Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

mardi, février 17, 2009

APER'OPÉRA

APER’OPÉRA
L’heure espagnole du CNIPAL
Opéra d’Avignon
14 février 2009

Il ne manquait que les tapas hispaniques pour cet hispanisant et espagnol apéritif lyrique grisant donné par trois des solistes du CNIPAL dans le foyer de l’Opéra d’Avignon pour cette mémorable et agréable Saint-Valentin. Une mezzo chinoise, un ténor coréen et un baryon bulgare : chatoyant arc-en-ciel vocal tout à l’honneur de l’éclectisme de cette institution nationale heureusement sise à Marseille qui retrouve de la sorte un peu de sa vocation de Porte de l’Orient, fermée depuis longtemps dans d’autres domaines.
En première partie, bonne idée, des extraits du Barbier de Séville du plus espagnol des musiciens italiens, Rossini : il avait épousé la diva espagnole Isabel Colbrán, et nombre de ses opéras furent crées ou portés au succès par la fameuse dynastie du célèbre ténor et professeur de chant Manuel García, créateur de l’Almaviva de ce Barbiere auquel sa patte hispanique n’est pas étrangère. Cet opéra, en effet, vibre de rythmes de danse espagnoles du début au boléro final, amorces de séguedilles, de fandangos, zapateado, aux traits brillants et virtuoses qui se coulent tout naturellement dans la pyrotechnie rossinienne. La bonne idée fut d’offrir deux airs, deux duos et le trio final de l’œuvre dans une heureuse continuité.
Ouvrant la danse et le concert, le ténor Ji Hyun Kim donnait la sérénade du Comte Almaviva d’une voix brillante, soyeuse, souple, aux vocalises bien maîtrisées. On comprenait que Rosine, dans son air, en fut touchée : chantée par la mezzo chinoise Aï Wu, l’héroïne en prenait une couleur ardente, voix moëlleuse, grave sagement prudent mais médium velouté, agilité dans les traits rapides, précision des notes piquées, aisance et élégance du style, maîtrise de la technique. En Figaro, le Bulgare Alec Avedissian, très apprécié déjà dans d’autres styles de chant, démontrait ici sa pleine possession du raffinement du chant rossinien, allégeant sa belle voix, faisant montre d’une remarquable volubilité sans rien perdre de sa couleur et chaleur. Le trio fut pétillant et sémillant.
Nina Huari, chef de chant et pianiste accompagnatrice, fille du nord finnois, dans une séguedille d’Albéniz fit montre aussi d’une belle ardeur sudiste, surmontant les redoutables grappes de notes virtuoses du compositeur espagnol, jolie transition pour la partie entièrement espagnole du récital.


La zarzuela
Cette appellation recoupe une large variété de spectacles lyriques espagnols, remontant au XVII e siècle. Le nom (diminutif de ronce) lui vient du palais de cette époque et de ce nom (résidence actuelle du roi d’Espagne) dans lequel Philippe IV assistait à des « fêtes musicales », vites appelées Fiestas de la Zarzuela, puis zarzuelas, un fastueux théâtre à machines musical dans le goût de l’opéra florentin, inspiré de la mythologie, d’abord comme La selva sin amor de Lope de Vega (1629) entièrement chantée. Mais ensuite, à la différence de l’opéra baroque italien (qui calque à Naples sa structure sur la comedia espagnole), en Espagne, les récitatifs de la zarzuela son remplacés par des passages parlés comme plus tard en France dans les opéras comiques, c’est-à-dire parlés, déclamés à la façon des comédiens. Au XVIII e siècle, les intrigues mythologiques font place à des sujets plus populairement pittoresques et l’influence de la tonadilla escénica, petits intermèdes joyeux mêlant chant, danse et théâtre entre les actes d’une comedia, donne un tour typiquement espagnol à la zarzuela. Ainsi, XIX e au XX e siècle, la zarzuela embrasse un ample rayon qui va de l’opéra (Albéniz, Manuel de Falla en composent) à l’opérette, toujours soucieux de belle vocalité que ne dédaignent nullement aucun des grands interprètes lyriques espagnols, de Victoria de los Ángeles à Caballé et Berganza, Carreras et Plácido Domingo qui s’est forgé dans cette esthétique dans la troupe de zarzuela de ses parents, s’y taillant encore un triomphe récemment.
Il faut donc saluer encore l’œuvre pédagogique du CNIPAL qui a déjà programmé deux fois des extraits et, cette fois-ci, toute une bonne partie du programme que les trois jeunes interprètes défendent avec bonheur.
Aï Wu, la Chinoise, à part quelques petits problèmes textuels (mais connaissons-nous beaucoup d’Européens capables de rendre la politesse à tous ces Asiatiques qui assimilent nos langues et notre culture ?), se tire très bien de sa partie, met la couleur de sa voix au service de la vocalité espagnole jamais facile, implacable rythmiquement, manquant peut-être un peu de piquant canaille dans le picaresque « Tango de la Menegilda », récit cynique d’une bonne à tout faire sur un rythme désinvolte d’habanera andalouse, ancêtre du tango argentin. Le Coréen Ji Hyun Kim s’investit avec une grande conviction dans des airs romantiques, avec beaucoup de poésie. Et, à écouter le Bulgare Alec Avedissian, on croit entendre vraiment la chaleur colorée d’une voix et d’une passion espagnoles sincères, authentiques. À la prononciation des phonèmes sourds du z et des ce et ci près, prononcés comme ss (peut-être dus à un maître Andalou ou Latino-américain), on ne peut qu’admirer la belle diction des interprètes qui se lancent joyeusement dans un final soliste arrangé ici pour trois, repris en bis aux instances d’un public enthousiaste.
Nina Uhari conduit et accompagne encore tout cela avec une vivacité et une fougue de vraie méditerranéenne de Finlande. Un moment de bonheur d'un art sans frontières ni races.

Ce récital sera repris le 20 février à 19 heures à l’Opéra de Toulon, puis les 26 et 27 février, à 17 heures à l’Opéra de Marseille.







Photos :

1. Ji Hyun Kim ;
2. Aï Wu ;
3.
Alec Avedissian ;
4. Nina Uhari.

lundi, février 16, 2009

RÉCITAL DU CNIPAL

ATOUT CULTUREL : LE CNIPAL

À tout cœur, faudrait-il ajouter. Tant ce centre National d'Insertion Professionnelle d'Artistes Lyriques, ce fleuron de l’art du chant en bourgeon, qui forme et raffine des jeunes talents venus du monde entier pour se parfaire à Marseille et épanouir leur floraison sur les scènes internationales d’opéra, fait rayonner loin le nom de notre cité : merveilleux atout culturel pour ce titre de « Marseille capitale culturelle 2013 » qu’il faudra bien justifier concrètement. Nous n’allons pas répéter la liste des grands artistes qui en sont issus et qui sont aujourd'hui des étoiles du chant mondial unanimement célébrées comme Béatrice Uria-Monzon ou Ludovic Tézier pour ne parler que des français, car il faudrait ajouter la constellation d’autres, des quatre coins cardinaux, qui ont trouvé ici le tremplin pour des carrières enviables : Arte, récemment, nous permettait d’admirer Ainhoa Garmendia au prestigieux Festival de Glyndebourne, et nous pourrons applaudir Pauline Courtin cet été à celui d’Aix.
Mais, plus modestement et sur place, L’Heure du thé à l’Opéra de Marseille, L’Heure exquise à celui de Toulon et Apér’Opéra à celui Avignon, sont des récitals gracieusement offerts par le CNIPAL à un public serré et passionné qui découvre de la sorte, parmi ces jeunes chanteurs, les vedettes lyriques de demain.

L’heure du thé de janvier
Ce premier récital de l’année nous a permis d’entendre quatre jeunes stagiaires, deux soprani françaises, et deux barytons, un Chinois et un Georgien.
Joana Malewski, née à Paris, déploie les irisations d’un timbre lumineux de soprano lyrique, aérien, en rondeur, aux vocalises et aigus faciles dans Rossini et Donizetti, aux jolies nuance de dynamique dans Verdi, beaucoup de charme et de sensibilité. Bénédicte Roussenq, sortie du CNR de Marseille, est un soprano dramatique, voix puissante et égale, manquant un peu de « morbidezza » et d’onctuosité même pour des rôles véristes, mais qui mûrira dans les grands rôles tragiques qu’elle semble affectionner, tels la charmeuse Manon Lescaut de Puccini, ou la torturée Santuzza de Mascagni qu’elle donne avec une force impressionnante.
Zheng Zhong Zhou, voix large, aigus éclatants, déroule parfaitement les vocalises de Donizetti, encore qu’un peu hachées de h dans Ernani de Verdi, sensible et nuancé dans la belle ligne du Poza de Don Carlo, au crescendo parfaitement conduit. Quant à Mamouka Lomidzé, autre type de baryton, on est immédiatement pris tant par sa présence dramatique que par la puissance de sa voix sonore et large, aux superbes couleurs : jalousie noire mais comique dans Falstaff, jalousement féroce dans le duo de Cavalleria rusticana avec Bénédicte Roussenq, il entre sans contexte dramatique de la scène, dans le désespoir vindicatif de Rigoletto avec une évidence tragique immédiate qui fait frémir, ce qui est un exploit dans le découpage alternatif d’un récital.
Au piano, la toujours excellente Nino Pavlenichvili, heureuse initiative, ne se contente pas d’accompagner attentivement les chanteurs, elle nous régale de l’intermezzo voluptueux et dramatique de Manon Lescaut mais aussi de celui de Cavalleria, moment de charme, de douceur, et de résignation qui s’installe avant le drame.
À l’entracte, le thé devient un rituel convivial et musical qu'on a plaisir à partager aussi.

Photos :
1. Joana Malewski ;
2. Bénédicte Roussenq ;
3.
Zheng Zhong Zhou
4. Mamouka Lomidzé;
5.
Nino Pavlenichvili.

LA SECONDE SURPRISE DE L'AMOUR

MARIVAUX EMPOUSSIÉRÉ

La Seconde surprise de l’amour
Théâtre Gyptis
13 février 2009

Le décor (Olivier Thomas), loin d’être du Louis XV, c’est du Louis Caisse : ensemble de caissons en bois naturel d’un style sous-Ikéa, devenant, par transparence, des cassettes, des cases, des casiers où les acteurs jouent en silence, ou plutôt, glosent comiquement leurs pensées les plus noires ou roses : essais burlesques de suicides pour l’abandonné, pieuse ornementation en images de l’aimée d’un autel idolâtre par l’amoureux transi, les valets, on ne sait trop. Ajoutons la laideur des costumes aux tristes couleurs hormis une jupe cownesque (Joëlle Grossi) et, surtout, cet insupportable et stupide tas, non de cendres pour figurer la tombe de l’époux mort de la Marquise éplorée, mais de vraie terre qui couvre toute la scène et le parterre, soulevée délibérément en grands nuages de poussière au grand dam des spectateurs des premiers rangs qui ne doivent leur salut qu’à des foulards en manière de tchador, toussotant, éternuant : sotte poudre aux yeux, littéralement, d’une modernité qu’on croyait enterrée, au sens propre du mot, depuis 1968. Quel sens pour le texte ? Et quelles sensations pour des acteurs dont on sent la voix sensiblement éprouvée par cette poussiéreuse atmosphère ?
Comme si cela ne suffisait pas pour plomber le spectacle, nous tombe sur la tête le collage off de bribes de textes de Sophie Calle (Douleur exquise) heureusement pratiquement inaudibles dans le beau montage sonore (Christophe Perruchi) qui noie les passages choisis du degré 0 de la platitude (« Il y a 90 jours, l’homme que j’aime m’a quittée. ») dite par ailleurs par une voix masculine -pour le politiquement correct actuel, on pense- phrase d’une étroite dénotation énonciative, injurieuse pour la hauteur de la parole subtile de Marivaux, irisée de connotations psychologiques profondes qui font mouche directement sur le public ravi, sans besoin qu’on lui mâche en bouche cette pauvre traduction contemporaine de sentiments éternels et universels.
Et pourtant, il faut le dire, le spectacle marche. D’abord, grâce à ce texte si naturel et sophistiqué à la fois pour dire une palette de sentiments forts et évanescents : perte de l’objet aimé, blessures narcissiques, renaissance amoureuse et son lot de dépit, jalousie, dans la tendre émotion pastel, propre dirait-on, de l’adolescence. C’est ensuite, la remarquable direction d’acteurs de la metteur en scène Alexandre Tobelaim, qui sait donner vie à ce délicat arc-en-ciel sentimental à travers ces personnages incarnés par des comédiens touchants et amusants, mention spéciale pour les dames (superbe Marquise de Marie Dompnier, et subtile Lisette de Sophie Delage) ; Olivier Veillon prête au Chevalier son look de héros ado de BD cocasse, mais rend bien improbable l’amour soudain de la Marquise. Dans des rôles moindres, les autres hommes ne déméritent pas (Éric Feldman en intello étriqué, Thierry Otin en mimétique valet et Nicolas Martel à la si belle voix). La diction est tout aussi bien traitée et tout est intelligible du texte.
C’est un Marivaux mal léché, sans rubans ni entrelacs précieux, tiré vers la bouffonnerie de chevelures ébouriffées (Wally Diawara) et robe bouffante pour bouffées de chaleur qui font mordre la poussière à l’héroïne pâmée.
On regrette donc qu’avec tant d’évidentes qualités, Alexandra Tobelaim, d’un texte comme neuf et lumineux, fasse un texte poussiéreux littéralement, dont les iridescences et opalescences sont opacifiées par les lumières volontairement lugubres (Thomas Costerg) et, surtout, par ce nuage allergisant au nez et aux yeux.

Photos :
1. Décor ;
2. Sol de scène ;
3. Marie Dompnier et Olivier Veillon.




jeudi, février 05, 2009

VOLTAIRE'S FOLIES

VOLTAIRE’S RAISON
Voltaire’s folies
Pamphlet cocasse et satirique contre la bêtise
Spectacle de
Jean-François Prévand
Théâtre Toursky
16 janvier 2009

Dieu merci (pardon, Voltaire …) Voltaire revient. Plus nécessaire que jamais. Sait-on que, même dans des universités, des intégristes de tout poil, barbus, ont fait des pressions pour intimider des professeurs afin de leur interdire d’enseigner ce maître en penser juste, en penser fort, rationnellement, spirituellement, ce maître-penseur, cet esprit fort qui donne des armes pour penser par soi-même contre toutes les idées reçues, imposées, en pourfendeur de tous les obscurantismes et les fanatismes qui assaillent la raison déraillée. Or, ce qu’on sait, c’est le retour effarant, effrayant, aujourd’hui, de tout ce brouillard intellectuel et moral. Voltaire, s’il n’a pas laissé une œuvre de génie comme Rousseau, si son théâtre n’est pas jouable de nos jours, nous fait héritiers d’une attitude, d’une pensée debout, d’une morale, qui est l’une des origines de la Révolution essentielle de 89 dont certains ne cessent de vouloir grignoter les acquis fondamentaux : la liberté, l’égalité, la fraternité.
L’affaire Callas vient de passer avec succès le petit écran, rappelant ce cas de despotisme inique dû à la non indépendance de la justice face au pouvoir et à l’exécutif (qui menace encore aujourd’hui avec la réforme Sarkozy). Voltaire obtint la réhabilitation de la malheureuse victime torturée et exécutée et l’acquittement de sa famille et domesticité, tous injustement accusés de meurtre religieux. On se félicite donc qu’après Voltaire-Rousseau, écrit et mis en scène par Jean-François Prévend, présenté au Gyptis en octobre dernier, le Toursky nous ait offert le précédant spectacle du même auteur, Voltaire’s folies, mené par un quatuor tourbillonnant, vibrionnant, d’acteurs (Charles Ardillon, Olivier Claverie, Gérard Maro, Mouss Zouheyri), chacun faisant divers rôles, dans l’unité de la lutte ironique, hilarante du seul Voltaire contre le sinistre fanatisme religieux : la bêtise, l’intolérance.
Certes, il n’y a pas de construction dramatique. C’est une enfilade virtuose de sketches brillants par le texte de Voltaire et par la vélocité avec laquelle, dans un simple dispositif scénique, on change de scène, de tableau, de personnages, de situations, avec une verve et une invention jubilatoires. Ah, la leçon religieuse à l’adresse de l’empereur de Chine par les « Trois imposteurs », les fondateurs des religions monothéistes ! On se marre sans oublier qu’on se meurt encore pour ça. Entre autres, la saynette sur la poularde et le chapon, sorte de fable sur la cruauté humaine, fait rire et frémir à la fois. On sort de là plus intelligent et, espérons-le, mieux armé et militant contre tous les despotismes. Les supposées « folies » de Voltaire sont encore la raison nécessaire et urgente de notre temps.

Photo : Eric Devert.

mardi, février 03, 2009

PÊCHEURS DE PERLES

Les Pêcheurs de perles
Livret de Cormon et Carré, musique Georges Bizet
Opéra de Toulon
30 janvier 2009

Bizet, en 1863, a 25 ans. Il compose cet opéra quand la mode est encore à l’orientalisme de Félicien David. Les XVII e et XVIII e siècles aiment les turqueries d’un Proche-Orient ; le XIX e cherche un Orient plus extrême, plus lointain, plus mystérieux, plus exotique, tel celui de Lakmé de Léo Delibes, situé aux Indes, goût qui débordera le XX e avec Madame Butterfly de Puccini, au Japon, annoncée par les Madame Chrysanthème, roman de Loti et opéra de Messager, avant sa Turandot finale, dans une Chine immémorialement lointaine. On y trouve des figures de femmes emblématiques : la sacrifiée (Lakmé, Butterfly) et la sacrificatrice (Turandot), celle qu’on viole ou profane et celle qui castre. Car le XIX e siècle bourgeois est fasciné par l’image ambivalente de la femme, qu’on goûte et qui dégoûte, la courtisane -la pute- et la nécessaire vierge dont la pureté permet d’exalter et de dénoncer la souillure de l’autre. De la Vestale de Spontini à Norma de Bellini, en début et premier tiers de siècle, voilà encore la femme vouée à l’autel et aux gémonies, à la mort si elle manque à la virginité imposée par la loi de l’homme. Pas de pitié pour les gardiennes obligées du temple masculin, même si Leïla sauve sa mise.

L’œuvre
Leïla, prêtresse indienne voilée, dont le beau visage doit être caché aux yeux profanateurs des hommes, est donc possession exclusive d’un dieu jaloux : « Vierge pure et sans tache », même à Ceylan, c’est la même exigence qu’en Occident d’une femme intouchable, divinisée, dépouillée de son identité humaine, sensible et faillible, de son corps. Elle est tenue par des serments, « soumise à la loi » et « Malheur à toi ! » lui hurle-t-on, si elle y manque. Bref, aux Indes comme ici, à tout ce qu’on exige des femmes il y aurait peu d’hommes qui mériteraient de l’être.
En voici deux, qui se sont épris de la déesse, deux amis, l’un plus privilégié que l’autre par elle, le ténor (l’opéra romantique étant les amours d’une soprano et d’un ténor contrariées par le baryton), il va de soi, qui se retrouvent sur une plage, la retrouvent, y perdant pratiquement l’amitié et la vie pour un, en compagnie de la malheureuse prêtresse descendue par l’amour de son piédestal. Tout finira bien, l’amour triomphe de dieu et des hommes, sans qu’on y croie trop.
Le sujet n’a d’autre portée que celle-là et la musique de Bizet est inégale, surtout dans l’orchestration (qui n’est pas de lui, l’originale ayant été perdue), mais géniale dans l’invention mélodique d’une bouleversante beauté. Tel air anticipe Carmen (« Comme autrefois… », avec cor obligé annonce l’air de Micaela, « Ton cœur n’a pas compris le mien… » préfigure un duo entre Carmen et José). Chacun connaît, sans même savoir que c’est tiré de cet opéra rare, la romance de Nadir, d’une sublime simplicité (« Je crois entendre encore… »). Mais les autres airs sont d’une grande qualité et sur quatre duos magnifiques, au moins deux sont des chef-d’œuvres mélodiques, même dans leur simplicité, dont celui célèbre des amis, « Oui, c’est elle, c’est la déesse » qui devient le motif de Leïla trop répété jusqu’à la fin de l’œuvre sans guère plus qu’une variation. Les chœurs sont nombreux, beaux, et les danses annoncent déjà la suite de l’Arlésienne.

La réalisation
Je l’avais déjà dit pour la création de cette production à l’Opéra d’Avignon en février 2007, avec un tel sujet, la femme sacrifiée, et la réalité de la violence conjugale aux Indes, qui va jusqu’au meurtre maquillé en accident par les maris pour garder les dots obligatoires, on pouvait craindre une « relecture moderne » à la mode déjà vieille qui afflige les scènes depuis quarante ans. Plus sagement, Nadine Duffaut, nous offre, avec ce mince canevas, un nostalgique voyage dans le temps, aux couleurs tendrement fanées : un cadre de scène orientalisant, une vaste estampe en toile de fond, des femmes indiennes au bain parmi des arbres immenses d’un romantisme stylisé. Latéralement, des panneaux de vague plage nue (décor Emmanuelle Favre). Les costumes indiens de Danielle Barraud, turbans, voiles, beige, sable, marron clair, se pastellisent aux délicates lumières de Jacques Neyeta, encore qu’aux premiers rangs, les transparences plastiques des blouses de la fin font quelque peu kitsch dans leurs teintes bombon acidulé.
Dans ce cadre, les nombreux choristes bien dirigés et contenus (Catherine Alligon) forment des masses mobiles, animées d’une gestique unanimiste des mains d’un rituel stylisé, sans solution de continuité avec les danses chorégraphiées avec bonheur par Éric Belaud et Maria Kiran, par ailleurs troublante danseuse indienne soliste, pleine de charme et de présence. Malgré tout certains spectateurs s’agacent de cette gestuelle un peu mécanique à la longue mais on voit mal comment mettre en mouvement ces chœurs répétés sans une unité structurelle, donnée ici par ces gestes des bras, des mains, tels des rituels d’adoration, d’exécration ou d’exorcisme.
Pour la même production, la plateau vocal diffère. Kimy Mc Laren a de la grâce, un timbre délicat et se tire bien des vocalises et trilles de l’air vertigineux qui anticipe celui de Lakmé vingt ans plus tard ; elle a une belle présence scénique et, sans le voile, un jeu crédible. À ses côtés, Jesús García, ténor américain, a une voix qui ne jure pas trop par le volume avec la sienne, timbre doux et ductile, mais bien mince même ici : dans sa romance, il sait donner des notes en fausset que l’on retrouve désormais rarement, mais son jeu est rudimentaire. D’autant, que la scène est littéralement embrasée et dévorée par le Zurga de Jean-François Lapointe, au point qu’il en devient pratiquement le héros, seul personnage un peu complexe, amoureux, ami et jaloux, si bien qu’à le voir et l’entendre, on se dit que l’opéra devrait porter ce nom de personnage. Il n’a qu’à paraître, allure et figure, altier et chaleureux, et il est d’évidence le maître reconnu par tous. Voix puissante, large et égale sur un long registre, il fait montre d’une vaillance héroïque dans une tessiture tendue et s’offre le luxe de nous gratifier d’un la facultatif d’un éclat et d’une force dignes d’un ténor. Sa scène de jalousie, elle, est digne d’Othello : bref, grand chanteur, grand acteur, grand artiste dans tous ses rôles. Wojtek Smilek, en prêtre Nourabad, fait montre, ici, comme sur tant d’autres grandes scènes, de sa profonde basse appréciée. La direction de Claude Schnitzler est à la fois précise et délicate dans le détail et puissante, passionnée, exaltée, et fait rutiler les joyaux de cette émouvante musique d’un tout jeune homme..
Six enfants sur scène attendrissent ou rendent plus cruel ce drame simple mais brutal où on ne sait si l’enfance est préservée ou prédestinée au sacrifice. L’Enfant élue voulue par la metteur en scène, dans son bel habit de prêtresse, qui prend la relève de Leïla délivrée, est l’image poignante d’une perpétuation féminine sans doute de la grâce, mais aussi de l’immolation aux intérêts de la collectivité comme dans le Sacre du printemps.

Photos :
1, 2 ©Frédéric Stéphan (successivement, Nadir, Leïla et Nourabad derrière; Zurga et son peuple);
3. ©Agence Viva concertino-Olivier Arnoux : Zurga et Leïla.


FICCIONES

36 VOCES FRANCESAS PARA UNA ANTOLOGÍA POÉTICA CONTEMPORÁNEA (bilingüe)

FICCIONES,
REVISTA DE LETRAS
GRANADA (ESPAÑA)

Un format 20X26, 230 pages de poésie françaises bilingue dans un papier luxueux, plus deux cahiers tirés à part de 32 pages du poète argentin Alfredo Carlino assemblés dans un élégant portefeuille relié, à l’intérieur, en double page, d‘un diplôme d’honneur décerné par la ville de Buenos-Aires et, en couverture interne, d’un magnifique tableau en couleur, plus un grand in folio plié in quarto consacré au poète irlandais Theo Dorgan avec de denses « Réflexions sur la poésie contemporaine en Irlande », assorti de poèmes aussi bilingues de l’auteur, le tout dans une solide et belle jaquette, protégé dans un étui cartonnée. Bien sûr, on l’a compris, cela n’a pu se publier en France. C’est le beau cadeau de la revue Ficciones de Grenade, en Espagne à ces « 36 françaises pour une anthologie poétique contemporaine».
On éprouve de la honte encore à voir, venues d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, de magnifiques publications de colloques universitaires, superbement reliées et présentées, quand, en France, nous devons nous contenter d’« actes » misérablement et laborieusement tirés à l’économie sur du mauvais papier mal encollé, juste sortis de l’imprimante d’un ordinateur privé souvent. On ne peut que saluer, alors, l’effort parfois sacrificiel de revues qui défendent, contre vents et marées, et dignement, la création poétique en France. On devrait juger d’un pays par le sort réservé à sa poésie sinon à ses poètes et, il est vrai, quand il a à sa tête un président qui fait profession de mépriser la lecture, les livres, on ne peut que déplorer l’état dans lequel il est tombé.
Mais, enfin, réjouissons-nous ici : 135 poèmes avec leur original dont le fac simile de 34 poèmes manuscrits de presque chacun des 36 poètes français ici honorés, plus leur photo, d’une brève notice biographique et de trente-six dessins remarquables reproduits de Nils Burwitz et de Ginés Liébana. Le traducteur de ces textes est le poète Matías Tugores Garau, et il faut reconnaître qu’il s’en tire plutôt bien dans la diversité stylistique présentée. Jean-Pierre Siméon, Directeur artistique du « Printemps des poètes » signe la préface. Parmi les trente-six poètes présentés et traduits, sans les citer tous, on retrouve avec plaisir Max Alhau, Emmanuel Berland, Yves Bonnefoy, Michel Cosem, Michel Deguy, Pierre Dhainaut, Marcelin Pleynet, Frédéric-Jacques Temple et notre cher Yves Broussard dont on souligne l’humaine luminosité. Et le prix, tenez-vous : 13 € !
On peut commander l’ouvrage aux Éditions Caractères, 7, Rue de l’Arbalète, 75005 Paris (tél. : 01 43 37 96 98) ou ficciones@ficciones.net

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