Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

vendredi, février 27, 2015

MUSIQUES INTERDITES


Michel VAUZELLE
Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur
a le plaisir de vous inviter au
Récital de musiques interdites
Mardi 3 mars 2015 à 19 h 00
Hôtel de Région – Salon d’Honneur
Récital organisé dans le cadre de l’exposition « Mémoires pour demain, Génocides et mécanismes du pire au XXe siècle, Comprendre hier pour mieux vivre demain », Maison de la Région. En partenariat avec le Festival Musiques Interdites.
Hôtel de Région 27 Place Jules-Guesde Marseille 2ème
Korngold


Haas


Afin de célébrer la libération des camps, la Région propose un concert avec deux créations en France de compositeurs annihilés par le IIIe Reich : 

le quintette avec piano d’Éric Wolfgang Korngold, chef d’œuvre témoignant de l’universalisme de la Vienne des années vingt et le quintette avec ténor de Pavel Haas, œuvre puissamment lyrique d’un génie précoce gazé en 1944 à Auschwitz. Le récital aura pour cadre le monolithe monumental de la sculptrice Lisa Deck 
« L’Éternité des larmes ».
Quintette avec piano d’Éric Wolfgang Korngold Quintette avec ténor de Pavel Haas Quatuor des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Marseille Vladik Polionov, pianiste, Wilfried Tissot, ténor Victorien Vanoosten, chef


réservation impérative à 

protocole@regionpaca.fr <mailto:protocole@regionpaca.fr>  

Association pour le Festival Musiques Interdites musiquesinterdites@free.fr

Hôtel de Région 27 Place Jules-Guesde Marseille 2ème


  

ANNONCE

Germaine Tillion entre au Panthéon le 27 mai 



jeudi, février 26, 2015

MEXICO, MEXiICO PAR LES YEUX D'UN ENFANT




  
        L'habitude use le plaisir et à voir, tout voir et revoir tant de spectacles repris, on risque de ne plus pouvoir les voir, de les détester même, banale affliction de la critique devenue routine, blasée, qui a perdu la nécessaire fraîcheur enfantine pour jauger, juger ce type de production dont le pérenne succès devrait pourtant inciter à l'interrogation et à en comprendre la nécessité encore aujourd'hui. 
       Certes, le seul plaisir de réentendre l'infatigable Marc LARCHER d'une arrogante santé vocale pour un rôle pas facile, la piquante et adorable Caroline GÉA qui sait faire intime et confidentiel le vaste plateau pour roucouler son amour secret, les inénarrables  DESCHAMPS, DESMONS et autres joyeux démons et diablesses de la bande, valait bien le retour. Affronter ces toiles peintes pour décors, ces rideaux ondulants qu'on tire, retire, avec force rides et rires, cela déride quand on a une âme d'enfant, quel que soit notre âge.  Mais, quand on a de l'âge sans malheureusement cette âme enfantine ?
       Eh bien, le bonheur d'avoir pour voisin, à ma droite, un jeune garçon, fou de foot, assistant à son premier spectacle musical et, à ma gauche, son père, qui garde quelque chose de l'enfance dans l'œil et le sourire : le plaisir de leur découverte m'a fait éprouver comme pratiquement neuve cette reprise sans ride, mais qui déride toujours, et a doublé mon plaisir de celui du duo familial. Et il fallait voir ÉTHAN, à l'issue du spectacle, timide d'abord, encouragé par mes soins, s'enhardir peu à peu pour demander à tous ces artistes, aussi talentueux que simples, un autographe sous leur photo du programme.  
       J'aurai revu ce spectacle, renouvelé par les yeux d'un enfant et admiré encore plus ces artistes, qui, généreusement, sans mesurer des bis harassants, offraient du bonheur à une salle entière. Je reprends donc mon texte d'alors qui vaut pour aujourd'hui.
 
Le Chanteur de Mexico
opérette en 2 actes et 20 tableaux
musique de Francis Lopez,
livret de Félix Gandéra et Raymond Vincy, paroles de Raymond Vincy et Henri Wernert,
 créée au théâtre du Châtelet, 1951
Théâtre de l’Odéon
 22 février 2015
et  17 décembre 2017

Patrimoine culturel populaire
     Avec ses soixante-quatre ans d’âge, cette opérette n’a pas pris une ride, même si son public en a pris plus d’une, à juger par celui qui occupait la vaste salle de l’Odéon, comble. Mais le comble, c’est l’air de jeunesse qu’insufflaient ces airs à ce vibrant auditoire rajeuni par le souvenir. En termes philosophiques, on pourrait, pour tel spectateur, savant mais simple, et critique non blasé, parler d’anamnèse, ce phénomène défini par Platon de découverte (ou redécouverte) au fond de soi de quelque chose qu’on croyait enfoui, oublié, ou inconnu car, à écouter cet inépuisable collier de chansons, de perles (préférons ce terme au mot « tubes » mal sonnant pour l’émission sonore), avec surprise et émotion, je découvrais, que je connaissais non seulement ces musiques mais pratiquement toutes leurs paroles, et pas seulement le célébrissime « Mexico, Mexiiiiico… », auquel personne en France n’a échappé, même si ce genre de rengaines n’était pas beaucoup de mon répertoire. Alors, sans trop extrapoler d’un cas particulier au général, mais tout de même accrédité par ce nombreux public enthousiaste, il n’est peut-être pas abusif de conclure que cet ouvrage, ses jolies chansons qui restent dans l’oreille dès la première fois et qu’on garde pour toujours même entendues par mégarde, par imprégnation sonore extérieure, et que tant de gens se précipitent pour réentendre, font partie d’un patrimoine culturel populaire très puissant qu’on aurait tort de mépriser et qu’on a raison d’exhumer, car il est loin d’être mort. Il est vrai que le charisme de Luis Mariano y est grandement pour quelque chose, la culture a aussi ses cultes. Mais si, finalement, on s’y retrouve, c’est que la mémoire (le cœur ) a ses raisons que la raison ne connaît pas. Et c’est tant mieux.
Réalisation et interprétation
     Pour vanter la vertu tonique de ce tequila musical (le terme est masculin en espagnol), je ne vais pas me répéter en disant que cela devrait être remboursé par la Sécu, formule que j’avais employée pour la mise en scène du Médecin malgré lui de Molière par Andonis Vouyoucas il y a des années, qui a longtemps figuré même dans les affiches du Festival d’Avignon, que j’ai reprise pour le Barbe-Bleue d’Offenbach, et qui refleurit maintenant un peu partout, répercutée aussi par les réseaux dit sociaux…
    Citer tous les intervenants pour le livret, le texte, est plus long que d’en dire du bien : ils on dû conjuguer bien des efforts pour un résultat bien faible. Une fable sirupeuse et, dans cette version, une vague intrigue politique sur fond de Révolution mexicaine où l’on a la surprise comique de voir Zapata en chef aztèque au pied de la grande pyramide. Mais les paroles des chansons ont la naïveté et la malice de leur facilité qui colle à l’oreille, d’autant que les musiques qui les portent, transportent de plaisir. En effet, Francis(co) López, pour l’appeler par son nom, a une véritable veine et verve mélodique : aux musiques d’ambiance et danses hispaniques, fandango, jota, zapateado, boléro (Acapulco) et le fameux « Mexico, Mexiiiico » avec fausset de mariachi, il sait mêler d’autres moins typées mais tout aussi efficacement mémorisables (et finalement, mémorables) telles les chansons « Quand on est deux amis… » et, notamment, l’intemporel « Rossignol, rossignol de mes amours… »

    L’orchestration ne pèche pas par excès de présence, mais les dix-huit musiciens de l’Orchestre du théâtre de l’Odéon, sous la direction attentive de Bruno Conti, jouent plaisamment le jeu de la fonction d’accompagnement tandis que le Chœur phocéen de seize chanteurs, dans la mise en scène trépidante de Jack Servais, entrent vraiment dans le jeu et la danse, allègrement réglée par la chorégraphe Estelle Lelièvre-Dansvers, ne cédant le pas qu’au  sympathique ballet de sept danseurs, très judicieusement déployé. Quant aux décors, dans la tradition naïve mais prenante et gentiment surprenante du genre, toiles et cartons généreusement peints (Laurent Martinel), dont ce magnifique et hyperbolique sombrero mexicain du dernier tableau, ils servent de cadre à une débauche ahurissante de costumes, certains comiques, mais tous très beaux, très harmonieux dans leurs couleurs, d’un luxe inouï (Maison Grout).

     Dans ce cadre, cet écrin fantasque, fantastique à force d’excès, les protagonistes, survoltés, s’en donnent à cœur joie, des figures de passage (Jean Goltier, Jean-Pascal Mouthier) à ce Grand sorcier inénarrable d’Antoine Bonelli, par ailleurs bonasse Bidache. Mikhaël Piccone n’a qu’à paraître, sans même chanter, et nous avons une irrésistible silhouette à la dégaine comique en Miguelito agent double et trouble. Presque à la fin, en prêtre aztèque tout général Zapata qu’il soit, Jean-Marie Delpas, est, par le tonnerre de sa voix, digne de Huascar, l’Inca des Indes galantes de Rameau. Véritable tornade, la Tornada de Simone Burles campe, à faire décamper les mâles, une chef guérillera vautour et vorace amoureuse. Le Bilou, pauvre filou de Claude Deschamps, remarquable chanteur et acteur, en fera les frais à son corps non défendant. Liens entre la France de départ et le Mexique d’arrivée, l’impresario Cartoni de Dominique Desmons, est de la race de ce qu’on appelait « fantaisistes », en fait ductile chanteur et acteur qui sait tout faire, et il le prouve bien jusqu’à pousser un brin de Tosca. Sans grand effort, Kathia Blas, est une vraisemblable divette d’opérette, avec une jolie valse d’entrée qui est un sacré programme de séduction digne de certaines héroïnes légères d’opéra. Voix adaptée pour deux chansons confidentielles qu'elle ne grossit heureusement pas malgré la vaste salle à l’ingrate acoustique,  joli timbre et joli jeu, fruitée au milieu des fruits, Caroline Géa est une adorable Cricri, parigote rigolote, gouailleuse puis  amoureuse pudique après.

 Quant au "Chanteur de Mexico", physique de latin lover, plus hispanique que nature, œil sombre de feu sous sourcil et crin noir avec un sourire éclatant de blancheur, séducteur et prédateur, c’est le ténor Marc Larcher. Il ne s’abaisse pas à singer Mariano mais s’élève au contraire par le naturel de cette voix tour à tour de velours dans le médium tellement sollicité par les chansons, éclairs dans l’aigu échappant aux limites de la tessiture du genre. Acteur convaincant, dansant, il est en scène chez lui et déchaîne l’enthousiasme en s’amusant aux tenues de souffle du falsete mexicain qu’il ne se lasse pas de répéter en bis alors même qu’il a enchaîné générale, première et seconde représentation sans un jour de repos pour un rôle qui porte toute la pièce sur ses épaules, sa voix. Un grand, grand bravo.
    Bref, sans sombrer dans le gâtisme, sans retomber en enfance, on retrouve un bonheur d’enfant à voir et entendre, malgré l’enfantillage du livret, ces grands enfants que sont les artistes, même au milieu d’un public qui ne l’est plus guère mais retrouve ici un regain de jeunesse. Que nous partageons avec eux.
Théâtre de l'Odéon, 
22 février 2015, 16 et 17 décembre 2017
Le Chanteur de Mexico
Musique de Francis LOPEZ
Direction Musicale : Bruno CONTI.
Mise en scène : Jack GERVAIS. Chorégraphie : Estelle LELIEVRE-DANVERS. Décors : Laurent Martinel. Costumes : Maison Grout.
Distribution 
Caroline GÉA, Kathia BLAS, Simone BURLES, Marc LARCHER, Claude DESCHAMPS, Dominique DESMONS, Jean-Marie DELPAS, Mikhael PICCONE, Antoine BONELLI, Jean GOLTIER, Jean-Pascal MOUTHIER.

Photos (© Christian Dresse) :
1 et 2  Pays basque : "Quand on est deux amis" ; "Maïtechu";
3 et 4 Paris : Moulin de la Galette ; Montmartre ;
4, 5 et 6 Mexique : danses (Acapulco) ; danseur de Mexico et pyramide aztèque ;
7 et 8 : tableaux de fin.


mercredi, février 25, 2015

FÉVRIER MUSICAL ET LYRIQUE


CONCERTS À MARSEILLE

   Au cœur de l’hiver, la chaleur du chant… Marseille, ville musicale et lyrique. À peine éteints les feux et Caprices de Marianne pour clore janvier, le mois de février s’égrène avec une enfilade de perles de concerts.
     Ainsi, rien que dans la première semaine, on pouvait entendre, le 6, au Corbusier, l’ensemble Baroque graffiti, avec Sharman Plesner au violon et Jean-Paul Serra au clavecin, dans un concert déjà présenté la veille à Aix, au Musée des tapisseries,  de sonates pour ces deux instruments du trop peu connu Chevalier de Saint-Georges, surnommé « Le nègre des lumières »  qui fut le protégé de Marie-Antoinette, arrogante mais originale reine qui illustrait de la sorte son non conformisme en promouvant, au grand dam de la cour, un compositeur et chef d’orchestre noir, par ailleurs célèbre duelliste. 
    Nous avons eu, les 6 et 7, « La folle Criée » en association avec le festival de piano de la Roque d’Anthéron, des concerts mémorables, avec, à l’affiche Claire-Marie Le Guay, le Ricercar Consort et Philippe Pierlot, Café Zimmermann avec Céline Frisch et Pablo Valetti, Rémi Geniet, le Trio Chausson, Marina Chiche et Emmanuel Strosser, Anne Queffélec..
    Mais cette folle semaine musicale était ouverte par Marseille-Concerts le lundi 2, aussi à la Criée, avec son premier concert de jazz, « Cross over fantaisies », croisant justement jazz et musique classique. Le second eut lieu le 17, toujours à la Criée, avec l’ensemble Belmondo, « Family sextet », belle famille de musiciens avec Yvan Belmondo au saxophone baryton, Lionel Belmondo au saxophone ténor, soprano et flûte, Stéphane Belmondo, trompette, mais aussi, de la même tribu, pères et fils, Jean-Philippe Sempere, guitare, Sylvain Romano, contrebasse et Jean-Pierre Arnaud, batterie : unis dans une culture commune pour une musique ensoleillée, fiévreuse mais festive.

Vaillante diva
      Le vendredi 13 fut un jour de chance puisque nous eûmes celle de courir à l’Opéra pour y entendre la merveilleuse Patrizia Ciofi, presque Marseillaise d’honneur tant elle nous honore et régale de sa présence, à laquelle la mezzo Clémentine Margaine donna la réplique, sous la direction de Luciano Acoccella qui ouvrit et rythma les parties vocales par l’ouvertures du Barbier de Séville à laquelle on prête toujours, a posteriori, l’esprit comique de l’opera buffa, alors que ce fut d’abord celle d’Elisabetta, regina d’Inghilterra, opera seria, ce que nous rappela l’interprétation peu bouffe du maestro. Celle de Roberto Devereux  eut la volupté  contenue de l’œuvre, de cet amant charnel ou platonique de la Reine dite Vierge et celle Semiramide, une grandeur antiquisante.
Patrizia Ciofi (© Borghese)
      Ayant la voix de Patrizia à l’oreille, disons au cœur, dès son premier récit et air, tiré de la rivale malheureuse de la reine d’Angleterre encore, Maria Stuarda, «O nube che lieve...Nella pace del mesto riposo», au-delà de ce timbre à la couleur boisée, je sentis un voile gênant pour la cantatrice, mais son métier est tel qu’avec l’échauffement, on ne sentit nulle difficulté et l’on vibra de ses colorature vertigineuses autant qu’expressives. Sa lettre et son adieu de Traviata, «Teneste la promessa...Addio del passato», furent bouleversants de vérité et vocalement servis en émotion par cette même gêne de la voix : il s’agissait bien d’une mourante qui chantait. Même émotion dans la supplique au ciel de Luisa Miller et, dans un répertoire mozartien inhabituel, l’air de fureur de l’Électre, d’Idomeneo, on se demande comment une voix si douce peut exprimer un tel déchaînement de haine.
Clémentine Margaine
      À côtés de la grande soprano qui la parraine, avec seulement deux airs solistes pour quatre à Patrizia, Clémentine Margaine mezzo soprano, séduit par la sonorité saine d’un timbre chaleureux, voluptueux, d’une voix puissamment et bellement cuivrée, très égale dans tous les registres, aux aigus faciles. Elle est d’abord Neris, servante fidèle jusqu’au sacrifice de la Medea de Cherubini, avec un phrasé large qui convient à la noblesse de ce morceau néo-classique, d’une grande beauté vocale. On s’étonne d’entendre en italien, par une française, l’air de La Favorite de Donizetti «Oh, mio Fernando !», toujours un déploiement vocal plus somptueux peut-être que passionné. Dans les duos, les deux cantatrices rivalisent de virtuosité et, enfin, dans le dernier, entre Norma et Adalgisa (que Patrizia chante partition à la main avec des mimiques malicieuses envers son public qui l’adore), c’est la beauté alliée à l’émotion offerte par les deux et partagée par la salle et, juste au moment des bis réclamés par une salle enthousiaste et insatiable, l’aveu de sa grippe par Patricia Ciofi. La barcarolle des Contes d'Hoffmann d’Offenbach achevée, à peine entamé le duo des fleurs de la Lakmé de Delibes, la vaillante Patrizia dans son chant, vaillante dans son stoïcisme, est vaincue par la toux mais triomphe par le courage d’avoir tenu jusqu’au bout d’un concert périlleux par sa difficulté et par son état de santé qu’elle avait tu jusque-là. Bravo l’artiste, merci.
Luciano Acocella

 Lyricopéra d'art et d'amour
    Tomber amoureux d’une voix et célébrer l’amour ou les amoureux, ce fut le lendemain, pour la Saint Valentin, le samedi 14.

    Marthe Sebag, inlassable bonne dame est devenue, avec Lyricopéra, au sens le plus noble, la dame patronnesse des jeunes chanteurs qu’elle patronne exactement, dans le Temple Grignan, en leur offrant la possibilité de s’y produire. Corps et âme, elle se dévoue pour y donner des concerts lyriques  (et même une master class qui commença le 16 pour finir le 21 par un récital des jeunes stagiaires). Elle tâche d’y inviter de jeunes chanteurs prometteurs ou qui ont déjà tenu leurs promesses. Accompagnés par la pianiste Marion Liotard, maître de chant dans le malheureux CNIPAL perdu, mais très sollicitée, on y entendit, dans des airs et duos d’amour de l’opéra la soprano Chrystelle di Marco, une découverte, une voix qu’on ne peut entendre sans l’aimer et la quitter sans l’espoir de la réentendre bien vite.
Chrystelle di Marco
     Le ténor géorgien Irakli  Kahidzé, issu de ce CNIPAl dont on ne déplorera jamais trop la fin, devait être son partenaire mais les horribles événements du 7 janvier ayant resserré les contrôles aux frontières, il ne pu obtenir son visa pour être à temps chez nous. Au pied levé, c’est notre grand ténor marseillais, et international, Luca Lombardo, qui accepta aimablement de le remplacer. Une occasion pour nous de saluer encore cet artiste à l’admirable carrière dans le monde entier, assez modeste et généreux pour être des nôtres et patronner cette jeune partenaire.
       Évidemment, en cette Saint Valentin, l’amour était au programme avec ses airs et ses duos, d’harmonie entre les amants même au destin malheureux comme Tosca et Mario, chantant la naissance (bien rapide) de l’amour comme Mimi et Rodolfo ou l’amour à mort comme Santuzza et Turiddu de Cavalleria rusticana. Dans ces trois rôles, soprano dramatique le premier, soprano lirico spinto le second, et le dernier, soprano dramatique aux limites du mezzo, puis, en bis, le soprano néo-classique ou Falcon de Norma, Christelle di Marco déploya, avec un engagement passionnel (qu’elle devra maîtriser pour protéger son magnifique organe), le tissu somptueux d’une voix puissante, large sur toute sa tessiture, facile, d’une couleur qu’elle sait varier du rouge sombre du médium au noir des graves et à l’éclat lumineux des aigus éclatants. Bonheur d’une découverte. Et inquiétude et incompréhension qu’une telle voix ne trouve pas d’emploi sur nos scènes.
Luca Lombardo (© Gilles Swierc)
    Simple, souriant avec une tendresse de grand frère protecteur, Luca Lombardo donne la réplique à cette jeune pousse et pousse, sans jamais pousser, la lumière d’une voix lumineuse, expressive tant dans la nuance musicale que du texte (à faire pleurer dans le lamento de Mario de Tosca, si galvaudé, senti de l’intérieur). Dans l’ingratitude d’un concert sans l’appareil de la scène, du théâtre, il semble vivre non seulement ce qu’il dit et chante mais existe même lorsqu’il est muet à l’écoute attentive de sa partenaire, réagissant finement, sans jamais en faire trop, vibrant à chaque mot ou note qu’elle émet. Un artiste.
    Au piano, Marion Liotard, valeureuse partenaire, rompue au chant et au récital, semble faire corps avec les deux chanteurs plus que les accompagner. Elle arrive presque à nous faire oublier l’orchestre en nous détaillant amoureusement l’intermezzo rêveur de Cavalleria rusticana. En bis, il électrise la salle avec la passionnelle chanson napolitaine Dicitenccello vuie, aveu détourné, puis direct, d’amour. Amoureuse Saint Valentin. Merci, amis. Merci Marthe.

lundi, février 23, 2015

SANS VESTIGES VÉRISTES



LA BOHÈME (1896),
 « Scènes lyriques en quatre tableaux »
musique de Giacomo Puccini,
 livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa,
d’après le roman d’Henry Murger Scènes de la vie de bohème (1851)
et de son adaptation théâtrale La vie de bohème.

Opéra Grand Avignon
15 février

L’œuvre
    « La bohème », c’est ainsi que les bourgeois dénommaient ces jeunes gens, artistes ou aux prétentions artistiques, désargentés, menant une vie non conformiste hors des normes, des conventions sociales rigides. D’ailleurs, aujourd’hui, plaisamment, le terme « bobo » qualifie des « bourgeois bohème », vivant ou affectant une liberté de mœurs qui contredit la rigidité généralement attribuée à leur classe.
    
L’action se déroule à Paris vers 1840, donc une décennie après les « Trois glorieuses », les trois journées révolutionnaires qui ont chassé du trône le stupide roi Charles X de la Restauration monarchique, qui, voulant anéantir les conquêtes de la Révolution encore chaude de 1789, prétendait imposer la censure de la presse, entre autres mesures contre-révolutionnaires. C’est donc dans un Paris juvénile et bouillonnant, au romantisme exacerbé, que nous faisons la connaissance de quatre jeunes gens qui partagent une pauvre et glaciale mansarde parisienne :
Rodolfo, Marcello, (Rodolphe et Marcel en français, poète et peintre respectivement), Schaunard, le musicien, et Colline le philosophe, les quatre garçons sinon dans le vent, dans les courants d’air, sans le sou qui ne peuvent plus payer le loyer. Peu importe, l’embobinant, enrobant de bonnes paroles et imbibant d’alcool leur logeur venu réclamer son dû, trois d’entre eux courent vite dépenser un petite pécule reçu miraculeusement et attendent Rodolphe qui s’attarde pour finir un travail, au célèbre café Momus, près du Louvre.
    Survient une fragile et jolie voisine, la « grisette » Mimi, demandant du feu pour sa bougie éteinte. Sa chandelle rallumée, elle s’éteint d’un courant d’air ou elle l’éteint elle-même pour le plaisir de rester avec le poète ; elle perd ses clés et tous deux, à quatre pattes, la recherchent dans l’ombre. Leurs mains se touchent et, malgré la froideur («Que cette main est froide, laissez-moi la réchauffer…) de cette main, c’est la flamme de l’amour qui les embrase. Chacun se définit, Rodolphe comme poète et Mimi, dans un adorable récit lyrique, se raconte : elle est brodeuse, des fleurs sans parfum, mais les fleurs de sa mansarde sont sa coquetterie lorsque arrive le beau temps.

   C’est la mythologie et la martyrologie de l’œuvre puisque Mimi mourra phtisique, mal peu romantique du temps, comme  la « traviata » Violetta , en ayant quelque peu expérimenté également le confort de se faire entretenir par un riche vicomte.

Faux réalisme de faux déclassés
    On classe abusivement La Bohème dans le courant « vériste » de l’opéra italien de son temps. Je l’ai déjà dit, cela se discute : le naturalisme est impossible dans l’opéra où les gens ne parlent pas mais chantent, surtout en vers. Le vérisme n’est qu’une convention artistique de choix de sujets proches du quotidien, d’un style de chant, le seul réalisme est celui des sentiments, comme d’ailleurs l’exprimait Puccini lui-même.
    D’ailleurs, à part la belle scène de jeu et de séduction entre Mimi et Rodolphe, où leurs mains se cherchent en feignant de chercher les clés dans le noir, comment croire, malgré l’exaltation née du désir et du contact, à l’explosion immédiate de leur amour clamé et déclamé, comment faire crédit au galopant « Je suis à toi !» à un Rodolphe connu un quart d’heure avant ? Nous sommes dans le pacte théâtral qui accélère le temps, qui le raccourcit pour ne pas s’installer dans la durée de la démonstration. Quant aux protagonistes, ces jeunes artistes en attente de célébrité, le poète (Rodolfo), le peintre (Marcello), le philosophe (Colline) et le musicien (Schaunard) partageant cette misérable mais pittoresque mansarde, comment croire au réalisme social et psychologique de ce « panel » trop délibérément représentatif ? Et brûler allègrement sa pièce de théâtre comme Rodolphe ou son dernier tableau comme Marcel juste pour faire du feu et des phrases enflammées, qui peut souscrire au réalisme de la scène ? C’est pratiquement du théâtre dans le théâtre : un jeu dans le jeu. Et le si pauvre Rodolphe glacé et mort de faim offrant à Mimi, dès la scène immédiate de Momus, un béguin, un bonnet et d’autres babioles apparemment?

    Pour ces faux déclassés, il est clair, hier comme aujourd’hui, pour ces fils de bourgeois qui peuvent se permettre de ne pas travailler pour vivre la vie d’artiste sinon encore vivre de leur art, « la bohème », la misère en passant n’est que les grandes vacances d’enfants gâtés : un luxe de nantis. La seule vraie prolétaire, c’est Mimi la brodeuse, la cousette, la grisette, et sans doute modèle posant nue, Musette, petite muse et amusette, de ces messieurs bien en parenthèses artistiques d’une vie dont on sent qu’elle rentrera dans le rang alors que l’une, phtisique, meurt, et que l’autre, ses appas fanés, sombrera probablement dans la prostitution.
     Le seul vérisme, disait Puccini, c’est celui des sentiments. En effet, vérisme ou pas comment n’être pas émus par le destin de Mimi et sa mort ? Entourée de ses amis, elle revient mourir dans la mansarde des temps pauvres mais heureux. Au-delà des clichés d’une misère pittoresque, on touche là, on est touché, par la vérité inéluctable du lieu commun : la fosse commune.


Réalisation
      L’un des mérites de la mise en scène de Nadine Duffaut, c’est d’avoir « déréalisé » ce réalisme extérieur de pacotille, d’avoir allégé l’œuvre des oripeaux, des vestiges d’un vérisme vermoulu devenu folklore, pour faire place à la vérité, même théâtrale, des personnages, des situations, des sentiments, de la musique dans sa pureté. L’épure justement : l’extraordinaire scénographie d’Emmanuelle Favre, qui déroute d’abord par un abord abstrait de décor de film expressionniste, grands panneaux, formes géométriques pures, triangles, rectangles, inclinés, en équilibre instable de monde menaçant, aux angles acérés comme lames ou couperet imminent ou immanent de justice révolutionnaire sur une injuste société grise, mais grise aussi d’alcool, replète et discrète bourgeoisie à l’austère et sobre apparence, apparemment digne dans ses costumes stricts (Kristina Berzenyi), qui réfèrent peut-être autant aux révolutions de 1830, 1848, qu’à la proche Commune : révoltes des jeunes contre les gérontes nantis et profiteurs. Dans la scène du café Momus, un drapeau tricolore (après le drapeau blanc monarchiste qu’avait voulu imposer à nouveau Charles X), une possible silhouette fugitive de Gavroche, de rapides feuillets rouges, autant de signes discrets d’une agitation que le défilé militaire, étrange et inquiétante parade de l’ordre bourgeois en plein Quartier latin bouillonnant un soir de Noël, ne parviendra pas à mater. Un furtif petit marmiton, espérant un jouet de Parpignol comme les petits bourgeois, est vite rattrapé et ramené à la réalité et nécessité de faire bouillir la marmite des autres pour aider à nourrir la sienne, de la famille : une rapide signature de Nadine Duffaut que ce regard attendri et lucide sur une réalité toujours occulte de l’opéra, art bourgeois par excellence.

   Dans des lumières oppressantes mais poétiques de Philippe Grosperrin, le décor tourne avec fluidité, sans solution de continuité, passant de la mansarde au café, à la place, à la barrière Denfer de l’octroi. Ici, pas de flocons « réalistes », pléonastiques, pour dire le froid : nous en avons, visuellement, à frissonner, le « ressenti » dans cette femme chancelante, mal réchauffée sans doute par la flamme glacée de l’absinthe, sous les coups de l’ « assommoir » de Zola ou de Degas, ces gens qui courbent les épaules, ces couples en goguette, éméchés, où l’homme tente de protéger d’un bras la femme et, en transparence et cruel contraste, la magnifique scène picturale étagée du restaurant chaud, aux chaleureuses couleurs, où chante et danse Musette pour amuser le public.
     Là, oui, on tremble de la solitude glacée de Mimi.

Interprétation
   Encore une fois, on ne peut qu’applaudir la cohésion à la fois vocale et interprétative de ces chanteurs bien dirigés scéniquement et lyriquement, avec, cependant le regret que le chef Balàzs Kocsàr ait eu parfois la baguette un peu lourde, forçant le plateau à forcer la voix dans cette musique qui ravissait Debussy.
     Les chœurs (Aurore Marchand), présents à l’acte II, chantent justement le chahut et l’on aime la maîtrise des enfants (Florence Goyon-Pogemberg), dont le petit soliste, qu’on ne force pas à chanter juste : cela sonne joliment naturel sinon naturaliste. Tous les personnages sont choisis avec soin, les silhouettes du vendeur ambulant Gentin Ngjela, du douanier Jean-François Baron, du sergent Xavier Seince, le Benoît de Lionel Peintre, poursuivant poursuivi par les bohèmes, et persécuté par sa femme, le Parpignol  de Patrice Laulan, assailli par la nuée d’enfants. Francis Dudziak campe un élégant Alcindoro dépassé par sa diva de Musette scandaleuse.

   Le quatuor des artistes est remarquable  aussi de cohésion vocale et musicale : Yann Toussaint est un Schaunard dont on déplore le peu d’espace que  laisse la partition au musicien du groupe. Dans son funèbre et laconique adieu à son manteau, en Colline, Ugo Guagliardo, malgré un départ rapide de la première mesure, déploie un beau tissu sombre de basse veloutée. Mais, sans grand air, dans une conversation musicale continue, Lionel Lhote, impose un Marcello de chaleureux et sonore baryton, large, persuasif. Le rôle piquant de Musetta, coquette craquante, à croquer, Cristina Pasaroiu le gratifie d’un timbre fruité, au petit vibrato voluptueux, plus provocante que caressante avec les hommes bien sûr, qu’elle fait marcher à la baguette en public ou, qui sait, à la cravache dans l’intimité comme le malheureux Alcindoro, mais elle est émouvante dans sa prière pour sauver Mimi. Celle-ci, c’est la jolie et flexible Brigitta Kele, tendre et moelleuse voix, aisée, délicate. Audacieuse grisette éteignant elle-même sa chandelle pour avoir le prétexte de demander le secours de l’aimable jeune voisin, elle sait être timide ou le jouer, crédible malade car non défigurée par une énorme voix. Face à cette fleur délicate, Florian Laconi, qu’on ne cesse de découvrir, est un Rodolfo puissant, déployant toute la séduction d’un ténor lirico spinto, voix égale sur tout son registre et capable de la même force sur toute l’échelle abusant peut-être de sa facilité dans le forte, mais émouvant, emportant tout sur son souffle, remportant tous les suffrages.
     Une nouvelle production de La Bohème qui justifie, finalement, des retrouvailles avec cette œuvre si vue et entendue qu’on résiste parfois à la revoir et entendre.

Opéra Grand Avignon
La Bohème de Puccini,
15 et 17 février
Nouvelle production
Sous L’égide du Club Soroptimist International
 et au profit du programme « Education des filles et Leader Cheap » 
 Orchestre Régional Avignon-Provence
Chœurs et Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Sous la direction de Balàzs Kocsàr.
Mise en scène : Nadine Duffaut ; décors : Emmanuelle Favre ; costumes : Kristina Berzenyi  (et participation de Katia Duflot) ; lumières : Philippe Grosperrin.

Distribution
Brigitta Kele : Mimi ; Cristina Pasaroiu : Musette.
Florian Laconi : Rodolfo ; Lionel Lhote : Marcello ; Yann Toussaint : Schaunard ; Ugo Guagliardo : Colline ; Patrice Laulan : Parpignol ; Benoît : Lionel Peintre ; Francis Dudziak : Alcindoro ; le sergent : Xavier Seince ; le douanier : Jean-François Baron ; vendeur ambulant : Gentin Ngela.


Photos : © Cédric Delestrade / ACM Studio
1. Les quatre compères : Guagliardo, Laconi , Toussaint, Lhote ;
2. Mimi (Brigitta Kele) et  Rodolfo (Florian Laconi) ;
3. Le café Momus : à droite, attablés, Alcindoro (Francis Dudziak ) et Musette (Cristina Pasaroiu) ;
4. Défilé militaire ;
5. Musetta et Marcello ;
6. Mort de Mimi.

samedi, février 21, 2015

VÊPRES DE NOTRE-DAME


Enregistrement 5/1/2015, passage, semaine du 12/1/2015
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 158

Les Vêpres de Notre-Dame de Paris
 de Philippe Hersant, 
un CD sous direction de  Lionel Sow.
Avec la Maîtrise de Notre-Dame de Paris. 
Solistes :  Alain Buet, barytonRobert Getchell, ténor ; 
L’Ensemble de cuivres anciens de Toulouse 
(Jean-Pierre Canihac, Marie Garnier : cornets ; 
Jean-Noël Gamet, Daniel Lassalle, Frédéric Lucchi : sacqueboutes ).
David Joignaux : cloches Olivier Latry : grand orgue ; Yves Castagnet : orgue de choeur.



    Vieille dame toujours jeune, la cathédrale Notre-Dame de Paris fêtait, l’année écoulée, son 850e anniversaire. Or, tous les 50 ans, la religion catholique célèbre ce qu’on appelle un jubilé. Pour commencer ces festivités, les autorités ecclésiastiques de Notre-Dame avaient programmé les célèbres Vêpres de la Vierge de Monteverdi le 30 juin de l’année dernière dont j’ai ici même parlé à l’occasion de la sortie d’un Cd exceptionnel :
      Ambronay (Harmonia Mundi), Vespero della beata Vergine de  Claudio Monteverdi, dirigé par  Leonardo García Alarcón, à la tête du Chœur de Chambre de Namur et de la 
Capella Mediterránea
     Pour clore le jubilé, elles ont commandé une œuvre à un compositeur vivant bien connu Philippe Hersant, Les Vêpres de Notre-Dame de Paris, qui paraissent sous forme d’un CD édité par la Maîtrise Notre-Dame de Paris.
    La parenthèse ouverte par les Vêpres anciennes de Monteverdi est donc close par celles de Philippe Hersant, non sans un effet évident et sonore de miroir : le compositeur contemporain proclamant lui-même sa filiation montéverdienne, parodique au moins pour l’une de ses œuvres, un opéra, Le Château des Carpates, d’après le roman de Jules Verne. Par ailleurs, grand historien de la musique, Hersant glisse ici de subtiles réminiscences médiévales du Livre Vermeil de Montserrat (de la fin du XIVe siècle), un livre qui prend son nom de sa couverture vermeille en velours trouvé dans le monastère catalan de Monserrat, et qui contient toutes sortes de chants et danses dédiés à la Vierge à l’usage des pèlerins venus au santuaire. Mais il trouve aussi son bien aussi chez Guillaume Dufay du siècle suivant, sans oublier les postérieurs et baroques Gesualdo ou Monteverdi, bien sûr, qui ont également exprimé la dévotion mariale, qui sont des références en la matière. Philippe Hersant a de la sorte intelligemment puisé dans la tradition canonique de la musique liturgique occidentale, avec quelques repères chez ces grands compositeurs anciens, et, dans cette logique historique, il a également tenu à colorer l’orchestration de ses Vêpres de la Vierge Marie avec des instruments anciens, mélange heureux de saveur ancienne d’un langage personnel moderne pimenté de ces références délicates. Il livre ici, pour le monument qu’est Notre-Dame, un ouvrage monumental d’une durée d’une heure et quart mobilisant la Maîtrise de Notre-Dame de Paris au grand complet, c’est-à-dire le chœur d’enfants, plus deux chanteurs, un baryton et un ténor, le célèbre ensemble de cuivres anciens Les Sacqueboutiers de Toulouse (la sacqueboute est l’ancêtre du trombone), trois sacqueboutes et deux cornets, des cloches et deux orgues, le grand orgue et celui du chœur.
   Nous en goûtons la teneur et saveur dès l'introduction, Toccata & Invitatoire, très poétique bouillonnement, effervescence, efflorescence des orgues, avec l’éclosion lumineuse des cloches qu’il faut imaginer dans le bourgeonnement, la floraison de pierre de la cathédrale gothique, avec le scintillement de lumière des grands vitraux. Une page magistrale de ce disque :
Philippe Hersant
   Quelques mots sur le compositeur Philippe Hersant, qu’il ne faut pas confondre avec le patron de presse de même nom. Il est né le 21 juin 1948 à Rome, mais c’est un compositeur français qui a fait des études de lettres et de musique à Paris. Il est auteur d’une œuvre très variée, qui a reçu de nombreuses distinctions trop longues à citer toutes : Grand Prix de la Musique Symphonique de la SACEM (1998) qui lui a accordé diverses récompenses, il est consacré compositeur de l’année par deux fois (2005, 2010) par les Victoires de la Musique classique, etc. Il a composé pour la voix, pour le théâtre, pour le cinéma.
    Respectueux des contraintes formelles imposées par le jubilé, Hersant construit son œuvre, sur le modèle traditionnel de l’Office des Vêpres tel qu’il se donne à Notre-Dame. Ainsi, les Vêpres sont structurées en huit sections très équilibrées : après une Toccata instrumentale comme une introduction et ouverture avec le chœur qui implore l’aide de Dieu, l’Ave Maris Stella, hymne de supplique à la Vierge ‘étoile de la mer’ et le Magnificat, hymne de gloire à Dieu, également introduit par une Toccata instrumentale, chantés en latin; forment un portique harmonieux, encadrant les Psaumes 121 et 126, séparés par une autre Toccata et le Cantique aux Ephésiens chantés en français. Les textes français des Psaumes et du Cantique sont extraits de  la célèbre traduction de la Bible dite de Port-Royal (1667) par le janséniste Louis-Isaac Lemaistre de Sacy qui l’écrivit pendant ses deux ans de prison à la Bastille, lors du conflit entre les jansénistes, qualifiés de "huguenots dans l'Église catholique", et l'orthodoxie  religieuse voulue par le pouvoir centralisé qu'instaurait la monarchie.
 De l’Ave Maris Stella, l’on admirera et l’on sera touché par la pureté cristalline de ces voix d’enfants invoquant la Vierge comme une étoile de la mer, une phare, un guide lumineux et salvateur dans les ténèbres de la vie, et il faut encore imaginer cette lumière pure dans la nef ombreuse de la vaste cathédrale que le petit cortège angélique parcourt de l’entrée au chœur. Un moment de grâce faisant penser aux enluminures naïves du Moyen-Âge et, justement ici, à ce Llibre Vermell de Montserrat ou à certaines des plus délicates Cantigas de Santa María d'Alphonse X le Savant
    En parfaite adéquation au genre et au lieu, le vaste vaisseau de pierre de Notre-Dame de Paris, cette œuvre, évitant la grandiloquence, mêle la grandeur, sans doute solennelle du jubilé et de cet espace sacré, à des plages plus intimes de douceur, comme des chapelles plus recueillies jalonnant l’immense nef impressionnante. On savourera les accents de la Toccata III qui prélude au final du Magnificat, auréole, mandorle musicale qui enveloppe, drape dans ses plis le recueillement de ces stations, de ces plages, de ces pages plus marialement et délicatement méditatives.


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