur
dans un programme latino-coloré. 

À CRAQUER, CROQUER, DÉGUSTER,  SAVOURER
AU
    LIVING ART'S
ou jamais l'art n'aura été mieux servi ni plus vivant 


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