Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

Ma photo
Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

vendredi, janvier 30, 2015

NÉGRITUDE ÉCLAIRÉE

négritude éclairée

CHARLIE CONCERT À MARSEILLE




L’Orchestre philharmonique de l’Opéra fêtait ses 50 ans…
OPÉRA DE MARSEILLE
10 JANVIER 2015

    « Ce siècle avait deux ans… », disait Victor Hugo de sa naissance, grand témoin du sien. Le nôtre en avait quinze, et l’année sept jours… Et nous fûmes les témoins impuissants de l’horreur, de la barbarie, d’une guerre explosant soudain de l’ombre. Comment parler de poésie, d’art, disait tel philosophe, « après Auschwitz » ? dont on commémorait aussi la libération il y a trois jours… Trois jours après les attentats, qui, s’ils l’ont atteinte n’ont pas éteint la dignité et la sensibilité républicaine de la France, trois jours après ces rassemblements spontanés qui ont réuni une nation dans un sursaut d’indignation, de révolte, et de fierté de son identité libertaire, nous avions une autre réponse dans la vaste nef pleine de l’Opéra de Marseille devenue une sorte de cathédrale du recueillement, de la ferveur et de l’affirmation dans la communion de la musique, l’art par-dessus les frontières et les langues, qui parle à chacun en n’en parlant aucune, qui s’adresse et parle à tous dans son seul langage : l’harmonie. La musique est l’art où la discorde, la discordance, la dissonance, loin d’être un désaccord sont au contraire un raffinement voluptueux résolu pacifiquement par l’harmonie. Ainsi, quand le monde est déconcert, cacophonie, mort, le concert, l’harmonie ne sont que davantage vie. Et jamais anniversaire ne fut plus tristement joyeux : en pleine guerre tombée d’un ciel d’enfer, fêter les cinquante ans d’un orchestre, la plus belle arme de paix, d’humanité où le Beau rejoint le Bon, si l’on n’ose dire, par pudeur, le Vrai, selon la trinité  philosophique de Platon.
   Lawrence Foster, le Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique, avait invité généreusement trois autres chefs, Serge Baudo, Michael Schønwandt, Pinchas Steinberg, pour cette célébration et sut trouver les mots, dignes et émouvants qui rendirent possible le bonheur de la musique dans le deuil : concert dédié à « Charlie » et, comme un seul homme, un seul peuple, une même âme en deuil, tous les musiciens se levèrent en brandissant la fière et noble pancarte devenue charte de la liberté, de l’unité : « Nous sommes Charlie ». Et, au-delà de la communication, dans la communion, nous étions effectivement tous Charlie.

    
    Il revint à Serge Baudo, l’aîné des trois chefs, quatre-vingt sept ans de jeunesse musicale, d’ouvrir le concert d’autant qu’avec avec Sir John Pritchard il porta cet orchestre symphonique sur les fonts baptismaux et nous transporta ce soir vers les sources berlioziennes. Serge Baudo est donc chez lui à Marseille et habite Berlioz à qui il donna une demeure fixe depuis 1979 en fondant à Lyon le Festival Hector Berlioz, Berlioz jusque-là bêtement boudé en France, heureusement préservé en Angleterre d’où il nous revint dans le triomphe d’enregistrements faisant date. Baudo ouvrait donc la soirée avec, justement, l’Ouverture du Carnaval Romain, où le compositeur réutilisait avec bonheur et succès des motifs tirés du malheur de son opéra Benvenuto Cellini, un échec comme les autres. Début, éveil brumeux dirait-on si l’on n’était à Rome, ou réveil vaporeux, langoureux, sensuel, paresse, caresse des sens évanescents avant que la conscience n’éclaire et ne construise une sensualité de la forme lucide, s’érigeant érotiquement, doucement, en promesse de liesse dans les voluptueuses sollicitations de la palette diverse des pupitres, conduisant savamment la montée jusqu’à la fièvre, la frénésie, l’ivresse irrépressible d’un crescendo, d’un déchaînement et tournoiement orgiaque, orgasmique dirait-on, culminant à un spasme libérateur, explosif, du plaisir : explosion de la vie, Éros affirmé contre Thanatos.
    Lawrence Foster, en maître de cérémonie, s’était réservé la direction du Concerto pour alto et orchestre d’Henri Tomasi (1901-1971), l'un des grands compositeurs français du XXe siècle, le grand compositeur marseillais qui n’est pas un inconnu dans ces colonnes, car je lui ai consacré nombre de pages que l’on peut retrouver ici. Composé en 1950, créé en 1951, jamais réentendu depuis, la recréation, en fait, était une véritable création, consacrée par sa diffusion par France-Musique. Autant que l’on puisse parler sérieusement d’une œuvre en première écoute où l’émotion qu’elle dégage n’engage pas forcément la réflexion de l’écoute mais le réflexe émotionnel, je dirais, laissant parler le sentiment, sans doute aiguisé par cette soirée spécialement émue, et par la connaissance, même modeste, du compositeur pacifiste, que cette œuvre de l’immédiate après-guerre est loin d’en tirer le rideau. Au contraire, elle semble en ouvrir le rideau de scène comme une ouverture tragique, théâtrale, de la tragédie humaine par des couleurs sombres et les déchirements larges comme des blessures de l’alto que la passion de Magali Demesse, soliste extraordinaire, semble autant traduire par la chaleur, la largeur, l’ampleur de ses coups d’archets, de la plainte piano frôlant le silence au forte vibrant, que par l’engagement physique de son corps tendu qui est aussi expression de la musique vécue dans la chair. La solitude de l’instrument comme une interrogation, une prière semble attendre, espérer une réponse de la transcendance de l’orchestre, une solidarité qui soudain l’enveloppe généreusement a tutti ou, parfois, l’abandonne dans une brisure du « concertino », des éclats d’harmonies explosées dans les divers pupitres, la ligne soliste tentant de reconstruire un sens : dans l’angoissante plaine du désenchantement ou du désespoir, l’alto semble se lancer dans une course à l’abîme vers un horizon qui toujours lui échappe dans l’affolement de petits motifs brefs et brisés, lancinants, oppressants, potentiellement infinis. Pauvres métaphores sans doute pour dire, en peu, le beaucoup que suscite cette œuvre singulière dans cette exceptionnelle interprétation d’une soliste engagée dirait-on corps et âme et d’un chef généreux dans sa liberté attentive.
   Après ce concerto, qui concertait si étrangement, si émotionnellement, avec le drame de l’actualité, hélas universel, auquel Tomasi fut si charnellement sensible, les extraits des Suites de l’Arlésienne Georges Bizet furent comme un baume sur une douleur. Bienheureuse musique d’un jeune homme, un Mozart français hélas par sa mort si précoce, mais aussi par la redécouverte du compositeur autrichien en France (beaucoup grâce à Pauline Viardot García),  déjà si sensible chez Gounod, par la clarté et la simplicité complexe de l’orchestration. Et il faut reconnaître que la précision, la vigueur, le sens des nuances, de la dynamique du chef Michael Schønwandt, firent, de cette unique si connue, sans doute nécessaire contrepoids attractif au Tomasi inconnu pour un public parfois rétif à la nouveauté, une véritable découverte : précision des attaques, tempi implacables, exaltation sans bavure des couleurs dans chaque pupitre. Ce fut un régal, un bonheur lumineux, une joie sans remords dans cette sombre soirée.
   Chef vigoureux, bien connu chez nous pour ses superbes interprétations de musiques germaniques et slaves, dans ce programme presque entièrement de musique française, Pinchas Steinberg, dirigeait La mer de Claude Debussy. Intéressante approche d’un « Claude de France » par, assurément, un chef non français, libéré, délibérément ou par tempérament, des carcans interprétatifs, devenus académiques, de l’interprétation de la musique dite « française », étiquette associée à une tradition, à un certain goût, qualifié abusivement de « bon goût », bourgeoisement étriqué. Le chef israélien, né à New York, parut libérer cette mer souvent étanche, domestiquée, la rendant aux vents, aux tumultes, force de la nature arrachée aux pastels des cartes postales ou des photographies colorisées du temps, une mer, un océan, plus impressionnant qu’impressionniste : parfois le fameux tsunami d’Hokusai, le peintre japonais, si admiré par Debussy.
  Il appartenait à Lawrence Foster, l’hôte et maître de cérémonie, de conclure la soirée  avec la  Rhapsodie roumaine n°1 » de Georges Enesco. Un retour plein de verve et de verdeur à ses racines, sans nationalisme confiné et morbide : la musique, avait-il dit en présentant cette soirée exceptionnelle, n’a ni frontières ni religions. Heureuse péroraison musicale à la déploration nationale : la musique, force de vie et de joie contre les fantasmes et les fanatismes religieux et nationaux.

Opéra de Marseille, 10 janvier
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale, successivement Serge Baudo, Lawrence Foster, Michael Schønwandt, Pinchas Steinberg, Lawrence Foster. 
Hector Berlioz : Carnaval Romain, Ouverture ;
Henri Tomasi : Concerto pour alto et orchestre (Alto : Magali Demesse) ;
Georges Bizet :  Suites de l’Arlésienne ( extraits ) ;
Claude Debussy : La Mer ;
Georges Enesco :  Rhapsodie roumaine N°1 en la majeur.

mardi, janvier 27, 2015

LYRIC/OPÉRA, AMOUR/OPÉRA

LE NOUVEAU PROGRAMME PRÉPARÉ 
PAR MARTHE SEBAG

L'AMOUR DE L'OPÉRA CONJUGUÉ À L'AMOUR DES JEUNES ET MAGNIFIQUES

 INTERPRÈTES

COMMUNIQUÉ

suite aux derniers attentats à Paris, l'ambassade de France à Tbilissi en Géorgie, ne délivre plus de visa de tourisme, et malgré nos efforts Irakli Kakhidze n'aura pas son visa à temps pour assurer les concerts du 12 février (pour le Rotary) et le 14 février pour LyricOpéra.
Nous le regrettons beaucoup. Néanmoins, les concerts ne seront pas annulés. Luca Lombardo nous fait l'honneur de bien vouloir assurer les deux concerts. LyricOpéra est très reconnaissant et très touché par la générosité de Monsieur Lombardo. (LyricOpéra n' a pas les budgets des grands Opéras où Monsieur Lombardo se produit.)

 Amour & Passion

Chrystelle di Marco soprano  Luca Lombardo ténor
Marion Liotard piano


 Dans la myriade d’airs et duos du répertoire de l’opéra italien, certaines étoiles brillent plus que d’autres et sont devenues de véritables tubes que tout un chacun porte en lui. Nous avons choisi dans ces immortelles lumières, deux de ces génies intemporels : Giacomo Puccini et Pietro Mascagni. Deux amis, deux élèves de Ponchielli, maître qui  est passé à la postérité pour La Gioconda et sa célébrissime « Danse des heures ».

   Giacomo Puccini et Pietro Mascagni ont fait parti de ce nouveau mouvement italien du vérisme, qui  cherchait à travers l’art, la mise en lumière d’une certaine vérité, un naturalisme à la Emile Zola ou Guy de Maupassant, une recherche de réalisme dans les sujets traités avec un impact cru et nu des émotions. Ainsi comme le disait Victor Hugo dans la préface d’Angelo, tyran de Padoue : « Il faut que le drame soit grand, il faut que le drame soit vrai ».

   Tosca, La Bohème et Cavalleria Rusticana nous amèneront dans un voyage émotionnel intense mettant en lumière l’amour et les passions humaines. Un kaléidoscope de couleurs et de contrastes plongeant l’auditeur au cœur d’un drame  humain aux multiples facettes, révélant la profondeur et la complexité de celui-ci au sein d’une vie, dont les héros seront les « vinti della vita » les vaincus de la vie. Mais l’Amour fil rouge de chaque histoire devient l’unique passerelle, voix unique à leur salut, lien invisible d’un sentiment universel et comme ces pépites musicales, intemporelles.

MUSICALES DE CASSIS


JAZZ CORSE À LA CIOTAT


VENDREDI 20 FEVRIER FESTIVAL  MUSICALES DE FEVRIER - THEATRE DU GOLFE LA CIOTAT - 21H
Théâtre du Golfe, Boulevard Anatole France 13600 La Ciotat.
Billetterie :12 rue Geymard, 13600 La Ciotat, au premier étage.Du lundi au vendredi
De 09h00 à 12h00 et de 14h00 à 17h00 ou sur place au Théâtre du Golfe, le soir du concert.
réservation : 04 42 83 08 08  passion.arts@laposte.net
http://www.passion-arts-laciotat.com
 PAF : 12 / 9 / 3


Rencontre d'une voix Corse et d'un trio jazz world, entremêlant des compositions instrumentales et des chants traditionnels corses, donnant de multiples couleurs à leur musique, qu'elle soit de tradition Corse, d'inspiration jazz ou encore d'influences latine.donnant de multiples couleurs à leur musique. Le chant de Clémentine Coppolani est le reflet de cette femme imprégnée par les montagnes et les vagues de son île, et son chant s’en ressent, il est indéniablement teinté du sceau de l’authenticité." JAZZ MED  Clémentine Coppolani: (Voix), Farid Boukhalfa (Piano), Jean Christophe Gautier (Contrebasse), Jahil Bouazza (Percussions)  www.facebook.com/clementine.coppolani <http://www.facebook.com/clementine.coppolani>

Quelques vidéos live:

 https://www.youtube.com/watch?v=TC86h_C2D2g <https://www.youtube.com/watch?v=TC86h_C2D2g>

 https://www.youtube.com/watch?v=B1KnKYkYRo4 <https://www.youtube.com/watch?v=B1KnKYkYRo4>   

 https://www.youtube.com/watch?v=VWnEAtkoMZg <https://www.youtube.com/watch?v=VWnEAtkoMZg>

 https://www.youtube.com/watch?v=FXebmNL-CGg <https://www.youtube.com/watch?v=FXebmNL-CGg>


CORSE INSULAIRE ET JAZZ SINGULIER

VENDREDI 06 FEVRIER AU LIVING ART'S - 21h
Living Art's : Salle de Concert - Restaurant
50 Cours Julien, 13006 Marseille
réservation: 09 52 82 35 49 http://www.living-arts.fr/
Une contribution de 10 (PAF) est demandée pour les personnes ne dînant pas sur place.

CLÉMENTINE COPPOLANI, CORSE ET JAZZ CORSÉ


dimanche, janvier 18, 2015

EN PREMIÈRE LIGNE : STÉPHANIE D'OUSTRAC


Stéphanie d’Oustrac
et
« la troisième ligne interprétative »

Invitation au voyage, Mélodies françaises. Par Stéphanie d'Oustrac (mezzo-soprano), Pascal Jourdan (piano), Ambronay Éditions 2014

    Les tristes temps qui courent en France nous inviteraient à courir ailleurs, mais pour trouver quoi ? Ou, au contraire à concourir à la réflexion qu’un peuple, une nation peut se faire sur soi-même, sa culture, son génie. Ainsi, le dernier disque de Stéphanie d’Oustrac est une anthologie de mélodies que l’on dirait « bien françaises », faites d’élégance, de profondeur légère, de légèreté de la profondeur que l’on pourrait qualifier de pudeur dans l’expression du sentiment, où la futilité est grâce précieuse d’une requête d’amour, où l’éventail est zéphyr, où le jet d’eau jase et se joint aux soupirs. Un univers en vers et en musique de la fin d’un XIXe siècle doucement décadent, délicieusement romantique encore, où la « blessure est chère », où l’on chérit sa douleur » d’amour, sans trop y croire, débordant rêveusement sur un XXe de la Belle Époque pour l’heure innocente des horreurs à venir. Même Reynaldo Hahn, dans une mélodie de 1916, À Chloé, ignore la guerre et s’évade vers le XVIIe siècle galant de Théophile de Viau, frissonnant d’émois amoureux et de ris et de jeux. Le poète baroque voisine avec Mallarmé, néo gongorin, Baudelaire, Francis Jammes, et d’autres auteurs, sinon sacrés, consacrés par les mélodies de leur temps, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Jean Lahor, et quelques inconnus aujourd’hui, musiqués par de grands compositeurs. Bel éventail et fraternité poétique et musicale, tous servis avec un respect égalitaire par la cantatrice, au sommet de son talent d’interprète à la fois simple et raffinée.

Stéphanie d’Oustrac
    Ce beau disque nous invite à parler, reparler avec bonheur de cette jeune, grande et belle dame du chant français, mezzo soprano au timbre d’ombre et d’ambre. Juste des rappels pour ceux, qu’on imagine rares, qui ne l’auraient pas entendue sur ces ondes où je l’ai plusieurs fois évoquée à l’occasion de ses passages à Marseille.
Née à Rennes d’une famille aveyronnaise, Stéphanie d’Oustrac se fait vite remarquer par sa ductilité vocale, son art du chant et de la scène et récolte de prestigieuses récompenses. Elle est lauréate des prix Bernac en 1999, des Radios Francophones en 2000, et des Victoires de La Musique en 2002. La musique baroque annexe son talent et d’Oustrac l’annexe à son répertoire dès 1998 : William Christie lui propose le rôle terrible de l’infanticide épouse bafouée de Jason, Médée, dans Thésée de Lully, dans le cadre de l’Académie baroque européenne d’Ambronay.
    Du même Lully et avec le même grand maître américain du baroque français, William Christie, on a pu l’admirer, à la télévision aussi, dans la célèbre et redoutable Armide, et, encore plus récemment, lors de la reprise d’Atys, dans la légendaire production qui sonna le grand retour du baroque vocal  français oublié jusque-là. Elle y a été, respectivement, la magicienne amoureuse de son ennemi Renaud et la déesse Cybèle grandiose amoureuse d’un mortel, avec le même sens de la grandeur, de la beauté de la déclamation lyrique et une diction exemplaire. Elle fut aussi la Psyché toujours de Lully et la Médée, cette fois de Marc-Antoine Charpentier.
     Elle a défendu  non seulement ce baroque français longtemps si négligé, mais un baroque sans frontières et, dans toutes les langues, la même impeccable diction : en italien, elle fut la douloureuse épouse répudiée de Néron, Ottavia, dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, et, chez nous, la bouleversante Didon anglaise du Didon et Enée de l’anglais Purcell, l’inoubliable Sesto du Jules César de Händel. Nous l’avions entendue encore à Marseille comme piquante Zerlina de Don Juan, picaresque Périchole d’Offenbach, endossant la livrée e l’espiègle et primesautier page Isolier du Comte Ory de Rossini.
    Mais Stéphanie d’Oustrac, avec la même aisance, la même beauté vocale et la même vérité scénique passe du répertoire ancien au contemporain : elle fut la douloureuse Phaedra de Britten ici même, à Marseille. Mère Marie du Dialogue des Carmélites de Francis Poulenc à Avignon et, ailleurs, La Voix humaine du même Poulenc et Cocteau, c’est-à-dire deux rôles où, dans l’un, le féminin se redouble de l’habit religieux de Mère supérieure et, dans l’autre, de l’inutile robe de soirée de la belle maîtresse abandonnée par son amant qui se marie avec une autre. Une heure de chant seule sur scène, au téléphone. et, ailleurs, elle fut la Carmen de Bizet.
(Photo Baltel, agence Satirino)
    Avec le même bonheur, cette admirable cantatrice et actrice sur scène, sait plier sa voix aux exigences intimistes de la mélodie. Il suffirait, pour s’en convaincre, de l’écouter dans la canonique l’Invitation au voyage, qui prête son nom au titre du CD, le fameux  poème de Baudelaire mis en musique par Henri Duparc en 1884. À son écoute, comment ne pas se laisser embarquer par l’invite de cette voix voluptueuse et soyeuse, radieuse dans l’aigu qu’elle sait affiner en pianissimi de rêve ? Et ce piano au ruissellement lumineux de Pascal Jourdan?
    Tout ce beau disque est de la même eau, de la même onde, ou légère ou profonde, qui nous promène, nous berce des grands compositeurs célèbres à d’autres, inconnus ou méconnus, qui furent leurs contemporains, négligés par l’Histoire de la musique aujourd’hui mais auxquels ces deux interprètes rendent un juste hommage : en effet, à côté des connus et archi-connus, Duparc (1848-1933), Debussy (1862-1918) et leurs musiques sur des poèmes de Charles Baudelaire et de Stéphane Mallarmé, on trouve, servis avec le même talent attentif et respectueux, Lili Boulanger (1893-1918), sœur de Nadia Boulanger et première femme lauréate du Premier prix de Rome en 1913, Reynaldo Hahn (1874-1947), cher à Marcel Proust, mais aussi ce rare de contemporain,  Jacques de La Presle (1888-1969) Premier prix de Rome en 1921, dont Stéphanie d’Oustrac est l’arrière petite nièce, auquel elle avait déjà consacré un disque.
    Il faut entendre, sur un poème d’Henri de Régnier (1854-1936), poète célèbre en son temps, la mélodie Vœu de ce Jacques de La Presle et l’on goûte la délicatesse avec laquelle le large velours sombre de la voix devient une soie des plus fines dans les deux derniers vers pour exprimer ces pas légers à peine marqués sur le sable, où la mer n’effacerait pas « les pas des amants désunis » des Feuilles mortes. Délicatesse impondérable de ce poème de 1912, encore la Belle Époque donc, rêverie d’un sentier pour l’amoureuse qui ne laisse pas pressentir le terrible "Sentier des Dames" de l’horrible Grande guerre qui approche à grands pas lourds. Du même Jacques de La Presle, il faut aussi faire le détour de cette brève mélodie sur un poème du Général de la Tour, Dédette. Il est de 1913, un an avant le tocsin de la guerre, et sa douceur tendre pour une jeune femme, une jeune fille ou une enfant, odorante de fleurs, éclatant d’azur de bleuets, de blés dorés, contraste dramatiquement pour nous avec ce que nous savons des moissons sanglantes et des couronnes mortuaires pour les morts de la tuerie atroce qui approche inexorablement. Bref, il prend aujourd'hui les couleurs irréelles d’un rêve d’innocence et bonheur au seuil de la tragédie.
    On est comblé, dans ce beau disque, par l’art des interprètes, l’intelligence et brillance du piano de Pascal Jourdan et l’infinie variété des nuances, des couleurs dont Stéphanie d’Oustrac drape, nimbe, auréole les mots et les notes de ces mélodies, rendant, aux compositeurs les moins connus de ce répertoire le rang et la dignité que semblait leur refuser une ingrate histoire de la musique éprise de grands noms au mépris de ceux injustement taxés de petits. À cet égard, il faut aussi  dire la beauté brève mais déchirante du poème de Francis Jammes, au titre qui prête à méditer : Si tout ceci n’est qu’un pauvre rêve mis en musique par Lili Boulanger, morte à 25 ans. Rêve de la vie qu’il vaut mieux souvent rêver que vivre.



Bémols à la préface : « la troisième ligne interprétative »

   Ceci dit, on apportera un sérieux bémol à la présentation du disque  et l’on sourira de ces conseils souriants prodigués à Stéphanie d’Oustrac « d’en faire juste un peu moins » dans sa fougue interprétative. 
   Cette préface au disque a pour titre Quelques paradoxes sur la mélodie française ou la profondeur de la superficialité dont on trouvera le texte complet, très riche, sur le site d’Ambronay (http://www.ambronay.org/Musique-baroque/Recherche/Quelques-paradoxes-sur-la-melodie-francaise-ou-la-profondeur-de-la-superficialite,i2080.html). Il est signé Christophe Deshoulières, alors que, dans le CD, sa réduction porte la signature de Cesare Liverani qui, fatalement, fait la malencontreuse économie des nuances et des retournements.
   On souscrit à toute une première partie, très documentée, passionnante même. Là où le bât blesse, c’est la référence à un Barthes de 1955 et à ses Mythologies très circonstanciées, très datées souvent, pour récuser « une troisième ligne interprétative » à l’interprète, qui parasiterait ce que Barthes appelle « la lettre totale du texte musical », l’idéal étant pour lui deux modèles normatifs, « Panzéra pour le chant, ou Lipatti pour le piano [qui] parviennent à n’ajouter à la musique aucune intention. » Bref, une attention sans intention à la lettre et à la note.
    On s’étonne un peu de voir érigé en dogme, avec pour prophètes ou papes infaillibles Panzéra et Lipatti, une sentence de Barthes bien marquée par son temps : défiance du sémantique, du sens, au profit du formel, de la forme absolue, pour contrer romantisme, réalisme, marxisme, sociologisme et historicisme qui accablaient à l’époque une littérature réduite au document et dont le Nouveau Roman sera la contestation la plus voyante. C’est l’époque, en réaction à un certain expressionnisme émotif de l’après-guerre et ses urgences de sens, de messages, d’un retour à l’abstraction ; c’est la mode de l’esthétique de l’inexpression, de déclamations poétiques atones, d’un rêve d’"écriture blanche" encore formulée par Barthes (Camus, Cayrol, Blanchot) minimaliste, hantée par le silence, ou de ce mythique « Degré zéro de l’écriture » (1953), finalement contesté par Barthes lui-même pour délimiter, par contraste, la métaphore et la volonté de style.
    Alors, ce concept finalement totalitaire de « la lettre totale du texte musical » méritait d’être discuté ou mis en perspective. Car, un texte, poétique ou musical, n’est pas qu’une lettre sacralisée, figée dans le marbre intouchable : l’on sait les aberrations auxquelles a conduit l’effroi sacré de la lettre, soi-disant « totale du texte musical », réduite souvent à une métrique abusivement géométrique et mathématique, avant de retrouver la souplesse capricieuse de l’esprit, notamment dans le domaine baroque. Un texte, littéraire ou musical, est fait de dénotations et de connotations, de ce qu’il dit strictement et de ce qu’il suggère à l’intelligence et à la culture du lecteur ou auditeur particulier. Barthes encore en donne l’exemple magistral dans S/Z où il se glisse entre et derrière les mots de la nouvelle Sarrasine de Balzac pour en faire des « méandres et entrelacs » de commentaires personnels, bien loin de la « lettre totale », au contraire en expansion potentiellement infinie par tant de strates interprétatives. Quant à Proust, également invoqué par le préfacier comme modèle d’écrivain bâillonnant le chant pour ne laisser parler que la musique, justement, cette musique, il la commente beaucoup, il l’interprète beaucoup, en déroule les connotations par des entrelacs de métaphores, que ce soit la Sonate de Vinteuil et sa petite phrase ou le fameux prélude de Lohengrin.
    Comme le disait Foucault de la langue, il y a aussi, à plus forte raison, « une part d’ombre » dans le poème et la musique qui en légitime l’exégèse, le commentaire, l’interprétation, l’intention, les intentions, contrairement au rêve un moment purificateur et naïf de Barthes. Si l'on acceptait ce sophisme naïf d'une "lettre totale", immuable, "monosémique", du texte musical, sans "relecture" postérieure et différente (qui est toujours en fait une recréation) il suffirait d'une interprétation standard figée à jamais qui rendrait inutile toute autre approche et écoute d'un interprète différent : comme "la pensée unique", il y aurait l'interprétation unique, muséale, fixée dans le marbre des    mausolées de la mort : de la musique. 
     Contrairement à ce que pense le préfacier pour en sourire et désirer la contraindre chez « LA d’Oustrac », il y a bien « une troisième ligne interprétative » qui s’ajoute au texte et à la musique de la mélodie et on la salue chez cette grande artiste. Certes, toute surinterprétation qui ne ferait que redoubler le sens ne serait que redondance, pléonasme. Mais, qu’on le veuille ou non, l’interprétation de la mélodie, de la chanson, de l’air lyrique, au-delà du texte poétique ou musical, en est l’expression extrinsèque qui lui donne corps et l’on sait ce que l’on doit à Callas pour avoir sauvé de l’oubli un répertoire du bel canto romantique par son génie interprétatif. Quel que soit l’agrément mélodique de la Vie en rose ou de l’Hymne à l’amour, le charme de leur musique ne pourrait sauver la platitude de leur texte que seule l’interprétation de Piaf élève au rang d’archétypes universels.

Invitation au voyage, fait partie du Gramophone Editor's Choice du mois de janvier.










mercredi, janvier 07, 2015

ÉLÉGANTE ET BELLE



LA BELLE HÉLÈNE (1864)
Opéra bouffe en trois actes de Jacques Offenbach (1819-1880)
Livret d'Henri Meilhac (1830-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908) 
Opéra de Toulon
27 décembre 2014


La Guerre de Troie eut lieu
    Hélène de Troie, la belle Hélène, selon Homère, fut cause de la guerre de Troie. Cette Hélène quelle hérédité ! Quelle famille ! En effet, du côté généalogique, elle est née des amours de sa mère, la reine Léda, avec un cygne, en réalité Zeus, en grec, Jupiter pour les Romains, métamorphosé en ce volatile pour tromper et détromper la vigilance de sa jalouse de femme, Héra ou Junon emblématisée par le paon, le pa/on chez Offenbach et ses compères librettistes. Côté famille latérale, du même œuf, Hélène a pour frères Castor et Pollux, les jumeaux, les gémeaux. Elle aura une fille, la jalouse Hermione de l’Andromaque de Racine qui fera tuer son amant par Oreste amoureux fou d’elle ; quant à sa sœur, Clytemnestre, aidée de son amant, elle assassinera son mari, le roi des rois Agamemnon au retour de la Guerre de Troie, car il a fait sacrifier leur fille Iphigénie pour avoir des vents favorables et Clytemnestre sera à son tour assassinée par son fils Oreste, poussé par sa sœur Électre, pour venger le père. Jolie famille !
    Elle causera aussi bien des ravages, notre chère Hélène, héroïne bien innocente encore, enjeu d’un jeu qu’elle ignore, disons le jeu non de paume, mais de la pomme, le fruit. Eh oui, la pomme, pas celle d’Ève ni la pomme d’Adam Mais la pomme de discorde (de là vient l’expression) de Pâris. Nous sommes sur le Mont Ida : Héra (Junon), Athéna (Minerve) et Aphrodite (Vénus), trois déesses, ont une compétition guère divine mais bien humaine, bref, un concours de beauté couronné d’une pomme pour la gagnante : elles se disputent le titre de la plus belle. Et voilà : le beau prince troyen Pâris passait par là comme simple berger. Elle s’en remettent au jugement du jeune homme. Ce dernier offre le prix à Vénus qui, recevant la pomme de la plus belle déesse, promet à Pâris la plus belle des mortelles, Hélène de Sparte, mariée au roi Ménélas, hélas. Il l’enlèvera et l’on verra la suite funeste : la Guerre de Troie.

La Guerre de Troie n’aura pas lieu
    Du moins chez Offenbach et ses deux érudits librettistes qui nous en présentent les héros, avant la tragédie, les drames, en pleine comédie de ces boulevards tracés par le Second Empire en gloire : Hélène en cocotte, Pâris en jeune premier rusé, Oreste en fils à papa débauché, Agamemnon, roi des rois bien vivant encore, Achille bouillonnant et vibrionnant myrmidon  au cerveau limité par le casque, et Ménélas, en exemplaire parfait des cocus du vaudeville français du temps.
   
Car La Belle Hélène (1864) est aussi connue que méconnue. Qui, en effet, aujourd’hui, peut identifier, pour s’en délecter, toutes les références généalogiques, mythologiques, détournées de façon comique, qui tendent, comme l’arc d’Ulysse, le texte cocasse mais très érudit d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, les duettistes librettistes futurs auteurs de Carmen ? Ainsi, une seule allusion rapide d’Achille combattant « à un contre mille », « grâce à [son] plongeon » ne se comprend que si l’on sait que sa mère, pour le rendre invulnérable, le plongea, enfant, dans les eaux du Styx, fleuve des Enfers, pour le rendre immortel, le tenant simplement par les talons, seules parties non trempées qui resteront ainsi vulnérables : il en mourra d’une flèche de Pâris, lors du siège de Troie. D’où l’expression, le talon d’Achille, la part, le maillon faible de quelqu’un. Mais à texte savant, musique virtuose, qui décomposant des mots de manière surréaliste déjà, a sans doute fixé dans la tradition et la mémoire collective ces noms de rois, ainsi, le bouillant Achille, « le roi myrmidon », ce  roi « barbu, bu qui s’avance, c’est Agamemnon », Ménélas, « l’époux, pou de la reine »,  qui partira « pour la Crète », l’île aux cornes qui orneront sa tête après que Pâris sera parti avec sa femme Hélène pour Troie.

Réalisation et interprétation
    La fête va bien à Offenbach, compositeur festif, et les fêtes de fin d’année, qui le voient programmé un peu partout, le lui rendent bien. Et mal. En effet, le raffinement facétieux de sa musique et de ses livrets, par méconnaissance, ignorance, inculture, donnent lieu trop souvent à des productions tirant par le bas de la gaudriole et grasse gauloiserie lourdingue au goût douteux ce qui relève de la suggestion, de l’allusion légère et de la parodie plus colorée, à la fois historique, politique : verve musicale et verbe extrêmement cultivés. Alors, l’étourdissant tourbillon l’emporte sur la finesse de la nuance. 
    On saura gré ici à Bernard Pisani, qui signe la mise en scène et la chorégraphie, d’avoir résisté à la lourdeur et paré cette Hélène d’une élégance classique de bon aloi. Inspirée des tableaux de Lawrence Alma Tadema, le « peintre du marbre », néo-classique, antiquisant, opposant les lignes nettes de sa géométrie au flou de l’impressionnisme en plein essor à l’époque, la scénographie d’Éric Chevalier est habile : quelques degrés blancs, à la fois entrée et montée vers le temple, tribune et trône, serrés aux deux extrémités de volutes stylisées, praticables servant de fauteuils imposants, suffisent à une sobre caractérisation antique. Les costumes de Frédéric Pineau sont à cette échelle : jouant de l’antique avec des signes parodiques contemporains et des couleurs d’un technicolor hollywoodien tout aussi élégants, sans tapage ni ravage, dont des bleus cobalt magnifiques, clins d’œil souriant aux péplums de Cinacittà, puisque des fauteuils de tournage aux noms des acteurs, à la fin, renvoient explicitement au monde du cinéma. Les lumières de Jacques Chatelet sont en harmonie avec cette belle vision d’ensemble, avec un onirisme d’azur ombreux dans la scène du rêve d’amour entre Hélène et Pâris.
   Mais on apprécie, dans cette harmonie générale entre scène, décors costumes et lumières, les mouvements rythmiques, chorégraphiques souvent, des personnages et des chœurs qui confèrent au plateau une unité visuelle qui joue avec celle de la fosse, de la musique, enchaînant mouvements de valse suggérés, galops, ébauches de cancan  : parmi les réussites, Ménélas, le roi, cocu annoncé, littéralement « roulé » par tout le monde comme une balle, une vague, qui le pousse à partir pour la Crète, l’île aux crêtes maritales ornées.
   On attend toujours au tournant la scène de la charade, que la tradition adapte plus ou moins bien au goût  bon ou mauvais du jour. Ici, la locomotive révolutionnaire du temps devient l’Airbus A 380 et Chronopost pour la poétique colombe de Vénus, amusante trouvaille. Les allusions contemporaines, le fort de Brégançon, une chanson d’Aznavour, l’apostrophe télévisée de Maurice Clavel quittant en 1971 le plateau de l’émission À armes égales, « Messieurs les censeurs, bonsoir! », sont trop discrètes ou lointaines et ne soulèvent que peu de rires.
    Côté vocal, on pouvait craindre, avec le luxe royal d’une Karine Deshayes, magnifique Hélène au velours somptueux d’un timbre charnu et souple, plein de voluptueuses promesses, hilarante dans l’air tragique échevelé de « l’homme à la pomme » —à y tomber— une faiblesse mitoyenne du reste de la distribution. Mais Cyrille Dubois, haute contre, ténor aigu dans la tradition française baroque et néo-classique, en ductile Pâris, est un digne —non futur mais présent— amant, donnant des aigus superbes de coq vainqueur. Le troisième du ménage à trois du vaudeville, Yves Coudray, est un Ménélas qui réussit à être touchant d’innocence dans le rôle ingrat du futur cocu, exhorté par l’autoritaire et grande gueule Agamemnon d’Olivier Grand à s’immoler, à accepter son sort, pour préserver les « Ménélas de l’avenir ». Le rusé Calchas est campé de picaresque façon par Antoine Garcin en voix et veine (forcée) au jeu. Les deux Ajax, Yvan Rebeyrol et Jean-Philippe Corre, sont de très drôles Dupont et Dupont antiques et Vincent de Rooster un Achille truculent, plus bredouillant que bouillonnant dans la charade. Eugénie Danglade est un Oreste léger et bondissant, voyou de bonne famille et en rien futur matricide, triolisant à plaisir de façon enviable avec les belles Léœna et Parthoénis (Hélène Delalande et Marie-Bénédicte Souquet), Rosemonde Bruno La Rotonda est Bacchis qu’on a envie de réentendre. Antoine Abello (Philocome) et Dominique Lambert (Euthyclès) ferment la ronde et forment la bacchanale de ce plateau joliment endiablé.
   À la tête de l’Orchestre et des chœurs de l’Opéra de Toulon parfaitement préparés et intégrés (Christophe Bernollin) Nicolas Krüger mène tambour battant la musique, baguette pétillante, pétulante, pétaradante quand il convient.

Opéra
 de Toulon 

La Belle Hélène
 de Jacques Offenbach
Coproduction Opéra-Théâtre de Saint-Etienne et Opéra-Théâtre de Metz
27, 28, 30, 31 décembre 2014

Orchestre, chœur et ballet de l’Opéra de Toulon
Direction musicale : Nicolas Krüger.
Mise en scène et chorégraphie : Bernard Pisani. Décors : Éric Chevalier. Costumes : Frédéric Pineau. Lumières : Jacques Chatelet.

Distribution :
Hélène : Karine Deshayes ; Pâris : Cyrille Dubois ; Ménélas : Yves Coudray ; Agamemnon : Olivier Grand ; Calchas : Antoine Garcin ; Oreste : Eugénie Danglade ; Achille : Vincent De Rooster ; Ajax I : Yvan Rebeyrol ; Ajax II : Jean-Philippe Corre ; Léoena : Hélène Delalande ; Parthoénis : Marie Bénédicte Souquet ; Bacchis : Rosemonde Bruno La Rotond ; Philocome : Antoine Abello ; Euthyclès : Dominique Lambert.

Photos : © Frédéric Stéphan


1. "Il nous faut de l'amour!";
2. "L'homme à la pomme" : Cyrille Dubois ;
3. Hélène (Karine Deshayes), prête à la/le croquer ;
4. "Voici les rois de la Grèce!" ;
5. "Ce n'est qu'un rêve…" : Dubois, Deshayes ;
9. Départ pour Cythère.



Rechercher dans ce blog