Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

mardi, octobre 30, 2012

CHRONIQUE DE DISQUES : VIOLON


CHRONIQUE DE DISQUES
Violons ailés
 Quelques disques récents mettent en valeur l’instrument ailé, le violon. On saluera encore le label Indé !sens pour sa constance à publier des œuvres rares. Aujourd’hui, il s’offre le luxe, en première mondiale, d’enregistrer l‘Intégrale des douze concertos pour violon Opus I d’un grand d’un compositeur injustement oublié de l’histoire, Carlo Tessarini. Il s’agit d’un double CD brillamment interprétés par l’ensemble Guidantus. C’est brillant, convaincant, séduisant.
On ne reprochera à ce disque qu’une chose : la manie anglophile de ne donner les tonalités des concerti que dans la convention anglo-saxonne. Ainsi, c’est « A Major » pour notre latin « La majeur », B (si), C (do), D (ré), E (mi), F (fa) et G (sol). À l’heure européenne, donner les deux mettrait à égalité le système du nord et celui du sud.
CONCERTO
Mais avant de parler du musicien, quelques mots rapides, inutiles certes au connaisseur, pour rappeler ce qu’est un concerto. Le terme vient du mot italien concertare , qui veut dire, ‘concerter’, ‘mettre d’accord’ au moins deux personnes qui disputent, luttent : en musique, deux instrumentistes qui rivalisent en virtuosité, ou encore un instrument soliste qui dialogue avec l’orchestre. Corelli, Torelli, Vivaldi entre autres le fixent en trois parties, la première, vive (allegro), la seconde, lente (adagio) et une dernière partie encore allegro. C’est le jeu du contraste baroque de tempo lent/vif, assorti de contrastes d’intensité, forte/piano. Ce moule minimal, archétypal, de la musique baroque à la classique, sera nuancée, raffinée, brisée, ensuite selon l’ingéniosité des compositeurs .
Le concerto repose donc sur une structure tripartite en général qui fait dialoguer : a) un violon principal ; b) un groupe réduit de solistes, qu’on appelle le concertino ; et c) la masse des autres instruments, les tutti, ou concerto grosso, tout l’orchestre. Vivaldi variera, dans le concertino, d’autres instruments les mettant en dialogue ; en conversation avec l’instrument principal. Il y a donc une alternance en général équilibrée entre les tutti et les soli, l’ensemble orchestral et le soliste.
Cela explique, dans ce disque, un violoniste, Marco Pedrona, en soliste principal et Francesca Coppelli au violon I, Carlotta Arata au violon II, assurant le concertino, trois violons solistes hiérarchisés donc, et pour les tutti, une belle phalange de cordes graves (viole, violoncelle) pour les cordes frottées (avec un archet) et l’archiluth et le clavecin pour les cordes pincées, dans la typologie baroque habituelle. C’est un riche nappage de cordes diaprées sur lequel s’envolent les volutes volubiles, virtuoses, vertigineuses, du violon soliste poursuivi dans une sorte d’azur par le volètement rival du concertino. Les parties lentes, rêveuses, ont la mélancolie étale, vivaldienne, de la lagune vénitienne et l’on goûtera, entre autres, le charme presque brumeux, rêveur, de l’adagio du Concerto N°4, in D Major (Ré majeur).
Mais parlons de ce grand musicien si ingratement oublié, Carlo Tessarini de Rimini auquel ce disque rend justice. Violoniste et compositeur (Rimini v. 1690 – 1766), c’est l’exemplaire musicien italien de l’époque qui, avec d’autres artistes, peintres, architectes, chanteurs, s’exportent essaimant dans toute l’Europe l’art d’une péninsule italienne que l’on dit à tort en pleine décadence.
On connaît surtout de lui sa magnifique carrière de virtuose international. On suppose, sans grandes preuves, qu’il aurait étudié auprès de Corelli et Vivaldi, grands maîtres de la musique italienne de leur temps. En tous les cas, son œuvre prouve qu’il connaissait la leur et en avait assimilé la leçon : on y sent l’équilibre déjà classique du premier et l’on savoure l’invention baroque du second.
Il fut violoniste à la basilique Saint-Marc de Venise entre 1720 et 1735, maître de violon à l’Hôpital des Derelitti, des ‘enfants abandonnés’, auxquels on enseignait la musique, tout comme Vivaldi était attaché à l’Ospedale della Pietá, qu’il rendit fameux par les œuvres composées pour les jeunes filles musiciennes virtuoses qui y étaient accueillies. Ces hôpitaux ou, plutôt hospices pour orphelins, étaient de vrais et brillants conservatoires de musique.
On le retrouve violoniste titulaire à la cathédrale d'Urbino de 1733 à 1757 environ, entre ses nombreuses tournées en Europe, ce qui montre bien que sa réputation avait franchi les frontières, comme celle de Vivaldi, dont les œuvres, également éditées à Amsterdam, influencèrent profondément Bach lui-même. On le suit en Bohème, à Rome, à Naples, à Londres. De 1744 à 1750, la dédicace de ses œuvres à des aristocrates parisiens permet de penser qu'il séjourna quelque temps à Paris où furent aussi imprimées de ses compositions. Il fait nombre de concerts aux Pays-Bas, en Allemagne. On perd sa trace après un concert à Arnhem, en Hollande, où il mourut peut-être en 1766.
On voit à ces dates que les voyages nombreux n’étaient pas que des visites éclairs de touriste pressé puisque notre musicien, comme ses confrères, séjournait longtemps dans les lieux où il se produisait, laissant des traces importantes de son passage : des compositions, des modèles. À ses œuvres nombreuses, opéras sonates, concerts, s’ajoute le traité de violon Grammatica di musica(1741), témoignage précieux sur la technique de cet instrument au XVIIIe siècle. On imagine aisément que  Joseph de Bologne, le fameux chevalier de Saint-Georges, mulâtre, escrimeur et violoniste célèbre, élève de Leclair, dédicataire de compositions d’Antonio Lolli en 1764 et de François-Joseph Gossec en 1766, ait aussi reçu l’enseignement de Tessarini. 

Léger saut dans le temps avec un autre compositeur, le violoniste par antonomase, c’est-à-dire, qui s’est identifié à son instrument, ou le contraire, instrument que l’on identifie à son nom, car il en fit progresser la technique avec de telles acrobaties qu’on le jugeait souvent diabolique, Paganini (1782, Gênes /Nice, 1840) que célèbre un autre disque paru chez Calliope : 
Paganini L'Insolite (Paganini as you've never heard him), ‘Paganini comme vous ne l’avez jamais entendu’ en bon français, mais en anglais avec cette manie accablante  des maisons de disques qui visent un marché qui semble n’avoir que des oreilles anglaises. Mais on retiendra le sous-titre, « Duos endiablés pour violon et basson ». Les deux diables étant Pavel Eret au violon et Franck Leblois au basson. Avec la complicité de l’Ensemble de Musique de Chambre Commixtus (EMCC), ils nous offrent donc l’intégrale des Trois duos concertants, MS 130 de Paganini, alliage insolite de ces deux instruments. Ces œuvres furent à peine découvertes en 1990. On apprécie ces duos originaux, notamment, l’allegro con brio, poco scherzando, dans le Duetto N°3, le dialogue plein d’humour, presque rossinien, entre le violon aigu et le basson grave, l’un babillard, l’autre gaillard et gouailleur. Pour enrichir un peu la rare littérature pour ces deux instruments concertants, les deux solistes ont enregistré en première mondiale deux autres duos pour violon et basson de deux compositeurs contemporains : Floreat  Rosa divina (1953) de David W. Solomons, une page d’une grande sérénité mystique et Ommaggio (1957) brumeux et poétique de Jean-René Combes Damiens.
Mais le violon, s’il est un instrument très difficile d’exécution, ne l’oublions pas, est également un instrument populaire et nous n’en voulons pour témoins que ces tziganes, ces gitans des pays de l’est, ces roms aujourd’hui suspects, qui en jouent avec une haute virtuosité au service de leur folklore. Nous en avons une brillante preuve dans autre disque remarquable paru chez INTEGRAL Classic, Danses de Hongrie pour l’ensemble Musica antiqua Provence dirigé Christian Mendoze, un régal. Ancien danseur et depuis longtemps flûtiste soliste virtuose, âme de son ensemble, élargissant son vaste répertoire baroque, Mendoze revient à ses anciennes amours et nous offre un vaste panorama de danses du XVIII e au XXe siècle de cette Hongrie où les frontières entre musique savante et populaire se brouillent avec bonheur comme ici les instruments traditionnels, typiques, dont le cymbalum, « le piano tsigane », allié à la clarinett, aux cordes frottées ou pincées comme le clavecin.
 C’est un vaste trésor dont Mendoze est allé recueillir certains joyaux dans la bibliothèque de l’abbaye de Pannonhalma qui conserve un riche corpus de danses anciennes. Belle promenade avec halte tonique dans ces fameuses czardas (’auberges’) endiablées et ces verbunkos que nous découvrons, dont on goûtera la saveur orientale et occidentale à la fois, la Hongrie ayant été occupée pendant des siècles par les Turcs. Mélancolie parfois déchirante de ces vastes espaces à ligne plane tenue contrastée de folie festive où les vertiges du violon sont contrepointés joliment, joyeusement, par la jubilation pépiante de la flûte, oiseau ailé lui disputant l’ivresse des hauteurs. 

Photo : Lana Groussenko au cymbalum

lundi, octobre 29, 2012

APPEL À CANDIDATURE


APPEL A CANDIDATURES MASTERCLASSES 
 8, 9, 10 et 11 DÉCEMBRE 2012
  
AMOUR ET MORT À L’OPÉRA
« MODE D'EMPLOI »

Nouvelle Collaboration : Hôpital de Toulon et OPT pour de nouvelles masterclasses « Musicothérapie et Opéra ».
À l'occasion de cette nouvelle collaboration avec la soprano Mireille Delunsch et l'équipe d'intervenants-formateurs chez OPT, nous faisons le pari de proposer à nos futurs stagiaires et au public convié, plusieurs scènes du répertoire lyrique ayant trait aux thèmes de l'amour et de la mort à l'opéra. Ce nouveau rendez-vous original de Masterclasses publiques, offre ainsi la possibilité d'une part de sensibiliser les artistes en formation, invités à un travail spécifique théâtral et musical qui s'avère particulièrement complexe mais passionnant et nécessaire dans leur parcours artistique à mettre en œuvre.

Le principe fondamental de l’Opéra Théâtre, avec son concept d’opéra en musique de chambre, est de confronter l’artiste à son chant nu, sans chœur ni orchestre. Seuls un pianiste concertiste et un chef de chant accompagnent les membres de la troupe pendant les représentations. On atteint ainsi à l’essence de l’œuvre.
Les Master classes
Ces stages de haut niveau organisés par l’Opéra Théâtre ont permis de former ou de perfectionner une centaine d’artistes à ce jour. Ces Master classes sont confiées à de grandes personnalités de l’art lyrique : Leontina Vaduva, marraine de l’OPT, Jean-Pierre Furlan, Véronique Gens, Mireille Delunsch, Marie-Ange Todorovitch, Jean-François Lapointe, Annick Massis, entre autres.

Une formation ouverte sur la vie professionnelle
Les artistes engagés dans les productions lyriques de l’Opéra Théâtre sont choisis par les  meilleurs éléments de ces master classes. C’était le cas de Don Giovanni, représenté au Palais Longchamp, en septembre 2011. Ce sera le cas de Madame Butterfly qui sera représentée en août 2012, au théâtre Silvain, dans le cadre du Festival Lyrique de Marseille. L’objectif est de favoriser l’insertion professionnelle de ces artistes et d’assurer leur promotion artistique.

www.operatheatrepourtous.com
Association déclarée 9220. Activité de soutien au théâtre vivant.
APE 9002Z. Siren 517 919 130. Siret 517 919 130 000 16.
Prestataire de formation enregistré à la préfecture PACA 93 13 13668 13.

Contact : c.rovery@operatheatrepourtous.com

vendredi, octobre 26, 2012

LA BOTTE SECRÈTE


LA BOTTE SECRÈTE
Opéra-bouffe en un acte (1903)
Musique de Claude Terrasse,
Livret de Franc-Nohain 
Chausseur sachant chausser : le pied !

Inutile de chercher des traces de cette botte-là même par un chasseur sachant chasser. L’histoire musicale, ingrate, a oublié, à tort, Claude Terrasse (1867-1923), compositeur pourtant parti d’un bon pied, auteur de la musique de scène d’Ubu Roi de son ami Alfred Jarry et dont la musique pimpante de cet opéra-bouffe vaut mieux que d’autres de compositeurs pompeux, pompiers, pompants. Surtout assaisonnée du livret piquant de Franc-Nohain (1872-1934), avocat de formation, sous-préfet sinon aux champs, au chant, puisqu’on a retenu de lui le texte spirituel de L’Heure espagnole (1919) mise en musique par Ravel.
L’œuvre
Les deux compères ont réussi une œuvre où rien ne pèse ni ne pose, d’une fantaisie débridée qui, dans la veine d’Offenbach, joue des détournements culturels (le prince de Commagène, clin d’œil à la Bérénice de Racine, le duc de Nevers du Bossu de Paul Féval et sa botte secrète à l’épée), des parodies musicales du grand opéra, et anticipe les non-sens dadaïstes. Mine de rien, au petit pied, cette histoire échevelée de chaussure et de chausseur, au second degré, s’adresse à un public cultivé pour en goûter la pointure, mais, à pas de géant, y implique le plus vaste auditoire par l’immédiateté jubilante des effets à gros sabots et rires, à coups de pieds dans le plat.
On peut donc goûter à la fois, des « Airs de liste » dans la tradition de l’opera buffa italien du XVIIIe dont le sommet est le catalogue des femmes de Don Giovanni par Leporello,  tels, ici, en solo, duo, trio,
 « Que ce soit du daim, du veau, du chevreau, de la vache, c’est toujours de la peau… », « Toutes les femmes ont la manie de courir dans les bijouteries, les pâtisseries, les épiceries, les merceries, les pharmacies, les lingeries… », etc,

ou les jeux langagiers savants de polyptotes rhétoriques, jeux sur la dérivation du son dont tout le monde s’amuse, comme l’inénarrable ensemble  :
«Tout à l’égout, l’égoutier, dégoutté des égouts, il n’a plus goût à rien ».
C’est pourquoi on regrettera l’absence de surtitrages pour rendre justice à la délirante fantaisie des paroles que, malgré la bonne diction des chanteurs, la célérité de la musique ne permet pas toujours de capter.
L’intrigue est mince : un couple de princes d’un pays inconnu recherche pour en tirer raison, chez un chausseur, le pied coupable imprimé au postérieur princier par une phénoménale semelle par sa taille à la faveur nocturne d’un feu d’artifice républicain de 14 juillet. Le Prince rêve de vengeance et la Princesse, de l’engeance qui, du même coup de pied de l’âne à l’époux, frôla son féminin postérieur d’une pointure à la faire rêver, apparemment à l’étroit avec le gabarit princier. Comme dans le vaudeville, tous les protagonistes se retrouvent, par le méchant et joyeux génie du théâtre, là où il ne faudrait pas : la femme, le mari, les potentiels amants. Posé le nœud de l’action, c’est aussi l’imparable logique mécanique du vaudeville : enquête pas à pas, pied à pied, pied de nez des situations burlesques sur les traces de la trace outrageante de l’indigne chaussure. Intrigue nouée, lacets dénoués, pieds chaussés et déchaussés, coup de théâtres, coups de pied de l’âne, croche-pieds, pieds dans le plat. Il est tellement question de chaussures, bottes, bottines, qu’il y aurait de quoi chausser un mille-pattes.

Réalisation et interprétation
Cette production de la Compagnie Les Brigands, ni de grands chemins ni d’autoroutes autres que les sentiers et détours, plus les tours dans le sac de l’ingéniosité, offre une belle énergie vitaminée en cette période morose de crise.
Une astucieuse scénographie (Florence Evrard) en deux plans superposés reliés par un escalier en colimaçon : en bas, le magasin de chaussures ; en haut, à travers deux lucarnes, un va et vient de pas, de pieds, de jambes : de chaussures comme en démonstration de celles qui se vendent en bas. Pour la revue finale, rideaux envolés, il restera l’épure à la fois post-moderne et d’architecture industrielle métallique du début du XXe siècle, avec de magnifiques effets de frises féminines en d’ombres chinoises sous les somptueuses lumières (Christophe Forey).
Pas de temps mort dans la mise en scène alerte et haletante de Pierre Guillois, abondant en trouvailles cocasses : jeu stéréotypé de cinéma muet pendant l’ouverture animée, jeux de mains, jeux de vilains, de pied chauffant, pour être pudique, ceux de la chaude Princesse chevauchant la jambe érectile de l’amoureux transi. C’est vif, réglé comme un ballet par Stéphanie Chêne, assistante aussi à la scène, la seconde partie étant pratiquement une comédie musicale à l’américaine, aussi dansée que chantée.
On admire autant le talent de chanteurs que d’acteurs des protagonistes de La Botte, Blandine Staskiewicz, voix chaude et fruitée de beau fruit, mezzo qu’on vient d’applaudir à Marseille en Mercedes de Carmen, Princesse allurée et délurée cherchant sexuelle chaussure à son pied, Christophe Crapez, ténor, Prince échevelé avec une tête amusante et médusante de Méduse, le ténor David Ghilardi, Hector au talon d’Achille chatouilleux, chaussant les bottes de sept lieues de l’égoutier dans ses petits souliers, le baryton Vincent Vantyghem, tous chez l’élégant, précis sans être pressant, mesuré mesureur, toujours exact, Gilles Bugeaud, baryton sonore et chaud.
La revue de seconde partie, avec une plaisante continuité thématique sur chaussures et parures, était un tourbillon de chants, de pas de danse joyeux sur des musiques de Jacques Offenbach (Les Brigands, comme par hasard) Maurice Yvain, Reynaldo Hahn, Henri Christiné, Marcel Lattès et des parodies, dont Wagner. Solos et ensembles réglés comme du papier à musique par les comparses de la mise en scène, toujours dans une orchestration brillante de Thibault Perrine  et l’allègre direction de Christophe Grapperon, tous les interprètes d’une remarquable homogénéité de chant et de jeu. Et la beauté des costumes et robes lamées des dames (Axel Aust, assisté de Camille Pénager).
Bref, chacun y trouva chaussure à son pied : le pied !
Opéra de Toulon, 24 novembre
La Botte secrète, de Claude Terrasse et Franc-Nohain.
Production Compagnie Les Brigands. 
Orchestration : Thibault Perrine ; Direction musicale : Christophe Grapperon.
Mise en scène : Pierre Guillois ; chorégraphie et assistante à la mise en scène : Stéphanie Chêne ; scénographie : Florence Evrard ; costumes : Axel Aust ; Lumières : Christophe Forey.
Distribution de la Botte secrète :
La Princesse : Blandine Staskiewicz ; le Prince : Christophe  Crapez ; Monsieur Edmond : Vincent Deliau ; Hector : David Ghilardi ; l’égoutier Vincent Vantyghem.
Distribution de la Revue :
Anne-Lise Faucon, Léticia Giuffredi, Emmanuelle Goizé, Estelle Kaïque, Isabelle Mazin, Lara Neumann, Charlotte Plasse, Camille Slosse, Muriel Souty, Jean-Philippe Catusse, Gilles Favreau, Olivier Hernandez.

Photos : ©Frédéric Stéphan


samedi, octobre 13, 2012

BIZET ÉTAIT UNE FEMME


BIZET ÉTAIT UNE FEMME
Duo Cathy Heiting/Jonathan Soucasse
Théâtre de Lenche
26 septembre

L’Opéra n’avait pas encore ouvert sa saison avec Carmen de Bizet, sacrée et consacrée bonne femme enfantée par les hommes, Mérimée, avec cet étrange e féminin de son nom masculin, puis Bizet, qui mérite plus d’une bizette, non pour sa binette avec binoclettes, mais pour sa musiquette qui est de la grande, de la belle musique pour la belle. Le théâtre de Lenche lui brûlait la politesse, avec la complicité d’un duo à hue et à dia brûlant les planches, nous tirant le fameux opéra-comique vers un comique-opéra très opérant sur un public opéré, dopé aux endorphines de l’hilarité par la célérité des deux faisant un pour le bonheur de tous.
Katia von Bretzel, Cathy Heiting pour les fans, accompagnée de son pianiste suédois Ingmar Brutesohn, Jonathan Joucasse pour les happy few d’un théâtre heureusement plein, diva divagante, tango tangante, extravagante, extravertie, extraVerdi, extraparcellisée entre Purcell, Puccini, Massenet, Bizet, baisers de boléro, flamenco flamboyant et jazz jasant, nous ont promenés sur les sommets de là (la naturel) aux là-bas profonds du grave de la mezzo soprano qui n’est pas une chanteuse mezzo mezzo mais à plein, à pleins moyens vocaux et scéniques. Mais pourquoi le micro avec une voix macro ?


Elle passe et revient au baroque Purcell avec style, dondonnante Didon, non sans émotion (mais pourquoi escamoter le « me » de « remember » ? Voyelle trop fermée pour sa généreuse voix ?), jouant de son physique avantageux, roulant les yeux, foudroyant ou couvant du regard le pianiste chevelu, qui se lance et divague sur les vagues d’un romantisme jazzy avec des variations vertigineuses et virtuoses ravissant l’auditoire. Elle « flamenquise » avec ardeur, « skate » avec bonheur, passe avec une vraie émotion à l’air bouleversant « Ah, laisse couler mes larmes ! » de la Charlotte de Massenet, se donne le luxe du tragique « Stride la vampa… » du bûcher d’Azucena du Trovatore de Verdi. Et tout cela dans un délire qui laisse tout de même lire, sous le comique de l’absurde, le sérieux de l’amour du chant.
À peine quelques mouvements, quelques gags visuels réglés habilement par André Lévêque et des lumières de Julien Sayegh et voilà un grand petit spectacle qui, sans se prendre sérieux, opéra sérieusement et joyeusement quand tant d’autres œuvrent sérieusement des œuvres dérisoires.

Photo G. Fabre

CARMEN, Opéra de Marseille

CARMEN,
Opéra en quatre actes
Livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Musique de Georges Bizet (1875)
Marseille, 9 octobre 2012
L’opéra le plus joué dans monde revenait à Marseille après huit ans d’absence pour l’ouverture de la saison. On ne se donnera pas le ridicule de résumer l’intrigue de la gitane séductrice, éprise de liberté, qui succombe sous le coup de Don José, le soldat qu’elle a vainement tenté de libérer : faute de pouvoir retenir dans la cage de son amour cet oiseau de bohème, il le cloue de son couteau pour en fixer à jamais le vol fantasque.

Réalisation
Cette production du Théâtre du Capitole de Toulouse avait l’heureuse sagesse de ne pas abusivement mettre en avant le metteur en scène par des délires modernisateurs au détriment de l’œuvre.
Les décors d’Ezio Frigerio et les sobres et sombres costumes de Franca Squarciapino déconcertèrent une partie du public avide de folklore coloriste andalou qui ne répond pas à la réalité historique, même si le tourisme a aujourd’hui forcé la note pour la présenter ensuite aux vacanciers qui la demandent et en veulent plein les yeux et pour leur argent. Carmen, au dernier acte, en robe lie de vin, mantón de Manila, châle de Manille noir à fleur rouge sur les épaules, chignon, fleur rouge et peineta, grand peigne, aux cheveux, est plus juste dans sa simplicité que tant de poupées outrancièrement parées d’autres productions : l’Espagne est un pays de soleil qui recherche l’ombre. Les dorures pompeuses des toreros s’éclairent dans ce contexte souvent ombreux des lumières contrastées, caravagesques, Vinicio Cheli, sol y sombra.

Le fond monumental d’édifice romain ensoleillé contrastant avec une sorte d’envers du décor placé devant, dans l’ombre, avec ses obscures et lugubres galeries en bois de bas-fond qui serait inversé en haut-fond, s’il étonne un public s’attendant à des édifices mauresques, répond à une vérité historique : romanisée deux cents ans avant notre ère, la Bétique, aujourd’hui l’Andalousie (la Vandalousie, qui prend son nom des futurs Vandales) a près de mille ans de romanité avant la conquête arabe et Séville (Itálica) est la première cité de l’Empire romain hors d’Italie, a se voir octroyer le droit de citoyenneté romaine, la Bétique donnant de grands écrivains, dont Sénèque, et des empereurs ibériques à Rome, dont Trajan, et la dynastie des Antonins. C’est d’ailleurs la tradition romaine des jeux de cirque qui explique la survivance barbare de la corrida sur laquelle s’achève le destin de Carmen.
Sans recherche d’excessive originalité, la mise en scène de Nicolas Joël, réactivée avec finesse par Stéphane Roche, est juste, avec une grande véracité humaine qui répond au vérisme anticipateur de l’œuvre : justesse des expressions et des attitudes, comme la pose avantageuse de Moralès face à Micaëla, le jeu des soldats avec la jeune fille, les passages bouffes entre le Dancaïre et le Remendado, cette sortie des cigarières, émergeant de l’ombre des entrailles d’on ne sait trop où, et surtout, la charge érotique immédiate de Carmen, du haut de la scène théâtrale de la galerie, jambes nues pendantes et barreau entre les cuisses, telle une Marlène, ange noir, sinon bleu, des hauteurs. En revanche, le trio des cartes, les trois femmes se levant  à tour de rôle pour commenter leur destin est une inutile répétition du même signe.

Interprétation
On est heureux de retrouver les récits de Guiraud, qui sont musicalement et textuellement intéressants plutôt que les passages parlés de l’opéra-comique original revenus en force ces dernières années, qui mettaient à la peine tant de chanteurs et, au supplice, les spectateurs.
On saluera l’homogénéité de la qualité des interprètes du premier aux derniers rôles. Armando Noguera, en Dancaïre et Stéphane Malbec Garcia en Remendado, voix grave et voix claire, s’entendent vocalement et scéniquement comme larrons en foire, avec leur pendant féminin de Jennifer Michel, fraîche Frasquita, délicieuse et lumineuse, et Blandine Staskiewicz sombre et voluptueuse Mercedes, joyeuses luronnes et larronnes. Du côté des militaires, Morales est incarné avec charme par Christophe Gay, juvénile et galant baryton, tandis que Philippe Fourcade, basse, est un Zúñiga élégant et philosophe, mais peut-être la mise en scène pouvait-elle accuser un peu plus, sinon la connivence, la complaisance des officiers envers le monde interlope de l’auberge de Lillas Pastia, dans un mélange des genres que l’actualité démontre souvent entre tenants de l’ordre et ses contrevenants  non détenus.
Le rôle d’Escamillo est vocalement mal écrit pour son air fameux de « Toréador… » : un grave corsé de basse et des aigus claironnants de baryton qui forcent les interprètes, selon leur type de voix, à sacrifier l’une ou l’autre extrémité de la tessiture. Habile technicien, Jean-François Lapointe, baryton, privilégie l’aigu en le justifiant par le jeu, campant un personnage de bravache, triomphant de franchise et d’arrogance vocale, sûr de lui : c’est le coq paradant qui croit mériter la poule parce qu’il a un beau plumage et, s’il est vraiment chevaleresque dans la montagne, son éclat clinquant et son or dénoncent bien la réalité de la tauromachie : du théâtre, sanglant mais fabriqué. Micaëla est l’adorable Anne-Catherine Gillet, seul personnage apaisant de l’œuvre, auquel le public adresse une ovation : le jeu est nuancé, le timbre ravissant, mais sans doute parce que la voix est un peu légère pour le rôle, elle compense par un grand engagement dramatique son grand air, au risque d’un vibrato inquiétant.


Après avoir promené le personnage deux-cent-trente fois dans le monde, Luca Lombardo présentait son Don José à Marseille, sa ville natale. Il a su nous faire bénéficier sans doute d’un rôle mûri et poli vocalement et scéniquement, pureté de la ligne du chant, du phrasé, sens du texte. C’est d’abord une présence : pensif, méditatif sans doute, il semble un grand enfant avec la lettre de sa mère et touche dans le magnifique duo avec Micaëla. Peu à peu, il gagne en densité passionnelle jusqu’à l’air de la fleur conduit avec un art consommé du chant, alliant finesse et dramatisme, émouvant et, enfin, pathétique et déchirant à la fin avec son jouet brisé entre les bras. Grand acteur et grand chanteur. Le rôle de Carmen n’offre pas de difficulté vocale mais nécessite une forte incarnation : avec la beauté du Diable, Giuseppina Piunti y est une révélation. Tout son jeu d’expressions en contrechamp mériteraient la proximité de la télévision pour en rendre les nuances : sa façon d’être touchée par José à son air d’amour, et la façon dont elle s’en dégage pour profiter de sa faiblesse est subtile et forte ; elle sait jouer des castagnettes, gestes gracieux, démarche sensuelle vont de pair avec une voix généreuse, veloutée voluptueusement dans le grave et avec des aigus mordants presque rageurs : une Carmen dont la finesse rappelle parfois le renouvellement du rôle, bouffi par une tradition lourdingue, par Berganza. Leçon intégrée par cette jeune génération de chanteurs acteurs. On admire la belle diction française de tous, en s’étonnant que seule Anne-Catherine Gillet roule encore les r (pour aider la projection du son), qu’on pardonnerait à la gitane et italienne Carmen.

Préparés en finesse par Pierre Iodice, les chœurs sont excellents et les enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône ont un joyeux dynamisme bien entraînant. À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, Nader Abassi mène magistralement ce jeu, mordant des attaques, vivacité acérée des tempi, clarté des lignes et cet art subtil de mettre en valeur les timbres raffinés, notamment de certains interludes, entre musique symphonique et de chambre, toute la finesse d’un Bizet qui garde encore, un siècle après, la palette instrumentale irisée de Mozart. 
Belle rentrée et beau prélude à la saison méditerranéenne de l’Opéra à l’occasion de Marseille, Capitale européenne de la culture en 2013.
Opéra de Marseille
Carmen de Bizet
Jeudi 4, mardi 9, vendredi 12 octobre 2012, 20h ; dimanche 7 et dimanche 14 octobre 2012, 14h30.
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille Maîtrise des Bouches-du-Rhône ;
Direction Musicale : Nader Abbassi.
Mise en scène : Nicolas Joël ; Réalisation de la mise en scène : Stéphane Roche ; décors : Ezio Frigerio ;  costumes : Franca Squarciapino ; lumières : Vinicio Cheli.
Distribution :
Carmen : Giuseppina Piunti ;  Micaëla : Anne-Catherine Gillet ; Frasquita : Jennifer Michel ;  Mercedes : Blandine Staskiewicz ; Don José : Luca Lombardo ;  Escamillo : Jean-François Lapointe ; Zúñiga ; Philippe Fourcade ; Morales : Christophe Gay ; Dancaïre : Armando Noguera ;  Remendado : Stéphane Malbec Garcia.

Photos Christian Dresse :
1. Ombreuse manufacture ;
2. L’amour tendresse : José et Micaëla (Lombardo, Gillet) ;
3. L’amour passion : José prisonnier de la prisonnière Carmen (Lombardo, Piunti) ;
4. L’amour solaire : Carmen, Escamillo (Piunti, Lapointe) ;
5. La parade.

mardi, octobre 09, 2012

PORTRAIT DE LUCA LOMBARDO, TÉNOR


LUCA LOMBARDO


C’est notre Marseillais universel, notre ténor international : Luca Lombardo, dont l’accent et la voix ensoleillée chantent Marseille avant même qu’il ne chante, réclamé par les quatre coins cardinaux de l’opéra, de l’Asie à l’Amérique, de l’Europe à l’Afrique en passant par l’Australie, nous revient pour ouvrir notre saison lyrique, avec le rôle de Don José de Carmen, qu’il a chanté deux-cent-trente fois dans le monde dans plus de vingt-cinq productions, la dernière en juillet, à Venise, à la Fenice, avec la production de cet opéra qui tourne actuellement le plus dans le monde. Il va l’interpréter enfin chez nous, chez lui, dans cette ville qu’il n’a jamais quittée malgré ses incessantes tournées, puisqu’il y habite. Avec le bonheur rare, me confie-t-il, de travailler sur place et de pouvoir se lever le matin, à six heures, pour préparer le petit déjeuner de son fils adolescent.
Cette douceur familiale, entre femme et fils pour Luca, rare pour le nomadisme des grands artistes qui sont appelés à chanter partout dans le monde, l’Opéra de Marseille la lui offrira encore cette saison puisqu’on le réentendra dans la rare Cléopâtre de Massenet en juin 2013, en plein dans les célébrations de Marseille Capitale européenne de la culture.
Certes, Luca Lombardo est loin d’être un inconnu à l’Opéra de Marseille. Nous l’y avons entendu dans Le Roi d’Ys, Bravo Offenbach, L’Atlantide du grand compositeur marseillais Henri Tomasi, il y a longtemps de cela. Plus près de nous, dans Cavalleria Rusticana en 2011 auprès d’une partenaire qu’il a beaucoup retrouvée, notamment dans Carmen à la Bastille, Béatrice Uria-Monzon. Il avait défendu naguère un autre grand compositeur marseillais, Ernest Reyer, dont la place de l’Opéra porte le nom, en étant un héroïque Sigurd pas très loin, à Montpellier. Il me confie en souriant que Sigurd était le nom de son premier chien, preuve d’admiration et d’affection.
Le voilà donc chez nous, chez lui. Il retrouvera dans cette production de Carmen d’autres partenaires complices  qu’il aime et apprécie, Anne-Catherine Gillet en Micaëla, et Jean-François Lapointe en Escamillo. Après Marseille, il ira au Festival Massenet de Saint-Etienne défendre la résurrection du Mage, opéra qu’on avait oublié, avec enregistrement de l’œuvre à la clé par le Palazzo Bru Zane. Il sera à Lyon dans L’Heure Espagnole de Ravel au Capitole de Toulouse dans Manon, et à l’Opéra National de Paris, dont il est un habitué, pour Werther et Le Cid.  Enfin, après tant de tournées à l’étranger, un peu chez lui, Français chantant en France et Marseillais à Marseille, une chance pour nous que cette escale qu’il nous offre.
C’est qu’il est allé loin, notre jeune Marseillais ! Après un Bac scientifique et des études de droit, faisant ses premières armes au Conservatoire de Marseille, il part pour Trévise, près de Venise, et y travaille avec le maître, C. Thiolas. Puis c’est la suite des lauriers de plusieurs grands concours de chant lauréat internationaux : Prix Caruso de Milan, Prix Georges Thill, du nom du légendaire ténor français, Concours des Voix d'Or, Concours Viñas de Barcelone, Concours International d’Opéra de Marseille en 1987, présidé par Ernest Blanc.
Il est dès lors aspiré par le succès : les Flandres, l’Australie, (Sydney, Melbourne), la Suisse, l’Autriche. Il fréquente les plus prestigieuses salles du monde entier, à Paris, l’Opéra Comique où il alternait dans Werther avec le légendaire Alfredo Kraus, l’Opéra Bastille auprès de Plácido Domingo. Il fut aussi à Bastille le Don José de Carmen, puis le Hoffmann des Contes, un de ses meilleurs rôles. Il a fréquenté le Staatsoper de Vienne, le Festival de Glyndebourne, les Chorégies d’Orange, en passant par la Scala de Milan où il chanta sous la direction de Ricardo Muti les rarissimes opéras XVIIIe siècle Lodoiska de Cherubini et La Vestale de Spontini, deux opéras de compositeurs italiens sur des livrets en français. Luca Lombardo, notre Marseillais, est demandé partout à l’étranger, comme le meilleur défenseur actuel par l’élégance du chant, la pureté de la diction, du style français. On lui a même offert le luxe de chanter les versions originales de la Salomé de Strauss à Nice, sur le texte français d’Oscar Wilde, et celle du Don Carlos original de Verdi en Argentine. Il n’est pas abusif de dire que Luca Lombardo est devenu pratiquement l’identification du chant français pour les rôles essentiels de ténor : Don José, Hoffmann, Faust, de Gounod et de Berlioz, Werther…


Il a chanté avec les plus grands chefs, de Casadessus à López Cobos, de Cambreling à Nader Abbassi, sans oublier Ricardo Muti, le patron de la mythique Scala et il a travaillé avec les plus fameux des metteurs en scène. Il garde un excellent souvenir Christoph Marthaler, à la pointe de l’audace, dont la production de Luisa Miller de Verdi, dans laquelle il incarnait Rodolfo, fut sacré meilleur spectacle en Allemagne.
S’il a chanté Don José de Carmen au Stade de France devant soixante-douze milles spectateurs, s’il en est à plus de cinquante Hoffmann, les personnages qu’il a le plus chantés avec Werther, il a déjà soixante rôles différents à son actif et en est à trois prises de rôles en moyenne par an sans compter les concerts. Il a pratiquement chanté tous les rôles célèbres de ténor lyrique italien de Verdi à Puccini, en passant par le Tamino de La flûte enchantée, pratiquement sa seule incursion dans l’opéra allemand et La Petite renarde rusée du tchèque Janacek à l’Opéra Bastille.

Il faut reconnaître qu’il est quelque peu prisonnier de ces rôles français auxquels on l’identifie et qu’il polit par cette longue fréquentation. Certes, il les chérit comme il porte au cœur Mario de Tosca, comme il aime Rodolfo de La Bohème, mais il rêve d’autres rôles pour sa voix qui, de ténor lyrique, évolue vers le lirico spinto plus large et corsée, tels le Des Grieux de Manon Lescaut (il est réputé pour celui de Massenet), le Dick Johnson de La fanciulla del west de Puccini, et rêverait d’incarner le poète André Chénier, vu par Giordano, qui finit sur l’échafaud pendant la Révolution.

Avec cela, Luca Lombardo révèle une autre face de sa personnalité. S’il avoue vouloir arriver sans idée préconçue du personnage qu’il doit incarner, même s’il l’a longuement fréquenté, pour rester ouvert aux propositions du chef et du metteur en scène, il approfondit toujours l’œuvre qu’il chante en lisant son support littéraire et les ouvrages qui la concernent, une façon d’en approfondir l’approche. Mais le cinéma, le sport, le tennis, et le foot pour ce Marseillais, la rencontre avec ses amis et l’asile de la vie de famille sont des haltes privilégiés dans le tourbillon de cette belle carrière. 

On a plaisir a transcrire ce qu’en disent deux confrères critiques d’Opéra Magazine :

« Luca Lombardo […] met sa longue expérience du rôle de Don José au service d'une incarnation de bout en bout maîtrisée, avec une conduite de la ligne, un naturel dans l’émission et une conviction dans l’accent qui forcent le respect» (Richard Martet)
Il faudrait obliger les élèves des cours de chant à l'écouter pour prendre la mesure de ce qu'est le style français de demi-caractère, avec l'éclat, le phrasé et la diction qu'il suppose. (Jacques Bonnaure) 
Photos :
1. Portrait par Gilles Swierc;
2. Dans Tosca;
3. Dans Tosca;
4. Dans Carmen à Turin;
5. Dans Carmen à Turin.


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