Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

jeudi, juillet 30, 2009

FESTIVAL CÔTÉ COUR

Festival côté cour
HANDEL WITH CARE !
Création
Aix-En-Povence, 25 juillet 2009

L’œuvre
Hændel pour les Français, Händel, puisqu’il faut l’appeler par son nom, du moins dans sa version d’origine allemande -encore que le Handel de la transcription en Angleterre, sa patrie d’élection si l’Italie fut sa patrie du cœur- est juste phoniquement et musicalement en anglais, et permet le jeu de mots british avec le verbe handel manier, manipuler, d’où ce Handel with care ! en hommage au 250 e anniversaire de la mort du grand Georg Friedrich, le maître européen de l’opéra baroque. Donc, ‘Manier avec précaution’ est le titre humoristique et l’étiquette qui ouvre et couronne cet opéra/théâtre sur l’aménagement, armes et bagages, du musicien dans son appartement londonien de 1725, un an avant sa naturalisation britannique, à l’arrivée de la diva importée, interprète et amante par la tradition toujours actuelle du bed – du bad dirais-je- casting. Le conseil à manier avec précaution vaut sans doute, un peu légèrement, à l’égard du sourcilleux musicien qui préfère l’incertitude de sa liberté d’artiste à la sécurité servile que lui offre la cour, mais vaut aussi de la capricieuse et susceptible diva Francesca Cuzzoni, et du non moins ombrageux cuisinier du maître, John
Hippolyte Wouters, ex-avocat belge, premier champion au monde de scrabble francophone, est l’auteur de la pièce en vers Le Choix d’Hercule (2001), qui joue plaisamment avec la cantate The choice of Hercules (1751) du compositeur. Oh, aucun choix vraiment herculéen pour Hændel, mais son refus de l’offre que lui fait le roi de devenir son musicien officiel mais contrôlé, et le refus consécutif de la fameuse Cuzzoni, sa maîtresse et diva, de rester avec un compositeur qui mise sur l’éternité de sa gloire quand les chanteurs n’en ont qu’une, passagère, et vivent ici et maintenant (jolie tirade sur l’art éphémère de l’interprétation face à l’éternité de la création artistique). C’est la trame de ce spectacle agrémenté d’airs d’opéras, qui a le mérite d’ajouter une intrigue à la mode actuelle des concerts à thème. Les vers, alexandrins, sont bien venus, les rimes, parfois cocasses (« hic » et « Frédéric »), des répliques font mouche (« elle ne trouve pas d’alter à son ego » pour dire celui de la diva ou, pour celui du compositeur, « masculin de diva »), sur le mariage, etc.

L’interprétation
Cependant, l’intérêt dramatique de l’intrigue est un peu mince pour soutenir longtemps un intérêt qui, ici, n’est guère compensé par le choix des airs plutôt sages vocalement, à celui d’Orlando (et non le "furioso" de Vivaldi) et d’un extrait d’extrait de Giulio Cesare près, le premier assez bien servi par le contre-ténor Daniel Blanchard, mais desservi par le statisme de la mise en scène (Veronica Grange et Ivan Magrin-Chagnolleau) due sans doute à la contrainte de la scène exiguë, le second « savonné » par Laure Lalo, malgré un joli métal vocal mal à l’aise dans les vocalises et, par ailleurs, roulant à l’excès des r qui n’ont rien d’italien. Quant au sympathique interprète d’Hændel, le baryton Frédéric Albou, il pâtit certainement d’un texte parlé écrasant qui fatigue son timbre chanté. On sent, derrière cela, probablement l’énorme fatigue de nombreuses répétitions pour une représentation unique, car il faut de reconnaître que ces jeunes interprètes sont parfaitement à l’aise sur scène, bien dirigés, bien costumés, dans un simple décor d’époque (Gérard Ottaviano).
La bonne surprise vient de Jean Nehr, vétéran comédien qui, en serviteur bougon et tendre, non seulement détaille subtilement les vers, mais fait chorus heureux avec les chanteurs. Sans surprise, l’ensemble musical Baroques-graffiti, mené par Jean-Paul Serra au clavecin, se promène et nous promène avec bonheur dans cette musique à la fois noble et intime : avec ces musiciens, c'est, vraiment Handel with care… and love.
Pour se rôder, ce spectacle, qui honore les choix du Festival côté cour, mériterait de tourner, allégé en texte, pour trouver sa vraie mesure.


Ensemble Baroques-graffiti : direction Jean-Paul Serra, clavecin ;
Caroline Gerber, violon et viole d’amour ; Catherine Dezafit, violon ; Agustina Meroño, basse et ténor de viole ; Jean-Christophe Deleforge, violone et contrebasse.

Photos Festival côté cour:
1. Hændel et la Cuzzoni;
2. Ensemble final.

dimanche, juillet 26, 2009

OPÉRA AU VILLAGE

DJAMILEH
Opéra comique en un acte de Louis Gallet,

d’après Namouna d’Alfred de Musset,
musique de Georges Bizet
,
Pourrières, 23 juillet 2009


Couvent des Minimes
Là où l’épine dorsale hérissée de la Sainte Victoire bleue s’apaise en molles ondulations vertes vers l’orée du Var, face aux Monts Auréliens, premières ondes du massif de la Sainte Baume, sur une éminence, le village de Pourrières se hausse et serre autour du clocher de son église. Le creux d’un petit chemin ondoyant et verdoyant conduit à une vieille bâtisse, nichée dans un flot d’arbres, le couvent des Minimes, où depuis 2005, a trouvé nid le bref mais original festival d’Opéra au Village, créé et mené par une équipe débonnaire et sympathique de villageois. Une muraille en moellons apparents, soulignée et ombragée d’une ligne de marronniers séculaires, sous lesquels sont dressées les joyeuses tables d’un repas à thème servi par les bénévoles du lieu, embrasse plus qu’elle ne ceinture le couvent: une humble construction que des moines campagnards bâtirent patiemment en assemblant à l’ancienne, sans apparat de taille, une à une, ces pierres roses, liées d’un peu de mortier, à peine taillées pour les portants d’angles et de soutènement. Un petit cloître de ce simple appareil en pierres crues, à la galerie au modeste dos voûté, enlace une courette à laquelle un marronnier offre un ciel vert, parasol le jour, ou dais végétal la nuit éventant mollement de sa palme les étoiles d’été. Une mince fenêtre à fronton antique rappelle le XVI e siècle de la construction.

De Namouna à Djamileh

Rêve d’orient, thématique d’Opéra au Village. Mais, aujourd’hui, rêve masculin par le sujet inspiré de Namouna (1831) de Musset, désinvolte conte de 145 strophes en vers aussi libres que libertins, expression tour à tour mélancolique et ironique d’un jeune dandy déjà blasé, « venu trop tôt dans un monde trop vieux », tout tourné vers le XVIII e siècle léger, qui ne craint rien tant que l’ennui, ce spleen romantique pesant :

Donnons au plaisir nos heures,

Et chassons de nos demeures

L'ennui, cet hôte indiscret.

Le texte de Musset, joyeusement impertinent, voguant sur la vogue des Orientales d’Hugo, n’ignore pas le Childe Harold (1812-1818) de Byron, ni son Don Juan, ni celui de Mozart : il y a débauches et ébauche de catalogue de femmes de toutes conditions et de tous pays, éloge du vin, de l’inconstance mais traversé du rêve nostalgique, à la mode romantique convenue, de la « femme inconnue », celle qui effacera toutes les autres qui n’en seraient que le brouillon. Bref, un Don Juan jamais amoureux mais vaincu par l’amour.
Le bref livret que Louis Gallet (1872) tire des neuf dernières strophes du « Conte oriental » de Musset, dans une légèreté gracieuse, condense parfaitement Namouna, l’esclave amoureuse d’un maître, devenue ici Djamileh. Hassan était un Français converti à l’islam par le goût des harems. C’est ici Haroun, Sultan d’Egypte qui assigne cyniquement un mois à ses esclaves favorites, « destin promis aux fragiles amours »,
 et chante tel un Don Juan :

Que l'esclave soit brune ou blonde,

Je cède au charme tour à tour ;
Je n'aime aucune femme au monde,
Aucune femme...
 J'aime l'amour! j'aime l'amour.

Son valet, Splendiano, qu’on croit amoureux de Djamileh, n’en chante pas moins un hymne au plaisir bien sensuel, digne du maître :

Il faut pour éteindre ma fièvre

Une douce réalité,

Et je veux boire à pleine lèvre

Ta coupe ardente, ô volupté!

C’est donc bien un chant profane au plaisir et une conception de l’amour bien masculine qui s’expriment dans cette œuvre qui fait apparemment triompher l’esclave amoureuse qui soumet le cœur d’un maître inconstant, comme Shéhérazade, qui misait sa tête. Djamileh l'orientale est l'inverse de Rosine du Barbier: elle veut rester dans une cage que la Sévillane veut briser. Le chœur féminin chante de plaisants « Lou lou lou lou » qui stylisent les « youyou » de joie des femmes arabes.

Réalisation
Bernard Grimonet, habitué des lieux, qui signe la mise en scène, utilise judicieusement l’espace exigu du plateau et stylise un Orient de théâtre ( Gérard Méliani et son équipe) : baies de galerie de fond éclairées de moucharabiehs ; rideau vert islam, tentures dorées, gazes isolant un divan qui sera orné de moelleux coussins, table ottomane, flacons, verres, narguilé, signes du « luxe, calme et volupté » masculins, opposés à cette fragile cage, signature féminine, où, par l’esclave amoureuse, sera tendrement enclose la rose singulière, symbole de la femme, que le maître cynique avait extraite d’un bouquet pluriel puis effeuillée avec désinvolture, telle une marguerite, avant de la broyer : pas d’épines pour lui. Les costumes (Mireille Caillol et son équipe) sont d’un faste oriental, clin d’œil kitsch ; un immense éventail épanoui jouera au moucharabieh ou à l’imposte pour l’imposture finale de l’esclave voilée, cruellement dévoilée par le Sultan à ses amis comme Elvire est livrée par Don Giovanni à son valet, pudiquement occultée à la fin quand l’amour parle. Des projections de motifs géométriques arabes parachèvent ce rêve doré oriental, nimbé de lumières hollywoodiennes.
L’œuvre étant courte, une première partie, instrumentale et vocale, nous met dans l’atmosphère de l’Orient des salons du XIX e siècle : extrait de Namouna, ballet de Lalo, les Adieux de l’hôtesse arabe de Bizet, poème d’Hugo, poétiquement joués au violon (Sarah Friedmann) d’une fenêtre nocturne, et quelques mélodies (Fauré, Lalo, Viardot, romance de Nadir de Bizet) dans ce goût, délicatement chantées par les interprètes de la proche Djamileh. Un interlude acousmatique (Nicolas Marfeuil et Julie Serre), grondements, clameurs, plonge un homme enlevé (esclave chaîne au cou) dans un songe traversé de vers ironiques de Namouna, passant du cauchemar au rêve oriental compensateur de maître absolu : Djamileh.

Interprétation
De l’orchestre de Bizet pour soixante instruments, Frédéric Carenco réussit à tirer un sextuor instrumental (piano, violon, violoncelle, flûte clarinette, basson) qui respecte l’original, couleurs de timbres, d’une intimité chambriste séduisante, toute en nuances et saveur orientale stylisée: délicat et somptueux tapis persan continu déroulé sous les pas et voix des chanteurs, œuvre personnelle d’un vrai compositeur, servie avec un bonheur sensible par d’excellents musiciens heureux. À leur tête, passionné et précis, Luc Coadou mène le jeu musical sans faille, attentif aux détails et à l’ensemble, dont ces chœurs bien chantants, astucieusement intégrés à l’action, d’où se détache la belle voix de basse de Cyril Costanzo, par ailleurs comparse cocasse.
Agrémenté d’une charmante danseuse orientale (Karen Agopian), le trio de chanteurs, jeunes et beaux, passe aisément de la mélodie de salon à l’effusion lyrique plus franche avec un même bonheur. En Splendiano, le valet confident, Jean Fischer, interprète raffiné du Jardin nocturne de Fauré en première partie, déploie maintenant sa belle étoffe de baryton en voix parlée et chantée, ligne de chant et silhouette impeccables, art des nuances, acteur des plus justes. Le tout jeune ténor léger Samy Camps, pour la première fois en scène, très à l’aise, prête au Sultan capricieux et enfantin son allure juvénile et la légèreté aérienne de sa voix, qui devrait mûrir dans le médium. Sans doute pourrait-il moins abuser de sa facilité (pas si courante !) à user du registre mixte et du fausset et de ses mimiques, très drôles il et vrai mais qui, à trop tirer vers le comique, laissent dans l’ombre la fatale noirceur et cruauté que met en lumière un libertinage où, s’il y a commerce heureux de deux épidermes, il n’y a pas échange de deux libertés et de deux cœurs.
Dans le renversement hégélien (même improbable) de maître à esclave, Yete Queiroz, qui avait déjà séduit et ému par son interprétation sensible et juste de La captive de Lalo, trouve en Djamileh un rôle, tessiture, couleur, personnage, à sa mesure : elle est belle, discrètement sensuelle, sensible, et le cuivre de sa voix de mezzo, homogène et maîtrisée en nuances, convient au bronzage de sa peau et à son lamento où se retrouve la nostalgie érotique et désespérée des mélismes des Adieux de l’hôtesse arabe, déchirée du départ du « bel étranger » oublieux, ici, le Sultan.
On se sent si heureux de ce spectacle réussi qu’on veut bien croire à son happy end. Le temps d’une nuit d’été.

Photos : Bertrand Bruder, légendes, B. P.
1. Remède contre l'ennui…
2. Maître et valet: les deux font la paire;
3. Plus joyeux lurons, larrons: la bande des hommes;
4. La femme et la cage: la servitude volontaire.

jeudi, juillet 16, 2009

CHORÉGIES D'ORANGE



LA TRAVIATA
de Giuseppe Verdi,
livret de Francesco Maria Piave
d’après La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils
Théâtre antique, 11 juillet


À mesurer cette Traviata à toutes celles montées aux Chorégies, cette dernière est à marquer d’une pierre blanche dans les pierres démesurées du théâtre antique. Conjonction heureuse d’une homogène distribution dans la finesse, d’une direction d’orchestre intimiste et d’une mise en scène qui sait jouer de la grandeur publique et multitudinaire du cadre pour souligner la solitude intérieure de l’héroïne, cette Violetta Valéry, la courtisane, aussi entourée par les appétits charnels des hommes que seule avec ses aspirations morales et sentimentales, seulement comblées au bord de la fosse, trop tard. Trop tard pour l’amour, trop tard pour le pardon et le salut : elle paie de sa mort sa rédemption.

La réalisation
Le tempo de l’ouverture par le chef Myung-Whun Chung semble dissiper très lentement une brume de la mémoire tandis que glisse, tel un rêve, vers le centre une longue table de fête avec, autour, des convives en frac et haut de forme pour les hommes, en robes fin XIX e pour les femmes, figés ou endormis : estampe proustiennes d’un temps retrouvé dans sa brumeuse fragilité. Rangée à cour ou à jardin selon les actes, cette image de fête engourdie, comme une réminiscence, sera témoin permanent de la fugace trajectoire terrestre de Violetta, qui arrive endormie ou déjà morte, allongée sur la table, autel du sacrifice de sa brève vie au plaisir. À l’avant-scène, des fauteuils vert printemps pour l’automne immédiat de cette existence éphémère vite fanée, scandent l’espace comme les stations du calvaire de la belle poitrinaire, par ailleurs arborant du début à la fin, dans ses robes, cette couleur d’un espoir collé au corps ou d’un venin en ses veines instillé. Dans le lit vite omniprésent, on lit également les moyens de vie, la puissance sexuelle de la vie, et de la mort, de la courtisane : Éros et Thanatos.
C’est dire que les lumières livides de Franck Thévenon, qui passeront au rouge de la passion, de la haine et du sang de vie et de mort, les costumes symboliques de Catherine Leterrier (vie incarnée d’incarnat de Flora, opposé au vert de la putréfaction élégante de Violetta), la scénographie de Jacques Gabel signifient déjà dans la lecture intelligente et sensible que Frédéric Bélier-Garcia donne de l’œuvre.
Il y a ces trois bals qui, de l’endormissement au déchaînement carnavalesque ou spectral, avec ces chauves-souris (clin d’œil aux noceurs de Strauss ?) semblent glisser, comme la table, vers le cortège grotesque, grinçant et funèbre à la Goya : enterrement. Il y a ce lit vers lequel l’héroïne, décidée déjà au renoncement, jette d’avance ses bijoux comme un dépouillement ascétique de son ancienne vie, alors même que le riche amant en titre est encore présent; lit du chant des matins triomphants du jeune amoureux et amant heureux qui peut lancer les contre ut, les cocoricos de jeune coq dans l’euphorie d’un érotisme assouvi auprès d’une maîtresse femme en la matière ; lit qui attire irrésistiblement le père prude qui y sent les effluves d’un désordre amoureux de draps et de corps. Et puis, ces signes simples et forts : la main, le bras de la femme sur le père qui vient pourtant lui réclamer le sacrifice, main tendue et rendue de deux êtres qui se rendent finalement hommage à genoux, solidaires, opposé au bras solitaire de la femme qui veut fuir mais saisi, en signe de violente possession, par l’amant officiel acheteur de ses charmes. Avec cela, le magnifique fondu enchaîné entre les actes III et IV, à la charnière desquels, Violetta humiliée par Alfredo devant tous les invités qui s’éloignent tout doucement avec la discrétion qui est l’habit de l’indifférence, retrouve, sur l’immense plateau qui se vide, sa solitude existentielle avec la reprise lente du prélude qui prélude à sa fin solitaire en ce lieu écrasant. Sans doute légères références cinématographiques de Bélier-García, le long gant dont se dénude le bras Violetta fait penser à Gilda et le chapeau claque dont elle se coiffe à Marlène, femmes fatales perverses, inverses de cette « traviata ». C’est bien une mise à mort, un hallali, dont l’habit est l’alibi élégant, d’un taureau, d’une biche, d’une femme sans défense par une meute avide de spectacles cruels.

L’interprétation
La direction de Chung, à la tête de l’excellent Orchestre Philharmonique de Radio France, souvent d’une tendre confidentialité chambriste, rend à cette musique très connue son intimité raffinée et nimbe des interprètes qui jouent la nuance humaine et musicale dans ce cadre inhumain pétrifié. La distribution est homogène, tous les chanteurs sont parfaitement à leur place et rôle, même les silhouettes sonores (Julien Dran, Marc Malardenti, Yvan Sautejeau), depuis les petits rôles aux principaux. Annina (Christine Labadens) a une dignité attentive, Flora (Laura Brioli) est belle et tonique. Gaston est bien campé par le tout jeune et prometteur Stanislas de Barbeyrac ; Jean-Marie Delpas sait être inquiétant en Douphol sourcilleux, Armando Noguera fait un bon marquis de comédie et Nicolas Courjal, un noble médecin.
Mais on attend la triade tragique du père, de l’amant et de l’amante. Peut-être un peu victime du grand air pour le médium, Marzio Giossi est néanmoins un Germont père plein d’humanité, de tendresse, et ses aigus sont sonores dans cette tessiture de baryton très tendue. Silhouette mince, souple et élancée de jeune premier bronzé par le soleil de sa Provence (natale dans le rôle), le jeu sentimental et la voix de Vittorio Grigolo en Alfredo, au-delà du physique, justifient amplement le trouble de Violetta : timbre solaire, aisé, émission franche mais aux nuances subtiles. La traviata, c’est Patrizia Ciofi, minceur juvénile, jolis gestes gracieux, rieuse et grave, extravertie et intérieure. Elle n’est pas défigurée par une énorme voix : sa Violetta, c’est bien elle, cette silhouette agile, ce timbre rond, de miel, d’une musicalité de rêve, une volubilité qui fait voltiger les vocalises comme des bulles de champagne ou des interrogations de l’âme. Une incarnation touchante dans la délicatesse qu’on voudrait protéger jointe à la puissance tragique qui bouleverse.

Photos Philippe Gromelle :
1. Le "brindisi";
2. Déclaration d'Alfredo;
3. Le trouble de Violetta;
3. Le sacrifice demandé par le père.


mardi, juillet 14, 2009

IV e FESTIVAL DES MUSIQUES INTERDITES


ATHALIE
de Félix Mendelssohn, texte de Racine
Création en France
Théâtre Toursky, 10 juillet


Il y eut cette phrase : « Le Troisième Reich ne peut assumer la responsabilité de la musique de Mendelssohn […] cette musique est géniale mais en dépit de sa valeur musicale, elle n’est pas supportable pour un mouvement de culture raciste. »
Il y eut, au-delà de cette phrase d’un grand journal, les actes racistes, la mise à l’index par le nazisme des artistes, écrivains, peintres et musiciens dits « dégénérés », juifs ou tenants de la modernité, sans oublier d’illustres anciens, balayés, rayés de la carte culturelle. Et tous les autres, exclus, exilés pour les plus chanceux, ou exterminés pour les moins heureux, dans les camps.
Il y a cette volonté têtue de Michel Pastore, sous l’égide du Consulat d’Autriche à Marseille, avec à sa tête Jean-Léopold Renard, son Consul Général, de rendre honneur et dignité, et leur place souvent, à des musiciens perdus dans la Nuit et le Brouillard nazis ou d’autres fascismes, ou qui furent persécutés post-mortem comme Mendelssohn, par ce qui est devenu un Festival permanent de ces « Musiques interdites », permanence de la mémoire contre l’oubli, à vocation européenne.
Il y a donc cette Athalie (1845) que l’on découvre en France, sur des extraits dramatiques du texte de Racine, plus que « musique de scène », sorte d’oratorio pour orchestre, chœur et trio féminin de voix et quelques acteurs qui déclament sur la musique à la façon des mélodrames de Jiri Benda, si en faveur, après Rousseau, au XVIII e siècle.
Il y a l’Orchestre Philharmonique de l’Opéra de Marseille, sous la férule de Cyril Diederich, qui, à quelques flottements des cuivres près, rend sa couleur, sa force à cette musique dont l’élégance n’enlève rien au dramatisme. Il y a les superbes Chœurs Adfontes canticorum. Il y a, lumineuse, tendre, maternelle, angoissée, incarnant par sa belle voix chantée ou parlée Josabeth, Sandrine Eyglier, vraie tragédienne ; flanquée par le mezzo aux irisations d’émeraude d’Eugénie Danglade, qui dit aussi bien les vers qu’elle les chante ; il y a un second soprano, Simona Prochaskova, plus discrète. Il y a la magnifique surprise du grand baryton Jean-Philippe Lafont qui se paie ici le luxe d’être simplement acteur : largeur du timbre, noblesse de la déclamation, sens du phrasé racinien dont il sait moduler la musique, incarnant le grand prêtre Joad avec une grandeur tragique. Il y a William Mesguich, un peu passé en enfant Héliacin, et quelque peu dépassé par sa voisine partenaire Athalie.
Ah, Athalie… Il y avait, semble-t-il, Julie Depardieu dans ce rôle : texte en main, elle lit, ânonne, trébuche, inexpressive, inaudible au-delà du 5e rang de spectateurs chanceux. On en reste interdit.



mercredi, juillet 08, 2009

FESTIVAL DE MARSEILLE (4)

Is You Me
par la compagnie Par B. L. eux
Pavillon noir d’Aix-en-Provence,
5 juillet

L’enfance de l’art


Et art de l’enfance dirait-on, à premières vue et écoute de ce séduisant, troublant et touchant spectacle qui mêle à la fois la chorégraphie de Benoît Lachambre, qu’il interprète avec Louise Lecavalier sur et sous des graphismes projetés en direct de son ordinateur par le plasticien Laurent Goldring sur une musique tout aussi directe de Hawn Rowe de son pupitre électronique. Mais une enfance d’aujourd’hui qui saurait jouer en virtuose de l’immense palette de tous les artifices technologiques offerts par l’informatique et l’électronique les plus élaborées, qui échappent souvent à l’adulte en retard d’une évolution et d’une révolution.
Blancheur immaculée d’un plan incliné à partir d’une arête et d’une faille, entouré sur trois côtés d’un écran : côté cour, un anorak noir aplati en tache ou flaque d’encre jouant à l’anorak. Une ombre noire ondule, en capuche, traits invisibles, sur le rebord, dans une reptation mécanique sur le dos ; puis un autre, personnage apparaît à jardin, blanc, ondulant anguleusement du bassin. Tout relief semble gommé et il ne reste que deux dimensions : hauteur, longueur, dans un à plat qui efface les volumes et rend indéfinies les formes des deux corps dans un entre-deux identitaire sexuel : un ballet de deux ombres planes, pointues, anguleuses, gentils fantômes des dessins d’enfants ou lutins aigus, déhanchés, dégingandés, qui ne sont plus que dessin et mouvement. Puis, sur la neige de l’écran, des flocons noirs se mettent à danser, à grouiller au même rythme joyeux dans le bruissement, le crissement, le menu fourmillement visuel et auditif d’une musique acousmatique répétitive et doucement obsessionnelle. Les scansions musicales, les saccades et secousses syncopées de ces deux êtres indéterminés répondent maintenant à de sortes de tags, de graffs, de graffiti, tout en angles aussi et font penser au blanc et noir du premier cinéma à l’image instable, aux balbutiements agités des débuts des dessins animés.
Puis, comme des lassos ou des traits facétieux, toujours aussi dansantes, des lignes s’inscrivent sur la blancheur, s’écrivent sur les personnages dessins dansants, qui gigotent toujours, dans un engendrement arachnéen qui les ligote, puis des barbouillages, des gribouillages qui tendent à les biffer, à les rayer, à les raturer. L’un glisse sur la paroi de la pente tel un pingouin manchot dirait-on, maladroit, comme s’il voulait fuir ces folles lignes à lier, pour s’en délivrer par des mouvements épileptiques dans la musique frénétique qui rivalise d’agitation avec dessins et danseurs. Une inondation projetée, une route basculée, semblent tout balayer mais là, le héros, maintient son cap. Amusant effet de perspective : la tête désarticulée de l’un semble se greffer sur le corps déconnecté de l’autre.
Les gribouillages nous plongent dans l’univers d’Hans Hartung, font penser à Pollock et ses drippings mais quand la couleur apparaît, il y a des réminiscence colorées de Miró, de traits dentés de Picasso. Nos personnages endossent toujours dans une saccade comme stroboscopique des sweaters de ses couleurs semblant n’être plus, décorporalisés, que des taches aiguës de couleur.
C’est toute la sophistication des techniques graphiques, visuelle et sonore, les plus aiguës, alliées à un tendre humour, parfois déchirant, à un esprit d’enfance qui est tout simplement l’enfance et l’essence de l’art.


Photos : © André Cornelier

Une création de Benoît Lachambre, Louise Lecavalier, Laurent Goldring, Hahn Rowe
Dramaturge : Benoît Lachambre.
Interprètes : Benoît Lachambre, Louise Lecavalier.
Scénographie, éclairages et projections : Laurent Goldring.
Compositeur et musique live : Hahn Rowe.
Costumes : Lim Seonoc.

dimanche, juillet 05, 2009

FESTIVAL DE MARSEILLE (3)


Géométrique sérénité
Les sept planches de la ruse

d' Aurélien Bory, par les danseurs acrobates de Dalian


Les anciens Grecs ne l’avaient formalisé : la musique, l’harmonie des sphères célestes étaient d’essence géométrique, mathématique, suprême agencement de formes parfaites du divin équilibre de l’univers. Platon en fera sa philosophie idéaliste, Aristote, sa géométrie, Ptolémée, sa géographie et sa cosmographie : pensée du monde intellectuel et physique. L'idée intelligible peut être rendue sensible concrète, par la géométrie. Les Chinois, à en juger par ce spectacle d’Aurélien Bory, scientifique de formation, ne semblent pas étrangers à cette conception d’un monde réglé, régi par un agencement multiple, potentiellement infini, de formes géométriques harmonieuses. Il emprunte sa structure au jeu traditionnel du Tangram : un cube de bois découpé en sept « planches », cinq triangles, un carré et un parallélogramme qui permet quelque deux milles combinaisons et assemblages possibles.
Sur fond de lever de soleil ou de crépuscule, on retrouve sur scène ces pièces ,mais à l’échelle de 100 et 200 kg chacune, assemblées en un bloc d’abord, sur le rebord duquel, en ombre chinoise, une musicienne égrène et glisse les notes apaisantes d’un violon chinois. À partir de là, toujours comme des ombres, quatorze danseurs acrobates de la ville de Dalian vont décomposer la masse en ses pièces géométriques, triangles, carré, parallélépipède ou losange et composer, sans solution de continuité, des assemblages de formes noires et lisses qui glissent, sur fond de lumières irréelles, dans une fluidité et une célérité silencieuse, aux chants chinois près, entonnés poétiquement par les femmes. Un insolite peuple de silhouettes légères en ligne semblant à peine peser sur le sol, sans apparence d’effort, poussent, agencent les pièces du puzzle, se posent, s’apaisent en équilibre miraculeux sur une arête, dans une aisance naturelle d’insecte ou d’oiseau ignorant la pesanteur. Sans changer elles-mêmes, les formes changent dans un mouvement perpétuel dans leur agencement; chaque nouvelle figure surprend et séduit comme une évidence de beauté formelle, sitôt effacée par un nouvel emboîtement aussi séduisant, aussi précis, aussi exact que s’il avait préexisté de toute éternité: une combinatoire qu'on peut rêver infinie. Ce sont de vrais tableaux abstraits qui s'élaborent en continu sous nos yeux éblouis.
On frémit de ces équilibres humains élégants dans le déséquilibre des pointes et des pentes aiguës; on tremble, dans ce casse-tête et supplices chinois, écartements et écartèlement, ou jeu d’écrasement des personnages, de la chair contre les masses inhumaines. Mais le combat entre l’inerte massif et le fragile vivant est un jeu dans sa vérité profonde, pascalienne : misère et grandeur de l’homme, triomphe de l’intelligence humaine sur la nature chaotique à laquelle seul le regard et le travail humain donnent un sens, la singularité des sujets agissants n’existe que par la collectivité de l’action. Tout en beauté, poésie, sérénité : géométrie mouvante et émouvante.

Photos: Aglaé Bory.

Les sept planches de la ruse
d’Aurélien Bory, par les danseurs acrobates de Dalian ;
lumières : Arno Veyrat ; musique : Raphaël Wisson ;
Marseille, Parc Chanot, 24 et 25 juin 2009.

jeudi, juillet 02, 2009

FESTIVAL DE MARSEILLE (2)


La chambre blanche
de Ginette Laurin, Compagnie O vertigo

Blanche noirceur

Ici aussi, chocs des corps et sans doute électrochocs au cerveau dans cette sorte d’asile de fous, ou hammam ou couvent comme l’indique le propos. Violence sans doute, brutalité, mais plus subtile que celle de Vandekeybus, plus perversement raffinée dans ce lieu et huis clos.
Une salle grise régulièrement dallée, murs monotonement carrelés avec une porte au fond sur un étroit couloir avec lavabo, robinet, baquet, pour le hammam ou la douche froide aux aliénés : clean, clinique, froideur aseptique. L’œil de bœuf baroque à feuille d’acanthe opposé à la raideur géométrique de quatre lucarnes en cimaise et de soupiraux bas grillés, qui laissent filtrer une pâle lumière, donnent une atmosphère monacale, conventuelle. Mais quand surgissent ces corps d’homme et femmes en sous-vêtements blancs qui revêtiront ensuite de stricts et sombres uniformes, raides gilets boutonnés, plus qu’à des habits stricts d’un ordre religieux insolite, on songe à un cérémonial sadien dans un enfermement carcéral où jours et nuits se succèdent dans une clôture absolue où toute tentative affolée de fuite est futile, inutile. Les murs se percent sans se laisser traverser et nulle oreille externe n’entend les appels au secours : les ongles se brisent sur les parois lisses de l’indifférence et, dans la chute, on ne peut s’accrocher aux branches d’une main.
Chuchotements polyphoniques, vibrations physiques et psychologiques de vibraphone, souffles, respirations haletantes, angoissantes, musique lancinante comme un trépan dans un monde clos où des valeurs s’inversent : les femmes « portent » les hommes, on marche, sinon sur la tête sur les murs, et on se heurte la tête aux parois comme des oiseaux affolés en cage prêts à sa fracasser. Les jeux, apparemment enfantins, malgré quelques rires maladifs, sont inquiétants : on fait tourner à la folie une femme par un pan flottant de sa robe, les rondes deviennent frénésie convulsionnaire, hystérique ou épileptique et la toupie est une femme lancée horizontalement dans un mouvement giratoire vertigineux comme une possédée. Un corps nu, mollement pendant sur une épaule qui passe dans le funèbre couloir de la mort ou de la volupté, suggère quelque sacrifice accompli en coulisses. Terrible image : la camisole de force dont les manches, étirées à l’infini semblent écarteler dans un supplice barbare et scientifique la femme prise au piège.
C’est d’une beauté effroyable comme un rituel pervers de cauchemar.

Photos : Ginette Laurin
La Chambre Blanche de Ginette Laurin, par la Compagne O vertigo

21 et 22 juin, au BNM, Marseille
Décor: Stéphane Roy; costumes : Jean-Yves Cadieux; lumières : Martin Labrecque ; musique: Nicolas Bernier, Jacques Poulin-Denis.

FESTIVAL DE MARSEILLE (1)

14 e FESTIVAL DE MARSEILLE

Péripéties mouvementées : dramatiquement restés à quai sans travail ni salaire, les grévistes de la réparation navale marseillaise liquidée, avaient brutalement interdit la fête festivalière au Hangar 15 du Port où le 14 e Festival de Marseille semblait, respectueusement, avoir jeté l’ancre depuis l’an dernier. Un énergique redressement in extremis de la directrice Apolline Quintrand et de son équipe a permis malgré tout la tenue du Festival de danse et des arts multiples de Marseille dans divers lieux d’hébergement solidaire en et hors ville. On donnera des points forts de cette encore superbe manifestation du 17 juin au 11 juillet 2009.

BRUT, BRUTAL, BRUTALITÉ

NieuwZwart

de Wim Vandekeybus-Ultima vez

Vendredi 19 juin

Dans le noir indistinct et silencieux, de vagues éclats stellaires, de confus froissements de feuilles d’automne, des frottements flous, des feulements feutrés et l’on commence à distinguer des corps nus foulant une vague vaguement argentée, comme nés de l’onde. L’on découvrira, vague lumière revenue, cette onde immense de papier argenté puis doré, enveloppe peut-être isotherme de corps en danger ou morts, ou linceul ou drapé somptueux qui les magnifie. Tout semble indistinct, ténébreux, même le propos, troué cependant de fulgurances brèves de débris de lumière et de beauté. Un aussi vague d’abord voyeur ou témoin contemple la scène d’abord du bord du plateau, puis pénètrera l’action au milieu des gémissements, des cris des danseurs et d’une musique vivante, lancinante et tonitruante, et il déclamera magnifiquement en anglais un poème fluvial incompréhensible dans sa totalité (malgré un texte distribué trop tardivement à l’entrée), acteur et acrobate parcourant vertigineusement cintres et se posant de champ sur arêtes de murs praticables comme singulier corps en corde raide et équilibre instable au-dessus de la confuse mêlée des corps en chaos d’en bas qui chutent, se buttent, se battent, se frappent, se tapent, se choquent, s’entrechoquent dans le vacarme hystérique d'un rock éclectique de guitares électriques, éclairs et tonnerres de décibels assourdissants scandés par une batterie percutante et fracassante.
Héritier de la danse de contact américaine des années 60, le chorégraphe semble en faire plutôt du full contact agressif et, sinon un art, une danse martiale, de combat ou la beauté brute le cède à la brutalité aveugle, mais sauvée par les aveuglantes et somptueuses images, telle cette folle torche, torsade, tournoyante, tourbillon étincelant et doré, ou cette houle que foule la foule, tapis, lave, magmas volcanique ou bel effet de mer qui se retire laissant le grouillement vermiculaire et convulsif de corps abandonnés sur une plage de fin de monde. Choc et électrochoc, visuel et auditif, qui pèche par excès d’excès, et de longueur mais langueur d’une narration confuse.

Photo: © Pieter-Jan De Pue.

NieuwZwart, de Wim Vandekeybus, Compagnie Última vez. Musique originale de Mauro Pawlowski. Festival de Marseille, Théâtre du Merlan, avenue Raimu, Marseille 18, 19 et 20 juin 2009.


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